LE SPHINX

Ce qu’on n’a jamais lu sur la vie privée et professionnelle de l’entraîneur de Gand.

T rond Sollied : le plus beau palmarès des coaches de D1 (13 trophées en Norvège, en Belgique, en Grèce et aux Pays-Bas), une fixation sur le 4-3-3, un orateur / provocateur exceptionnel (voir encadré). Tout cela, on sait. Mais quoi encore ? En grattant, voici ce que l’on découvre sur la personnalité atypique du Norvégien.

Cool, pas glacial

Sollied est chaleureux à l’interview, mais dans le public, il balade une image d’homme froid.  » Ce n’est qu’une façade « , dit Chris Van Puyvelde, qui a été son adjoint à Bruges, à l’Olympiacos et à Gand.  » Des émotions, il en a. Beaucoup. Il a en tête une façon de travailler très précise, c’est fort structuré et il faut le suivre, sinon ça bout à l’intérieur. Il a besoin de l’enthousiasme de ses joueurs.  »

Rune Lange, qui l’a eu comme coach à Bruges, est comme lui originaire du grand nord norvégien, près du cercle arctique :  » Les gens de cette région ne sont pas froids, ils sont simplement tranquilles, relax. C’est normal : c’est peu peuplé, il n’y a pas beaucoup de trafic,… On vit sa vie autrement.  »

Autre natif de la région : Harald Suain, son agent. Ils se côtoient depuis plus de 20 ans.  » Comme Lange, comme Ole-Martin Aarst qui vient aussi du même terroir, comme moi, Sollied n’est pas très causant. Quand on a grandi là-bas, il faut croire qu’on n’est pas expansif.  » L’entraîneur de Gand s’y retrempe chaque année.  » Pas pour très longtemps « , dit Suain.  » Ça ne l’intéresse pas de passer toutes ses vacances là-bas, ce n’est pas un casanier. S’il y fait un petit tour chaque été, et éventuellement en fin d’année, ça lui suffit. C’est comme s’il avait simplement besoin d’aller respirer un peu l’air du nord. Pour le reste, il se sent super bien en Belgique. Sa femme est gantoise, son fils Bengt (en hommage à son père, décédé il y a longtemps) a ses habitudes là-bas. Il est très famille.  »

 » Pour moi, Sollied est l’homme qui ne se fâche jamais « , lance Michel Louwagie, manager de Gand.  » Sur le terrain ou en dehors, il est toujours aussi calme.  » Sollied n’a d’ailleurs jamais été expédié en tribune. Louwagie poursuit :  » Il me fait penser à un sphinx, il est aussi malin que cool. Parfois, ce calme est même énervant. J’aimerais qu’il se manifeste plus, qu’il s’excite un peu après un mauvais résultat. Mais il n’évolue pas sur ce plan-là, il a toujours les mêmes réactions qu’à son premier séjour chez nous. On ne le changera plus.  »

Maniaque de la répétition

 » J’ai travaillé avec lui pendant une dizaine d’années, je le connais comme ma poche, je sais tout sur ses méthodes d’entraînement « , affirme Van Puyvelde.  » Il a fait énormément pour le foot belge au niveau de la couverture en zone et des lignes de course. Quand il est arrivé en Belgique, il a constaté qu’on jouait encore beaucoup l’individuelle, il a voulu trancher. Pour mettre ça dans la tête de ses joueurs, il base ses entraînements sur les répétitions. Tout est répété plein de fois, par blocs. Le passing aussi. Dans son esprit, le footballeur est comme un pianiste qui ne peut pas être brillant s’il ne maîtrise pas parfaitement ses gammes. Il veut que les joueurs travaillent à l’entraînement toutes les situations qu’ils sont susceptibles de rencontrer en match. Il dit que les jours précédant un concert, le pianiste s’entraîne au piano, pas à la guitare. « 

Mort avec ses idées ?

Sollied a importé le 4-3-3 chez nous, quand il a débarqué à Gand à la fin des années 90.  » Pour lui, c’est le système qui a le plus de chances d’amener des occasions, des buts et du spectacle « , dit Van Puyvelde.  » Il s’en écarte rarement. C’est surtout pour les gros matches européens qu’il y fait des adaptations. Chaque disposition a ses inconvénients, Sollied a quelques grands principes pour camoufler les faiblesses du 4-3-3 : ça passe notamment par le timing des courses.  » Plutôt mourir avec son dispositif que survivre avec un autre système ?  » C’est un optimiste, il part du principe qu’il n’est pas près de mourir… « 

Pas un psy

Sollied nous a un jour déclaré :  » Avec moi, c’est difficile d’entrer dans l’équipe mais c’est encore plus compliqué d’en sortir.  » Van Puyvelde confirme :  » Il ne change pas pour changer. Il ne modifie pas sa composition après un mauvais match. Sa porte est toujours ouverte pour les réservistes. S’ils viennent le voir, pas de problème. S’ils ne viennent pas, c’est leur problème ! « 

Négociateur sans pitié

 » Discuter contrat avec Sollied, c’est très compliqué « , lance Louwagie.  » Il sait très bien ce qu’il veut. Si tu le suis, ça peut aller vite. Si tu n’acceptes pas tout, ça peut durer longtemps. Son premier contrat à Gand était bon marché. Parce qu’il voulait absolument travailler en Belgique. Pour le deuxième, il y avait déjà une grosse différence. Et pour le troisième, c’était encore plus. Il est relativement cher pour les normes belges.  » Marc Degryse, qui fut directeur sportif à Bruges au moment où Sollied y était entraîneur, se souvient qu’il avait  » un contrat assez lourd qui faisait grincer des dents dans les bureaux de la direction.  » Suain tempère :  » On ne peut pas le faire passer pour un gars difficile. Dans le recrutement, c’est une crème pour les dirigeants. Il n’impose rien, il suggère seulement des profils, ce n’est pas le genre de coach à faire grève si on ne lui donne pas ce qu’il souhaite. Pour ce qui est de ses contrats, c’est moins compliqué de négocier avec lui qu’avec un Michel Preud’homme, par exemple. Sollied ne peut pas non plus se brader. Combien d’entraîneurs ont remporté des trophées dans quatre pays différents en Europe ?  » Son agent se souvient des discussions avec Antoine Vanhove, le patron de Bruges, entre-temps décédé :  » C’était presque une relation père-fils, ils se comprenaient sans discuter. Sollied dit que, grâce à la présence de Vanhove, il a été au paradis pendant cinq ans à Bruges.  »

Fan d’humour anglais

Le cynisme est une marque de fabrique du Norvégien. Il est parfois difficile de savoir s’il pense premier ou second degré.  » Cynisme, c’est un grand mot « , tranche Van Puyvelde.  » Je parlerais plutôt d’humour anglais. C’est clair que certains joueurs ont du mal avec ça ! Je dirais que ça passe avec 90 % des footballeurs et que les 10 % restants en souffrent. Un jour, Andrés Mendoza s’était battu à un entraînement de Bruges. Sollied l’a appelé et lui a dit : -Je crois que tu aimes bien le foot ? Mendoza a confirmé. Et Sollied lui a alors lancé : -Tu viendras voir nos trois prochains matches, tu t’installeras en tribune.  »

Prof, accro à l’actualité

Sollied nous a déjà expliqué qu’il ne passait pas ses soirées devant la télé pour dévorer des matches.  » C’est tout sauf un malade de football « , confirme Suain.  » C’est quand il parle d’autres sujets qu’il décompresse. Il ne s’en vante jamais mais il est hyper-cultivé. Entre le JT et un match, son choix est vite fait. Il aime aborder les problèmes du monde avec sa famille et ses amis.  » Le coach affirme qu’il est capable d’enseigner plusieurs branches et que, d’ailleurs, il l’a déjà fait. Il a les diplômes pour donner cours de sport, d’économie, d’histoire, d’éducation physique.

Suain dit encore que ses amis ne se trouvent pas essentiellement dans le foot :  » Il y en a dans le monde du pétrole et d’autres énergies, pas seulement en Norvège mais aussi ailleurs en Scandinavie. Et il est en relation étroite avec l’une ou l’autre personnalité politique. Quand il a du temps, il fait des séminaires pour des chefs d’entreprise norvégiens. Et il est toujours un invité privilégié des chaînes de télé quand elles cherchent un consultant pour les matches de l’équipe nationale.  » Son agent est persuadé qu’il se retrouvera un jour à sa tête.  » On parle autant de lui en Norvège que d’ EricGerets en Belgique… Sollied en équipe nationale, c’est un rêve pour beaucoup de gens. Tôt ou tard, il devra bien y passer ! Chaque fois qu’il y a un changement de coach, il fait partie des deux noms les plus cités. Mais pour le moment, il se sent encore trop attiré par le terrain.  »

Guindailleur

Trond Sollied est un prince des nuits gantoises, anversoises, etc. Déjà entendu : sa réputation de fêtard lui a plus d’une fois barré l’accès à Anderlecht. Allô Michel Verschueren ? Sa réaction est peu éclairante mais imparable :  » Mon cher ami, je ne me prononce jamais sur les personnes qui sont dans d’autres clubs.  » Encore ceci :  » On n’a jamais parlé de lui dans nos bureaux.  » Malgré son bon travail ailleurs ?  » Ça, c’est toi qui le dis.  » Louwagie :  » Peut-être que sa réputation le handicape dans son plan de carrière, mais chez nous, ce qu’on dit de lui n’est pas un problème.  »

Quelques dérapages sont dans les mémoires. Un ancien de Bruges se souvient :  » Parfois, le tableau était un peu pénible. Nous sommes allés gagner à Milan. Le lendemain, pas de Sollied au moment de prendre le car devant l’hôtel. Il a fallu aller tambouriner à sa porte, il dormait comme une masse. Tout le monde savait pourquoi. Mais comme l’équipe avait fait un exploit, c’est passé.  » On se remémore aussi une soirée arrosée dans un hôtel de Donetsk, avant un autre match de Bruges.  » Il s’est enfoncé au bar alors qu’il y avait des dirigeants dans la même salle. Le pire, c’est que ça s’est passé la veille du match. Il est arrivé en retard pour le briefing tactique. Il a essayé de se justifier en disant qu’il n’était pas obligé d’y assister, que ses adjoints étaient aussi là pour ça. Il n’a pas convaincu parce que, là aussi, tout le monde savait pourquoi il n’était pas venu à l’heure.  » Dernier incident en date : une plainte pour attouchements déposée contre Sollied en fin d’année dernière. Il s’en serait pris à une dame au dancing La Rocca, en région malinoise. Il a entre-temps été innocenté.  » On peut se demander ce qu’un homme de son âge faisait dans ce refuge pour jeunes, où tout le monde sait que de la drogue circule. Le monde du foot est petit et je suis sûr que sa réputation de noceur est un frein pour sa carrière.  » Lange confirme que  » tout le Club fermait les yeux sur ses écarts quand les résultats plaidaient pour lui mais que ça jasait dès que l’équipe jouait moins bien ou ne gagnait plus. « 

 » Il donne toujours l’impression de prendre de la distance avec les événements, mais l’histoire de La Rocca l’a fort atteint « , dit Suain.  » Se faire cueillir par des policiers, passer au cachot, puis avoir sa tête et des titres pareils en première page des journaux, ça fait mal. L’affaire a été classée entre-temps, mais ça, on en a beaucoup moins parlé. Il y aura toujours, sans doute, des dirigeants de clubs qui refuseront de l’engager à cause de son côté sorteur. Mais il y en a d’autres qui s’en moquent. Le Standard a essayé deux fois de l’avoir : la première, il était encore sous contrat à Bruges, et la deuxième, il négociait aussi avec l’Olympiacos. Genk a également voulu le faire signer, mais il ne le sentait pas. « 

Fataliste

Comment réagit un Sollied qui se fait virer ? Cela lui est arrivé à l’Olympiacos et à Al Ahli.  » Dans les deux cas, il est parti avec la conscience tranquille « , dit son agent.  » Il a fait une saison complète en Grèce, il a décroché le titre et la Coupe. On l’a mis dehors à cause de mauvais résultats en Ligue des Champions, mais l’équipe était encore en tête du championnat à ce moment-là. Et l’Arabie Saoudite… ce n’est pas un pays pour lui. Dubaï ou le Qatar, à la limite, mais pas l’Arabie ! Il peut s’adapter à toutes les situations, mais là, c’est quand même un peu trop strict.  » Et son commentaire n’a pas varié quand il a reçu ses deux C4. Suain :  » Il a dit : -C’est eux qui perdent, pas moi.  »

PAR PIERRE DANVOYE

 » Sollied dit qu’avant un concert, le pianiste s’entraîne au piano, pas à la guitare. « 

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