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Le sprinteur qui ne veut pas seulement courir vite

Petit, il était asthmatique. Aujourd’hui, c’est le successeur d’Usain Bolt. Portrait de Noah Lyles (22 ans), athlète talentueux et spectaculaire à suivre vendredi au Mémorial Van Damme

Kevin Lyles, le père de Noah, est un ancien coureur de 400 mètres. Son record personnel est de 45.01. Keisha Caine, sa mère, a été championne NCAA sur 4×400 mètres. Noah ne pouvait donc être qu’athlète. Pourtant, au cours des premières années de sa vie, il souffrait d’asthme. Toutes les six semaines, il devait aller à l’hôpital, où on le reliait à une machine l’aidant à respirer. Lorsqu’il y avait du pollen, deux fois par an, il ne pouvait pas fréquenter l’école pendant un mois. Souvent, il devait dormir debout -sa mère le soutenait- car il n’arrivait pas à respirer couché. Les choses n’ont commencé à s’améliorer que lorsqu’on lui a retiré les amygdales, à l’âge de six ans. Sur les conseils du médecin, il s’est alors mis au sport : basket, base-ball, gymnastique, football, natation…

J’ai ma personnalité, mon envie d’écrire une page d’histoire. J’espère qu’un jour, dans pas trop longtemps, on dira : « Noah is the best. Ever.  » Noah Lyles

Il a déjà douze ans lorsqu’il met les pieds pour la première fois sur une piste d’athlétisme. Sa soeur, Abby, pratique déjà ce sport. Elle est coachée par son père. En assistant à l’entraînement, il fait remarquer qu’elle est bien lente, et les autres enfants aussi. Son père lui dit alors d’essayer, tout comme son jeune frère Josephus. Les deux frangins sont en jeans mais, en effet, ils vont plus vite. C’est le début de leur carrière. Au début, Noah fait de la hauteur. Ce n’est que plus tard qu’il passe sur 100 et 200 mètres. Il a toujours un inhalateur contre l’asthme en poche et suit un régime alimentaire plein de protéines et de fer car il manque de résistance.

À l’école supérieure, on constate qu’il est dyslexique et hyperactif. Il a donc du retard. En athlétisme, par contre, il va très vite et rêve des Jeux Olympiques. À l’âge de 15 ans, en regardant la cérémonie d’ouverture des J.O. de Londres 2012, il se fixe pour objectif d’être à Rio quatre ans plus tard. En 2014, il décroche l’or sur 200 aux Jeux Olympiques de la Jeunesse et en 2016, lors des trials, il se classe quatrième sur la distance, à 9 centièmes seulement d’un ticket olympique. Seuls les vétérans Justin Gatlin, LaShawn Merritt et Ameer Webb le précèdent. À 18 ans, il avait déjà signé un temps de 20.09, pulvérisant un record de high school vieux de 31 ans. Au cours du même mois, en Pologne, le jeune homme d’Alexandria, État de Virginie (juste sous Washington D.C.), était sacré champion du monde junior du 100 mètres.

Lyles et son frère effectuent alors un choix étonnant, du jamais vu chez les sprinteurs américains : dès la fin de leurs études secondaires à la T.C. Williams High School, ils optent pour le professionnalisme. Mauvais élèves, ils refusent une bourse de l’Université de Floride et signent un contrat de huit ans ( ! ) chez Adidas. Intéressant car, aux États-Unis, les étudiants universitaires bénéficiant d’une bourse ne peuvent pas gagner d’argent.

Le plus beau jour de sa vie, dit-il.  » Qu’y a-t-il de mieux qu’être payé pour courir sur une piste et exercer sa passion ?  » La course lui donne un but dans l’existence. Pendant des années, il a eu peur de grandir, de devoir trouver un boulot normal.  » Sans l’athlétisme, je ne sais pas ce que j’aurais fait.  »

Lyles en rêve même littéralement. Dans son sommeil, il se voit signer un temps de 9.41 lors des trials. Le lendemain, il le dit à sa mère :  » Quoi ? 9.41 ? C’est un record du monde !  » Celui d’ UsainBolt est de 9.58′ et Lyles est convaincu de pouvoir le battre.  » Je ne sais pas quand mais je vais faire de mon mieux. Ce n’est pas impossible.  »

Il prend donc une autre décision drastique : à l’automne 2016, Noah et Josephus quittent la Virginie pour le National Training Center de Clermont, en Floride. Keisha, leur mère, est inquiète :  » Ils ne savent pas conduire et Noah n’a pas de permis de conduire mais je les soutiens : ils peuvent vivre leur rêve.  »

