Le portrait intime jamais lu du nouvel entraîneur (audacieux, ambitieux, superstitieux) du Standard. Trois passions chez lui : ballon, foot et jeu. Il est ici question d’impatience, d’assurance vie, d’enfant de la télé et même de hantise de l’accouchement.

« Pour lui, tout est clair. Il m’a dit un jour : -Après Charleroi et Saint-Trond, je travaillerai dans un des trois grands clubs belges. Après ça, j’irai en Espagne. Ensuite, je ferai un détour par l’Italie. Et je veux finir à Chelsea. Dans son esprit, le Standard est une suite logique mais ce n’est qu’une étape. Simplement, je pense qu’il est lui-même surpris d’avoir été appelé là-bas aussi vite.  » Vincenzo Ciuro côtoie Yannick Ferrera sur le plateau de Proximus et a appris à très bien le connaître. L’ascension de son chroniqueur ne l’étonne pas.  » Il est à fond dedans et ce qu’il a réussi avec Saint-Trond plaide pour lui.  »

 » A la fin de sa première saison à Saint-Trond, il est déjà passé à une demi-heure de la montée « , rappelle Cisco Ferrera, le paternel, ex-compère de Roger Claessen au Crossing de Schaerbeek, en D1.  » L’année suivante, il a été champion. Puis, il a pris dix points lors des six premières journées cette saison. Encore une dizaine de points et son équipe était pratiquement sauvée… A 34 ans, c’est assez exceptionnel. Et on doit se souvenir de ce qu’il avait fait avec Charleroi. On disait l’équipe condamnée avant le début du championnat. Quand il est parti en février, ils étaient sauvés.  »

Olivier Auquier, ostéopathe, soignait le team Preud’homme en Arabie Saoudite et a fait la connaissance de Yannick Ferrera là-bas :  » En fin de saison passée, je lui ai dit qu’il avait le profil pour entraîner le Standard. Il m’a répondu : -Faut pas rêver. Mais il en rêvait, c’est clair. Chaque fois que j’allais à Riyad, j’étais sidéré par son engagement et son professionnalisme. Il était chargé des analyses vidéo mais il faisait bien plus que ça. Il était toujours sur le terrain pour les entraînements, il arrivait en premier, il était habillé en footballeur et il mouillait le maillot. Ses analyses étaient d’une précision phénoménale. C’est un fin stratège, un fin communicateur et un excellent gestionnaire.  »

 » UN AMBITIEUX QUI NE PÈTE PAS PLUS HAUT QUE SON CUL  »

Yannick Ferrera sait ce qu’il doit à Michel Preud’homme, qui l’avait intégré dans le staff de Gand sur proposition de son oncle Manu, frère de Cisco. A une époque où il commençait à étouffer un peu à Anderlecht.  » Il entraînait des jeunes et il avait envie de travailler avec des plus grands « , rappelle son père.  » On lui demandait d’être patient mais il ne voulait pas attendre, comme d’habitude.  » C’est comme ça qu’il s’est retrouvé analyste vidéo à Gand.  » Il s’est chargé du scouting du Cercle avant la finale de Coupe, Preud’homme a trouvé son travail remarquable. Il aurait d’ailleurs voulu l’emmener à Twente mais il y avait déjà un responsable vidéo en place là-bas.  »

 » Fin juillet, on s’est échangé des SMS avant la première journée de championnat « , se souvient Olivier Auquier.  » Son Saint-Trond recevait le Bruges de Preud’homme. Il m’a écrit : -Salut Olivier. Je joue vendredi contre Michel. Si tu veux, viens me voir, tu es mon invité. Ce sera émotionnellement très chargé. Je lui ai répondu : -Ça va faire drôle à Michel de jouer contre son poulain. Sa réponse : -C’est moi qui vais jouer contre mon maître.  » Et ce soir-là, l’élève a battu le prof.

