Bernard Jeunejean

Les arbitres jouent en zone aussi !

Amateur de neuf en matière de jargon footballistique, je viens d’être gâté via L’Europe des Onze. La jeune bande de BeTV aime disséquer l’état de forme des clubs sur base de considérations statistiques. C’est pointu, mais ça va parfois loin. J’ai peur d’un jour les entendre s’inquiéter du fait que tel club sorte de six matches à domicile sans qu’aucun joueur de plus de 27 ans ait mis un seul but de l’extérieur du pied gauche sur phase arrêtée au cours du cinquième quart d’heure…

Par Bernard JEUNEJEAN

Mais cette fois-là, je crois entendre Julien Courtois parler de clean shit ! What ? ! Inconnu au bataillon du vieux Bibi, je traduis merde propre, et la locution me semble un rien paradoxale : j’imagine mal ce qu’a pu aligner un club venant d’aligner quatre merdes propres consécutives, je me sens tactiquement sénescent, limite flip dépressif…

J’investigue. Et, anglophone sommaire que je suis, je découvre que clean sheet se traduit feuille (de papier) propre, comme un devoir rendu sans faute, et désigne un match sans encaisser de but : Thibaut Courtois en était ainsi à six clean sheets avant ce week-end. Et en P3E luxembourgeoise, mon gardien Nico va rougir de fierté en apprenant qu’il stoppe les ballons en anglais et vient d’aligner onze clean sheets ! Chouette, le franglais footeux n’est pas mort, la clean sheet va déferler chez nous, il était temps, le box to box s’essoufflait…

Second bonheur linguistique et british : la découverte de la black zone, j’explique ! Durant Lyon-Apoel, Dionisios Chiotis se couche sur sa gauche et détourne en corner : littéralement sous le nez d’un des arbitres additionnels qui n’a rien vu et laisse coup de pied de but. Ces gars-là sont navrants de dés£uvrement ! Et ça me fait repenser que les deux trouvailles de Michel Platini se positionnent désormais toujours à la gauche du poteau gauche du gardien vu du terrain, alors qu’en 2009, quand les tests démarrèrent en Europa League, les deux gars prenaient place à la droite de son poteau droit ! Une répartition qui paraissait logique pour mieux surveiller les rectangles surpeuplés : au point de corner, l’assistant de touche avait vue sur la zone du poteau gauche ; son nouvel acolyte couvrait celle du poteau droit ; l’arbitre principal veillait dans l’axe aux abords de l’arc de cercle.

Pourquoi diable avoir changé ? En quoi est-ce plus fute-fute si l’arbitre de touche et l’arbitre additionnel doublonnent désormais pour gérer la zone à la gauche du gardien, laissant à l’arbitre principal tout le reste de la surveillance ? C’est ici qu’il faut causer de la black zone, néologisme/FIFA désignant justement cette partie de la surface de réparation à gauche du gardien, qui fait donc face à l’arbitre de touche. Environ 80 % des erreurs d’arbitrage commises dans la surface de réparation auraient lieu dans cette zone, pour une raison simple a priori : c’est la zone la plus éloignée de la course de l’arbitre ! Il faut savoir que depuis des lustres, l’arbitre bien formé parcourt le terrain en arpentant par allers/retours une diagonale imaginaire qui va du back droit à l’extérieur gauche : de façon à être positionné, dans chaque moitié de terrain, à l’opposé de ses deux assistants de touche.

En 2009 donc, les arbitres additionnels ont débarqué à l’essai, pour donner du confort au ref en chef. Les penseurs du sifflet les ont logiquement placés comme décrit ci-dessus pour bien répartir le boulot. Et ils ont demandé aux siffleurs de casser si nécessaire, en fin de trajet, leur sacro-sainte diagonale : pour mieux aller faire le flic du côté de cette black zone que l’assistant de touche ne zyeutait que de loin. Hélas, les pauvres arbitres se sont sentis tout paumés de devoir parfois déserter cette diagonale à laquelle ils avaient été biberonnés. D’où le positionnement actuel de la bande des cinq (qui sont six avec l’arbitre hors-terrain) : le ref garde son cocon en diagonale ; et à chaque bout de terrain, deux sbires sont censés gérer la black zone de concert.

C’est tordu, mais ça vaut la peine de comprendre. Pour se rendre compte à quoi on s’échine alors que des caméras feraient ça bien mieux. Et pour constater que les arbitres, qui sont désormais toute une équipe, se mettent à imaginer des systèmes de jeu sophistiqués ! Il leur faudra bientôt des coaches.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire