LES PATRONS DU TERRAIN

Leur métier leur a appris à ne pas se laisser faire.

philippe vinche – agent pÉnitentiaire

 » Chaque fois qu’il y a eu des prises d’otages par des détenus évadés, j’étais absent. Mais je connais des collègues traumatisés. Dont l’un s’est pendu « .

Philippe Vinche (37 ans) a sifflé son premier match en D1 le 10 octobre 2001 : Westerlo-Saint-Trond :  » Il s’est soldé par une victoire des Canaris, où évoluait encore Danny Boffin. Mes six prochains mois seront décisifs. J’arbitre en D1 depuis cinq ans mais je ne suis toujours pas classé. J’ai été victime de plusieurs blessures et j’ai été recalé lors des tests physiques. Mes prestations vont être examinées à la loupe lors du deuxième tour. Si je ne réussis pas à être classé, je serai rétrogradé « .

Fin novembre, il avait sifflé Anderlecht-Roulers, avec cette phase très controversée du coup franc indirect converti par Mbark Boussoufa, avec but validé puisque Jurgen Sierens avait touché le cuir avant qu’il ne franchisse la ligne :  » De façon très étonnante, aucun joueur ne s’était aperçu que j’avais levé le bras. Si le gardien n’avait pas touché le ballon, il y aurait eu coup de pied de but. Je ne pense pas avoir commis d’erreur. Mais imaginez que j’aurais validé ou invalidé le but à tort : c’était une erreur d’arbitrage pouvant déboucher sur un match à rejouer. Dans ce cas, j’aurais sans doute pu faire une croix sur ma carrière d’arbitre au plus haut niveau « .

C’est suite à une blessure qu’il s’est orienté vers l’arbitrage :  » Je m’étais blessé lors d’un match de Scolaires, et en rentrant, j’ai demandé à mon père de suivre des cours d’arbitrage. Mon plus grand plaisir, c’est la montée d’adrénaline avant le match. Sentir la pression, voir l’heure du coup d’envoi qui approche. Si cela ne tenait qu’à moi, on pourrait arrêter le match après trois minutes : le plus beau est passé « .

Vinche est agent pénitentiaire à la prison de Verviers depuis 16 ans :  » J’ai essentiellement opté pour ce job en raison de la sécurité d’emploi. C’est malheureux à dire, mais des détenus, il y en aura toujours. Et les horaires me permettent de m’adonner à ma passion pour l’arbitrage : je travaille de 8 à 16 heures et jamais le week-end. Mon métier m’aide pour l’arbitrage : après avoir côtoyé certains détenus, je peux vous dire que je n’ai plus peur des joueurs qui me font des remarques. Mais l’inverse est vrai également : l’arbitrage m’aide pour mon métier. Avec les détenus, on parle football. Ils savent que je suis arbitre, car ils regardent Studio 1, et cela facilite le dialogue « .

En prison, il lui est arrivé d’avoir peur :  » Au début de ma carrière, un détenu condamné à perpétuité m’a adressé un regard très menaçant. Je n’étais pas à l’aise. A part cela, j’ai toujours eu de la chance : chaque fois qu’il y a eu des évasions avec prise d’otage, j’étais absent. Mais je connais des collègues qui ont été traumatisés. L’un d’eux s’est même pendu après avoir été pris en otage « .

Le travail ne se limite pas à la surveillance :  » Il faut aussi vérifier les cellules, pour voir si les barreaux ne sont pas sciés, et d’autres choses de ce genre. On a des détenus à titre préventif, des petites peines (essentiellement des toxicomanes) et des condamnés pour meurtre. Les condamnés pour faits de m£urs sont très mal vus par les autres détenus, surtout depuis l’affaire Marc Dutroux et il vaut mieux ne pas laisser un condamné pour faits de m£urs sans surveillance dans une cellule avec d’autres détenus, car on ne sait pas dans quel état on va le retrouver. En revanche, les condamnés pour crime passionnel sont acceptés. Les autres détenus considèrent que c’est un accident qui peut arriver à n’importe qui : un soir, en rentrant, on trouve sa femme au lit avec un autre homme…  »

Depuis neuf ans, Vinche a obtenu une place de chauffeur :  » Je ne travaille plus à la prison. Je conduis les prévenus au palais de justice, à l’hôpital ou dans une autre prison lorsqu’il y a un transfert. Je dois surtout me concentrer sur la route. Pour le reste, je suis escorté par la police « .

gaËtan simon – policier

 » Un jour, j’ai été menacé par une arme à feu. Dans ce cas-là, il faut à tout prix garder le contrôle de ses nerfs « .

Gaëtan Simon (33 ans) a tenu le sifflet en D1 pour la première fois le 4 mars lors de Westerlo-Saint-Trond (2-1) :  » Un match pas facile. J’étais assez stressé, car la D1 n’a rien à voir avec la D2. Je n’avais jamais arbitré devant 7.500 personnes. Mais après coup, j’ai constaté qu’on avait peu parlé de moi dans les médias, ce qui est généralement bon signe « . Depuis, il a sifflé sept autres matches de l’élite, dont Zulte Waregem-Roulers où Cédric Roussel s’était blessé :  » Dans ce cas-là, un petit mot de réconfort peut parfois faire du bien au joueur « .

Sa vocation est née à 15 ans, alors qu’il jouait gardien de but au FC Liégeois et était ramasseur de balles lors des matches de l’équipe Première :  » Un délégué m’a interpellé le long de la touche : – Tu n’es pas très doué pour le football. Pourquoi ne pas essayer l’arbitrage ? J’ai sifflé un match de Préminimes et progressivement, j’y ai pris goût. J’ai beaucoup appris au contact de gens comme Daniel Boccar ou Robert Waseige, qui m’ont dispensé de bons conseils. J’ai également été fort bien guidé par certains formateurs, comme Marcel Javaux, Eric Romain et Guy Goethals. Sans eux, je ne serais jamais arrivé en D1. Car j’éprouvais des difficultés à sentir le jeu. En Promotion, on parvient encore à les camoufler mais lorsqu’on monte en D3, elles éclatent au grand jour. Mes formateurs m’ont montré la différence entre siffler et arbitrer. J’avais tendance à garder le sifflet en bouche et le coup de sifflet partait très vite. Ils m’ont conseillé d’ôter le sifflet de la bouche et d’analyser le jeu avant d’intervenir « .

La démolition du stade de Rocourt a fait mal à cet ancien affilié des Sang et Marine :  » Je ne suis jamais allé voir un film au Kinepolis de Rocourt, j’en serais incapable « .

Simon est policier :  » Après avoir obtenu un graduat en comptabilité, je constatais que d’anciens copains de l’école s’étaient retrouvés au chômage ou avaient dû se contenter de stages pas valorisants. Mon père et mon frère étaient officiers de gendarmerie. J’ai donc postulé dans ce domaine et j’ai réussi les tests. J’ai été affecté à la brigade d’intervention urgente de Seraing : je suis appelé pour des accidents, des agressions, des cambriolages, des vols… J’adore le monde de la nuit. La population n’est plus la même. On doit souvent ramasser des gens qui traînent en rue ou qui provoquent des bagarres dans les cafés et avec lesquels il est impossible de nouer le dialogue. Une nuit du samedi au dimanche alors que j’avais été quatrième arbitre plus tôt dans la soirée, j’ai été appelé pour porter secours à un homme en train de péter les plombs. Subitement, il s’est exclamé : -Mais je vous ai vu à la télévision tout à l’heure, dans Match 1 ! Du coup, il s’est calmé et m’a suivi dans le combi sans opposer de résistance « .