 » Yannick est terriblement ambitieux, c’est une partie de sa richesse « , lâche Marc Delire, autre compère télé chez Proximus.  » Mais c’est un ambitieux qui ne pète jamais plus haut que son cul ! Et un ambitieux qui respecte les gens, qui ne force pas les choses. Envoyer son CV quand une place se libère, ce n’est pas son truc. Par contre, je savais que si une porte s’entrouvrait dans un club comme le Standard, il la pousserait sans se poser de questions. Dans certaines situations, il peut devenir un petit roquet. Il se dit que sa place, c’est sa place, il ne veut pas la lâcher.  »

 » PREUD’HOMME ÉTAIT SON ASSURANCE VIE  »

Cisco Ferrera décrit un fils qui a ses idées, un homme qui ne se laisse pas influencer.  » Il gagnait super bien sa vie en Arabie Saoudite. Michel Preud’homme était son assurance vie ! Il a laissé tomber tout cet argent pour entraîner Charleroi. Sans me demander mon avis, comme d’habitude… Moi, je suis plutôt prudent. S’il m’avait demandé ce que j’en pensais, je lui aurais dit : -Tu es fou ? Ne fais surtout pas ça. En plus, Preud’homme a l’habitude de prendre son staff avec lui quand il change de club, donc Yannick aurait pu continuer longtemps sa route avec lui. Il ne m’en a parlé que quand c’était réglé avec Charleroi. Je lui ai dit : -Mais enfin… Il m’a répondu :-C’est fini, on ne revient pas là-dessus…

Et on n’a plus jamais parlé de son choix. Même chose quand il a quitté Charleroi, il ne m’en a informé que quand c’était fait. Je lui ai dit qu’il ne recevrait peut-être plus jamais une chance en D1, il m’a répondu qu’il avait suivi sa conscience. Et il a ajouté : -Si je me trompe, je me trompe, mais au moins c’est mon choix et pas celui de quelqu’un d’autre. N’importe quel entraîneur aurait attendu de se faire virer, pour toucher une indemnité. Yannick a préféré casser son contrat. Il n’a jamais été un homme d’argent, dans un monde où tout tourne autour de l’argent. Il ne vise pas un salaire, il vise un palmarès, des titres, des trophées.  »

Olivier Auquier était présent quand il a quitté les gens d’Al Shabab, pendant l’été 2012, pour signer à Charleroi.  » Ils étaient en stage à Genk, il a reçu l’offre, ils ont discuté, ils sont tombés d’accord et Yannick a décidé que c’était le meilleur choix pour lui. Il en a informé les joueurs d’Al Shabab, il a embrassé tout le monde et il a quitté le stage. Ce n’était pas prémédité, il avait laissé ses affaires personnelles à Riyad, je les ai ramenées quand j’y suis retourné pour mon boulot.  »

Vincenzo Ciuro sait que  » Yannick Ferrera avait noté les dates des matches entre Charleroi et Saint-Trond, cette saison, dès la parution du calendrier. Il a gardé une certaine rancoeur par rapport à la façon dont ça s’est terminé pour lui là-bas. Il m’a avoué qu’il n’avait jamais regretté son choix, son départ, il estime que ça l’a plus servi que desservi. Mais il n’en parle quand même pas volontiers. D’ailleurs, en plateau, il faisait toujours attention à ce qu’il disait sur ce club, il voulait utiliser les mots justes pour que ça ne soit pas mal interprété.  »

 » BEAUCOUP DE BOULOT POUR RELEVER LE STANDARD  »

Le journaliste a été en contact avec Yannick Ferrera au moment des pourparlers avec le Standard.  » Il m’a dit que la porte était entrouverte et qu’il allait tout faire pour entrer. Il était convaincu que c’était une opportunité unique dans son plan de carrière, qu’il ne pouvait pas la laisser passer. On s’est à nouveau parlé après son premier entraînement là-bas et il m’a avoué qu’il y avait beaucoup de boulot mais qu’il connaissait déjà les manquements du noyau avant de signer. Il y a des jours où il sera à l’Académie de 8 heures du matin à 8 heures du soir, c’est sûr. Il en rigole, il m’a dit : -Je suis à l’hôtel ici, j’ai ma chambre au centre d’entraînement, je ne rentrerai pas tous les soirs à Bruxelles. Sa période euphorisante a duré 24 ou 48 heures, mais maintenant, il est à fond dans le boulot, il a la tête dans le guidon.  »