Rencontre avec Bolt

Au début, ils ont le mal du pays mais sur la piste, Noah éclate complètement. Il devient champion des États-Unis indoor et bat le record du monde du 300 mètres. En mai 2017, à Shanghaï, il devient le quatrième adolescent à descendre sous les 20 secondes sur 200 : 19.90 et une victoire dans un meeting de la Diamond League. Dans les derniers mètres de la course, il se déchire toutefois les ischio-jambiers. Il prend alors directement l’avion pour l’Allemagne où il consulte le célèbre Hans-Wilhelm Müller-Wohlfahrt, médecin du Bayern de Munich et d’Usain Bolt. Par hasard, il tombe sur le Jamaïcain, venu se faire soigner également. Par respect, il ne lui adresse cependant pas la parole.  » Il n’avait pas l’air heureux, alors j’ai juste dit bonjour. De toute façon, il ne savait sûrement pas qui j’étais.  »

Lyles tente d’être rétabli à temps pour les trials américains mais, après avoir signé le meilleur temps des séries, il se retire en raison d’une blessure au genou. Il ne participe donc pas aux Championnats du Monde à Londres.  » C’était comme si j’avais assez d’argent pour m’acheter la voiture de mes rêves mais que ma mère devait subir une opération urgente et que j’étais le seul à pouvoir l’aider : il n’y avait qu’une chose à faire « , dit-il pour expliquer pourquoi il s’est retiré. N’empêche qu’en regardant la finale du 200 à la télévision, les larmes coulent sur ses joues.  » J’aurais pu faire aussi bien « , dit-il. Le Turc Ramil Guliyev s’impose dans le temps le plus lent aux Championnats du Monde depuis 2003. Mais Lyles décide de ne plus y penser. Un mois plus tard, au Mémorial Van Damme, il remporte la finale de la Diamond League sur 200 mètres en devançant notamment… Guliyev. C’est un signe avant-coureur de sa véritable percée, qui a lieu en 2018. À Doha, à Eugene, à Lausanne et à Monaco, il descend à quatre reprises sous les 20 secondes sur 200 mètres : 19.83, 19.69 (2 x) et 19.65. Aux Championnats des États-Unis, il s’impose sur 100 mètres en établissant un nouveau record personnel (9.88). Il devient le plus jeune vainqueur depuis Sam Graddy en 1984. À moins de 21 ans, Lyles est descendu sous les 10 secondes sur 100 mètres et sous les 19.80 sur 200 mètres. Seul le Jamaïcain Yohan Blake y était parvenu avant lui. Au même âge, Bolt n’avait pas fait mieux que 10.03 et 19.75. Il faut dire qu’il n’avait disputé qu’un seul 100 mètres.

Choquer le monde

Au début de la saison 2019, Lyles exprime ses ambitions : To shock the world again ! Traduction : approcher le record du monde du 200 mètres de Bolt (19.19). Il ne parle pas pour ne rien dire car, début juillet, à Lausanne, après avoir battu son record personnel sur 100 mètres à Shangaï (9.85), il signe un temps de 19.50 avec un léger vent de face. À 13 jours de son 22e anniversaire, il devient ainsi le quatrième coureur le plus rapide de l’histoire derrière Bolt (19.19), Yohan Blake (19.26) et Michael Johnson (19.32). Mais aucun coureur de son âge n’avait jamais couru aussi vite. Toujours très sûr de lui, il tweete :  » Mes chaussettes m’ont dit Time to go Plus Ultra ! ( un slogan de la série de mangas My Hero Academia, voir encadré).

Fin juillet, il décroche le titre national sur 200 mètres et se tourne vers sa mère dans la tribune.  » On a bien fait de se retirer en 2017 ( en raison de sa blessure, ndlr). Aujourd’hui, Dieu m’a dit que c’était pour ça que j’avais remporté la médaille d’or.  » Un mois plus tard, fin août, à Paris, il bat le record du meeting détenu par Usain Bolt (19.65). C’est la deuxième année d’affilée qu’il descend quatre fois sous les 19.80. Seul Bolt y est arrivé, mais une seule année (en 2009).

Pourtant, Lyles ne veut pas être comparé au meilleur sprinteur de tous les temps.  » On dira toujours de quelqu’un qu’il est The Next… « , dit-il.  » Le nouveau Carl Lewis, le nouveau Michael Johnson, le nouveau Bolt… Moi, je suis Noah Lyles. J’ai ma personnalité, mon envie d’écrire une page d’histoire. J’espère qu’un jour, dans pas trop longtemps, on dira :  » Noah is the best. Ever. « 

Noah Lyles veut faire plaisir aux fans. C'est un showman.
Noah Lyles veut faire plaisir aux fans. C’est un showman.  » Qui veut n’être qu’un athlète qui court vite ? « .© BELGAIMAGE

Athlète, artiste, danseur et fan de LEGO

Après avoir établi un record personnel de 19.65 sur 200 mètres l’an dernier à Monaco, Noah Lyles a posté sur Twitter le célèbre extrait du film  » Gladiator  » dans lequel Russell Crowe crie au public dans l’arène :  » Ne vous êtes-vous pas assez divertis ?  » L’Américain est un showman, un personnage du sport, une icône. ICON, c’est d’ailleurs écrit en majuscule sur sa poitrine, en partie parce qu’il est fan du rappeur Jaden Smith et de sa chanson.

