» LES INTELLECTUELS ONT UNE PETITE TENDANCE À MÉPRISER LE FOOTEUX « 

Révélé au grand public dans  » Discours à la nation  » d’Ascanio Celestini, ce Rouche de coeur s’est imposé comme une valeur sûre sur les planches, en même temps qu’il se dévoilait peu à peu au grand écran. Il est actuellement à l’affiche dans  » Les Premiers, Les Derniers  » de Bouli Lanners.

Dans le film  » Je suis supporter du Standard « , tu joues le rôle d’un  » footbalique « , un accro au foot. Il est aussi caricatural ton vrai rapport au foot ?

DAVIDMURGIA : Dans la réalité, je suis très loin de cette passion addictiveau football. Mon rapport me vient bêtement d’un milieu populaire, où les enfants jouaient au ballon dans la rue. Le jeu en collectif, l’instinct puis, plus tard, l’intelligence du terrain. Ce sont toutes ces sensations qui me rappellent l’enfance. Tout ça, je le perds aujourd’hui, je le vois bien quand je refais un match avec des copains. Je viens avec mes quelques vieux restes dans mon sac, mais il n’y a rien à faire, je suis devenu meilleur quand je regarde un match à la télé.

S’affaler dans un canap’ pour mater du foot, ce n’est pas un peu contradictoire aux valeurs que tu défends dans tes pièces avec le Raoul Collectif ou plus encore dans  » Discours à la nation  » ?

MURGIA : Au théâtre, je ne défends pas des valeurs, j’interprète des personnages qui racontent des histoires. J’aime beaucoup les histoires. D’où qu’elles viennent. Parce que les histoires nous invitent à réfléchir. Et le monde du football raconte une multitude d’histoires. Aller voir un match à Sclessin, pour moi, c’est toute une histoire. Les terrils, ces maisons ouvrières qui bordent le stade, ces usines à rallonge, ce haut fourneau à l’arrêt de l’autre côté de la Meuse,… Et puis, ces milliers de supporters de classes sociales différentes qui s’entassent et entonnent des chants dans la même direction, cette appropriation de l’enceinte par des oligarchies financières, l’installation de mécanismes de punition des pauvres… Le football moderne peut raconter beaucoup d’histoires sur les mécanismes du néolibéralisme actuel.

Comment on fait pour consommer du foot en faisant abstraction de toutes ces contingences extérieures ?

MURGIA : On ne fait pas abstraction. Il ne faut pas le faire. Par contre, on peut faire des distinctions. J’aurais bien voulu aller au stade à une époque où les groupes de supporters détenaient une vraie part de la réflexion organisationnelle du club. De plus en plus, les oligarchies financières s’approprient les stades. Il ne faut pas aller jusqu’au Qatar pour s’en rendre compte. Il suffit de se rendre dans l’enceinte de Sclessin pour observer la progression des loges VIP ou l’extrapolation des conneries de demi-hooligans pour justifier cette prise de pouvoir des riches sur les autres supporters. Pour moi, le stade appartient à ceux qui le font vivre.

Tu pourrais, comme le font les Parisiens avec le PSG, rester un supporter d’un Standard qui appartiendrait à un fonds d’investissement étranger ?

MURGIA : Je veux croire qu’il ne suffit pas d’être millionnaire et de sortir un chèque pour être le tout-puissant propriétaire. Il y a des traditions, des supporters qui se sentent légitimement propriétaires du stade. J’aurais aimé connaître aussi cette époque où le lien entre joueurs et supporters était moins distendu. Cette époque où des joueurs étaient ouvriers à Cockerill, par exemple. C’est vrai qu’on a souvent envie que le football retrouve un visage plus humain, beaucoup moins lié au fric. Personnellement, ce que je préfère, c’est aller voir un match de la RAMM (Royale Alliance Melen Micheroux) le club de mon enfance, ou bien ceux de mes amis fromagers, à Herve, le dimanche matin.

Tu te rends bien compte que ce lien entre supporters et joueurs ne reviendra sans doute jamais dans un club comme le Standard ?

MURGIA : Pourtant, je veux croire qu’il reste quelque chose de l’ordre d’une effervescence populaire dans le monde du football, quelque chose de rassembleur aussi. Et puis, je connais certains groupes de supporters qui ne sont pas dupes, qui s’organisent, qui résistent. Ce n’est pas encore tout à fait perdu, non. Je trouve ça dommage que ça se dépolitise de plus en plus…

Tiens, tu penses que le foot se prête plus au drame ou à la comédie ?

Je dirais plutôt à la comédie. Comme celles dont Ken Loach a le secret, par exemple. J’avais beaucoup aimé son Looking for Eric, avec Cantona dans son propre rôle. Mieux : le match philosophique des Monty Python, entre l’Allemagne et la Grèce. Platon, Sophocles, Aristote et consorts contre Kant, Schopenhauer, Nietzsche et Karl Marx qui rentre dans les arrêts de jeu. À mourir de rire.

Pas trop dur d’être fan de foot dans un milieu de théâtreux qu’on imagine plus bobo-intello que footeux ?

MURGIA : En effet, ce n’est pas l’environnement professionnel idéal pour aimer le football… Les intellectuels ont une petite tendance à mépriser le footeux. Un mépris souvent mal placé je trouve. D’ailleurs, on peut aussi observer une démission des intellectuels dans le monde du football. Soit, les aspects sympathiques et bon enfant du football se partagent assez facilement. Je suis assez fier parce que j’en ai déjà converti plus d’un.

C’est quoi le pire truc que t’as fait par amour du foot ?

MURGIA : Bidouiller des systèmes avec la régie, pour m’avertir de l’évolution du score du quart de finale Belgique-Argentine. Mais bon, c’est top secret. Sérieusement, pas grand-chose. Passer ma soirée en tête à tête avec un match de foot, je trouve déjà ça pas mal comme acte d’amour.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTO BELGAIMAGE

 » Pour moi, le stade appartient à ceux qui le font vivre.  » – DAVID MURGIA

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