Pour lui, les moments les plus pénibles se passent lors d’accidents de la route :  » Quand ils concernent des adultes, je tiens le coup mais je suis très sensible lorsque des enfants sont frappés. J’ai vu un gosse de deux ou trois ans perdre la vie dans un accident de voiture, pour un banal refus de priorité. Cela m’a anéanti. Je suis resté de longues heures affalé dans mon fauteuil « .

Et les risques ?  » Un jour, j’ai été menacé par une arme à feu. Dans ce cas-là, il faut à tout prix garder le contrôle de ses nerfs… mais je suis longtemps resté sous le choc « .

jÉrÔme nzolo – Éducateur

 » C’est un honneur de pouvoir s’occuper de jeunes en difficultés. J’essaie d’être à leur écoute, comme avec les joueurs  »

JérômeNzolo (32 ans) a sifflé son premier match en D1 le 28 janvier 2006 : Brussels-Lokeren (1-1), avec des cartons jaunes pour Olivier Doll et Alan Haydock. Depuis, il a connu une ascension fulgurante en termes de popularité. Son sourire est devenu légendaire.  » Pierluigi Collina avait ses yeux, j’ai mon sourire « , rigole-t-il. En fin de saison dernière, il s’était déjà classé 4e au referendum de l’Arbitre de l’Année organisé par Sport Foot Magazine alors qu’il n’avait sifflé que trois rencontres ! Depuis la diffusion d’un reportage sur TV5 Monde, il est devenu une star au Gabon, son pays natal.

Il est éducateur dans un foyer de l’agglomération bruxelloise qui accueille des adolescents en difficultés :  » Ils sont placés par le juge de la jeunesse, mais n’arrivent pas tous pour la même raison. Certains ont été victimes des problèmes conjugaux de leurs parents. D’autres ont commis un délit, grave ou moins grave. Cela ne signifie pas que ce soient des mauvais garçons. Ils ont parfois simplement disjoncté à un moment donné. Tous les pensionnaires ont entre 12 et 18 ans. Ils ne restent au maximum que quatre mois et dix jours. Après, soit ils retournent dans leur famille si la situation s’est arrangée, soit ils sont placés dans une autre institution « .

C’est suite à un concours de circonstances assez cocasse qu’il a décroché son emploi actuel :  » J’avais défilé pour présenter les nouveaux équipements des arbitres à la fédération et j’ai été repéré par le directeur du groupe qui gère les foyers. Il m’a demandé si j’étais disposé à travailler à 100 kilomètres de chez moi. C’était le destin. Moi qui adore les contacts humains, j’ai fait d’une pierre deux coups en acceptant : j’ai beaucoup appris dans l’exercice de ce job, au niveau psychologique notamment, ce qui m’a permis de progresser dans l’arbitrage. J’essaie d’être à l’écoute de ces jeunes comme des joueurs. Lorsqu’on sent qu’il y a de l’énervement, il faut trouver les mots justes pour calmer les esprits. Je considère comme un honneur de pouvoir m’occuper de jeunes en difficultés. Chaque fois que l’un de mes adolescents se remet sur la bonne voie, je considère que j’ai gagné un match. Un jour, j’ai retrouvé un ancien pensionnaire sur une patinoire où il avait emmené ses jeunes :  » Il est venu me saluer, en m’expliquant qu’il avait été engagé dans l’armée et revenait du Kosovo. On a pris un verre à la cafétéria. J’étais très heureux : cela fait plaisir, aussi, lorsque des jeunes me recontactent après avoir quitté le foyer. Ou lorsque je reçois une lettre de remerciement des parents « .

Si sa profession l’a aidé à mieux arbitrer, l’inverse est vrai :  » Les jeunes sont plus réceptifs lorsqu’ils découvrent qu’ils ont affaire à un arbitre. Encore davantage lorsqu’ils m’ont vu à la télévision. Depuis mon premier match parmi l’élite, mes messages passent plus facilement. A l’école qu’ils fréquentent, mes pensionnaires parlent de moi à leurs copains. Ceux-ci ont parfois du mal à les croire. J’ai dû leur… signer des autographes pour le leur prouver « .

Les incidents sont rares au foyer mais il faut prendre certaines précautions car ils ne sont pas tous des anges :  » La nuit, je ne vais pas me coucher. Je dois monter la garde pour éviter les fugues. En règle générale, l’ambiance est bonne au foyer, mais il faut rester attentif. L’un ou l’autre peut s’énerver et on peut toujours se trouver sur la trajectoire d’une chaise… « .

luc wouters – bourgmestre

 » J’ai déjà distribué des cartons jaunes à certains membres de mon conseil communal pour calmer les esprits !  »

Luc Wouters (37 ans) a sifflé son premier match en D1 le 17 août 2002, Mons-Westerlo (2-0), premier match à domicile des Dragons parmi l’élite :  » Après 20 minutes, j’ai dû donner un carton rouge à BjörnDeConinck. Il était le dernier défenseur et avait empêché Jean-Pierre La Placa de filer au but. Les Campinois n’ont pas protesté. Ma carrière au plus haut niveau commençait sur les chapeaux de roues… Mon souvenir le plus amer est une des dernières rencontres de 2006. A Lierse-Lokeren, Kristof Snelders a marqué un but entaché d’une faute de main. Lorsque j’ai revu la phase à la télévision, je me suis senti mal. D’autant que cette erreur a influencé le résultat « .

L’arbitrage est un héritage familial :  » Mon père était arbitre, essentiellement de jeunes. Et gamin, j’allais voir les matches à Beringen lui, emmitouflé dans une écharpe rouge et noire. On prenait des caisses de bières, sur lesquelles on s’installait afin de voir au-dessus des têtes placées devant nous. Aujourd’hui, avec toutes les mesures de sécurité, ce ne serait plus possible. Comme footballeur, j’ai joué au libero jusqu’à 16 ans. Oui, il m’est arrivé d’être exclu après avoir commis la faute nécessaire ! ( il rit) « .

2007 est une grande année pour Wouters : au niveau de l’arbitrage, il passe dans la catégorie internationale et au niveau professionnel, il a pris ses fonctions de bourgmestre à la maison communale de Lummen le 1er janvier !

Wouters a déjà officié à l’étranger comme quatrième arbitre (à Donetsk, à Tallin et à Braga), mais n’y a encore jamais sifflé lui-même. La politique, en revanche, est une longue histoire pour cet ingénieur de formation :  » J’en fais depuis 12 ans, et avant cela, j’étais actif dans la vie associative. Comme dans l’arbitrage, j’ai gravi les échelons : membre du conseil communal, échevin et maintenant bourgmestre pour la première fois. Je suis membre du CD&V et j’ai obtenu 1.918 voix de préférence aux élections, alors que le deuxième n’en obtenait que 950. Combiner ingénieur en construction et politique devenait très difficile. Il a fallu faire un choix, et j’ai opté pour la combinaison arbitre bourgmestre. Dans les deux cas, c’est de la gestion humaine et j’ai déjà distribué des… cartons jaunes à certains membres du conseil communal pour calmer les esprits !  »

Wouters a mis très vite tous les atouts dans son jeu :  » Lors de mon service militaire, j’estimais que pour siffler à l’échelon national, la connaissance du français pourrait m’être utile. J’ai demandé à effectuer mon service militaire en français et ai été caserné à Beauvechain « .

L’arbitrage est une activité physique alors que la politique se pratique essentiellement dans les bureaux.  » Comme bourgmestre, je suis mon propre patron. Mon agenda est rempli mais quand d’autres vont au restaurant le midi, je vais courir. Un esprit sain dans un corps sain, c’est mon credo. Et je ne suis pas le seul à penser de la sorte : j’ai déjà participé à un match entre bourgmestres belges et néerlandais. Je n’étais encore qu’échevin à l’époque, mais mon bourgmestre était trop âgé pour jouer…  »

DANIEL DEVOS

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