 » Qui veut n’être qu’un athlète qui court vite ? Qui veut être comme tout le monde ? Pas moi. Je veux être différent mais rester moi-même, naturel, comme je suis né. J’essaye de rendre les fans heureux, de les amuser avec un pas de danse ou un petit truc en plus. M’amuser et dominer mon sport. Aux États-Unis, l’athlétisme n’est pas populaire, ça doit changer.  »

Lyles y réfléchit consciencieusement. Il prépare les thèmes de ses pas de danse des semaines à l’avance. Avec ses chaussettes. C’est ainsi que l’an dernier, à Doha, avant le Star Wars Day du 4 mai, il s’est présenté avec des chaussettes à l’effigie de R2D2, le robot du film de science-fiction. Avant le départ, il a salué le public avec un sabre virtuel illuminé et a fait un pas de danse. Lors des trials américains, il portait les chaussettes roses de The Incredibles (un film d’animation de super-héros) et il a célébré sa victoire par The Shoot Dance, du jeu vidéo Fortnite.

À Eugene et à Zurich, il a reproduit des caractères de la série d’animation japonaise Dragon Ball Z. Et à Rome, cette année, la transformation d’un Power Ranger, qu’il avait répétée à la maison.  » Sur Instagram, les fans me demandent ce que je vais faire la prochaine fois, quelles chaussettes je vais porter. C’est fantastique, non ?  »

Si Lyles est un artiste, c’est peut-être parce que, quand il était petit et qu’il souffrait d’asthme, sa mère lui faisait suivre des cours d’art.  » C’était mon échappatoire, ma façon d’être normal. Je dessinais des personnages de dessin animés et j’ai vu que je me débrouillais.

À l’école, déjà, il utilisait ce don pour relooker ses chaussures de course. En leur ajoutant un dessin de fleurs de cerisiers du Japon qu’il avait vu à Washington D.C. lorsqu’il était enfant, par exemple. Lyles a également dessiné des chaussettes et des T-shirts pour Adidas. Amateur de mode, au début de l’année, il a défilé à la Fashion Week de Paris. Un jour, il espère présenter sa propre ligne de vêtements.

En Floride, sa maison est pleine de constructions en LEGO (sur son compte Twitter, il se présente même comme athlete, artist, dancer, life lover et LEGO lover) et on y trouve une creative room, où il peint et écrit des chansons de rap. Il en a déjà écrit environ 25, dont sept ont été produites.  » Souvent, les enfants m’abordent en me disant qu’ils ont entendu une de mes chansons. Ils ne me disent jamais qu’ils m’ont vu courir. Au début, ça m’ennuyait mais ma mère m’a dit : C’est la preuve que tu sors déjà du lot. Je me suis dit qu’elle avait raison.  »

Peu musclé

En raison de ses chronos et de son sens du show, Noah Lyles est souvent comparé à Usain Bolt mais sur le plan physique, il n’y a pas de comparaison possible : 1m80 et 72 kg contre 1m95 et 94 kilos. Lyles est une plume, pas un bodybuilder au départ explosif. C’est pourquoi il est moins fort sur 100 mètres que sur 200.  » Il aura toujours des problèmes au départ « , dit son coach, Lance Brauman.

L’Américain mise beaucoup plus sur son excellence technique de course et sur son endurance, qui lui permet de maintenir longtemps sa vitesse de pointe. De plus, il est détendu, stoïque. Cela se lit dans son regard. Il sait qu’il rejoindra de toute façon ceux qui partent plus vite.

Il est donc fait pour le 200 mètres, seule distance individuelle sur laquelle il s’alignera aux Championnats du Monde de Doha, avec l’intention de s’attaquer au record du monde d’Usain Bolt. Ce n’est qu’à Tokyo qu’il tentera le doublé 100/200 m, plus le 4 x 100 mètres. Alors, il deviendra une superstar.

Comme il est fragile, Lyles ne veut pas prendre des risques. Il veille à ce que ses muscles soient suffisamment solides pour affronter une charge toujours plus importante et des temps sans cesse plus rapides. C’est pourquoi, actuellement, il se focalise surtout sur la technique. Plus tard, lorsqu’il sera au point physiquement, il entend disputer la course parfaite.

En tout cas, il bosse dur à l’entraînement. On a pu s’en apercevoir dans un tweet posté début juillet.  » Je ne comprends pas pourquoi les gens me demandent ce que je fais à l’entraînement. Vous croyez que je m’en souviens ? La seule chose que je peux dire, c’est si je suis mort ce jour-là ou pas.  »

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