Déjà à Saint-Trond, il kottait parfois, à l’hôtel aménagé dans le stade. Yannick Ferrera a une compagne et un appartement à Vilvorde, mais quand il y retourne, il est plus souvent chez ses parents que dans son flat.  » Il a besoin de revenir souvent à la maison… et qu’est-ce qu’il peut regarder comme foot à la télé ! « , dit son père.  » Et que ce soit n’importe quel match, qu’il y ait ou pas un futur adversaire potentiel de son club sur le terrain, il prend plein de notes. Je regarde le foot, lui il l’analyse. Il veut trouver des explications à chaque but encaissé. Il me dit par exemple : -Regarde, celui-là était mal placé ; -Regarde, la défense n’était pas alignée ; -Regarde, il n’y a pas eu de pressing. Il m’explique ce qu’il aurait fait s’il était à la place de l’entraîneur de l’équipe qui vient de prendre un but. Il est obnubilé par l’aspect tactique.  »

Vu que son existence se résume au foot, Yannick Ferrera a sa conception de la vie de famille.  » Se marier, faire des enfants, ce n’est pas dans son plan de vie « , lance son père.  » Il me fait penser à Raymond Goethals, qui faisait toujours basculer les conversations vers le football. Yannick est comme lui : il se lève foot, il mange foot, il dort foot.  » Olivier Auquier signale que l’homme pouvait quand même penser à autre chose quand ils étaient ensemble en Arabie Saoudite :  » Il était fort intéressé par la culture locale. Il m’a fait découvrir Riyad, il pouvait s’émerveiller devant un bâtiment, une tour. Il a aussi une passion pour les langues, il en pratique plusieurs à la perfection. Il a l’âge de mon fils et, parfois, on avait une espèce de relation fils / père. J’étais son confident.  »

Vincenzo Ciuro :  » Il y a quand même des périodes où il arrive à prendre un peu de distance, à faire en sorte que le foot ne soit plus 100 % de sa vie. Il y a quelques mois, par exemple, quand son père a eu des problèmes de santé. A cette période-là, je l’ai vu un peu changer, comme s’il se disait qu’il y avait aussi d’autres choses que le foot qui devaient devenir importantes. C’est une période où il s’est un peu… humanisé.  »

 » IL ADORE LES ENFANTS…. MAIS PAS LE TEMPS  »

On parle de femme, d’enfant, de famille… Vincenzo Ciuro rigole en racontant une anecdote récente.  » Yannick est venu manger chez moi avec quelques amis. Je passe sur son côté difficile point de vue nourriture… A part les pâtes de sa maman, il n’apprécie pas énormément de choses, il a des goûts très classiques. Il dit lui-même que, point de vue cuisine, il est comme un enfant. Quand tu vas manger chez un copain, tu offres en général des fleurs ou du vin. Lui, il est arrivé avec des sacs de cadeaux pour mes filles. Et pour commencer la soirée, il a joué pendant une heure avec la gamine de deux ans ! Avec une petite balle, avec d’autres trucs. On était sidérés, abasourdis. On savait qu’il ne voulait pas d’enfants, mais là… Il les adore mais il estime simplement qu’il n’aurait pas le temps de s’occuper d’une famille parce qu’il est trop concentré sur son job d’entraîneur. Toute sa vie est basée sur sa carrière. Il dit qu’un enfant, c’est quand même beaucoup de contraintes. Et même l’accouchement lui fait un peu peur !  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » En fin de saison passée, je lui ai dit qu’il avait le profil pour entraîner le Standard. Il m’a répondu : ‘Faut pas rêver.’ Mais il en rêvait.  » OLIVIER AUQUIER, AMI DE YANNICK FERRERA

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici