LE PREMIER PELÉ BLANC

Le meilleur joueur belge du XXe siècle est septuagénaire ce mercredi 2 octobre. Aperçu de sa vie et de son oeuvre par tranches de dix ans. Comme son numéro-fétiche.

1943-1953 : Cadeau de Saint-Nicolas

Le 24 octobre 1953, soit 3 semaines après son 10e anniversaire, PaulVanHimst est officiellement affecté au Royal Sporting Club Anderlechtois. A l’époque, toutefois, il y a 24 mois, déjà, que sa carte d’affiliation sommeille dans un tiroir du secrétariat de l’Ecole des Jeunes des Mauves. C’est qu’à l’âge de 8 ans, le gamin avait accompagné sa tante, et le fils de celle-ci, à La Roue, où était située une des antennes du Centre de Formation du RSCA. Mais si Lucien, le cousin, fut admis, Polleke, lui, allait être sagement éconduit. Et pour cause, puisqu’il n’existait pas encore, en ces temps reculés, de sections diablotins et préminimes, et qu’il fallait donc attendre ses 10 ans avant d’être admis en minimes.

La petite histoire veut que ConstantVandenStock, alors chargé du recrutement des classes d’âge, fut à ce point subjugué par le talent du garçon qu’il s’empressa de lui faire parapher, ainsi qu’à celle qui l’accompagnait, un formulaire d’inscription provisoire. Le futur président s’est longtemps gaussé d’avoir été le premier à découvrir les aptitudes du gaillard. Mais, au Parc Astrid, il n’aura pas été le seul à revendiquer cette paternité. BillGormlie, entraîneur légendaire d’Anderlecht au cours des fifties fait partie de ceux-là aussi. Non sans raison, car indépendamment de ses obligations à la tête de l’équipe-fanion, l’homme était chargé aussi de la prospection. Et notamment au réputé Institut Saint-Nicolas, situé sur le territoire de la commune, chaussée de Mons.

L’établissement scolaire a toujours veillé, au même titre que l’Institut Saint-Jean Baptiste de Molenbeek, à aiguiller en direction du stade Emile Versé ses meilleurs éléments, histoire qu’ils ne signent pas chez un autre représentant du football dans la capitale, comme l’Union ou le Daring. C’est ainsi que des grands noms ultérieurs, tels JefJurion, PierreHanon ou GeorgesHeylens, avaient pris la direction du Sporting. Le petit Paul devait tout simplement s’inscrire dans leur lignée, même s’il s’avérerait, sans nul doute, le plus beau cadeau jamais fait par les Pères et les Frères au RSCA.

1953-63 : 10 qu’on aime

Depuis son incorporation en catégories de jeunes jusqu’à la fin de sa carrière, au beau milieu des années 70, PVH a toujours officié à une seule et même place : le 10, en qualité d’attaquant en retrait. Au RSCA, dans cette attribution, il a épaulé tour à tour des centres-avants nommés FritsVandenBoer, JackyStockman, JanMulder, JohanDeVrindt et AttilaLadinszky. Chez les Diables, il a évolué successivement dans le dos des mêmes Jacky Stockman et Johan De Vrindt mais aussi de VictorWégria (FC Liège), RogerClaessen (Standard) et RaoulLambert (Club Bruges).

Tant au sein de son équipe de club qu’en sélection nationale, Popol se révèle des plus précoces. Ses débuts en formation A anderlechtoise, il les effectue le 27 décembre 1959 à l’occasion d’un match away à Beringen. Il a alors 16 ans et quelques poussières à peine. S’il ne marque pas pour ses débuts, dans une joute remportée 1-5 par ses couleurs, il se rattrape lors de son premier match à domicile la semaine suivante : 4-0 pour les Mauves avec 2 buts de Blitz Frits, un d’AlbertJordan et un encore de notre homme.

En équipe nationale, même topo. S’il ne score pas à la faveur de son maiden-match contre la Suède, au Rasunda Stadion de Solna, dans la banlieue de Stockholm (succès 2-0 des locaux le 19 octobre 1960), il ouvre le score pour la Belgique dès le match suivant (2-1 face à la Hongrie, le 30 du même mois au Heysel). Il vient alors tout juste de fêter son 17e anniversaire. Paul Van Himst épinglera en définitive 81 caps pour le compte de notre sélection représentative, sa dernière étant obtenue dans le cadre d’une joute devant la République Démocratique Allemande le 7 décembre 1974 au Zentralstadion de Leipzig (0-0).

Avec quelque 30 goals à son actif, il est toujours, à l’heure actuelle, co-recordman du nombre de buts inscrits pour le compte du team Belgique, conjointement avec le Lierrois BernardVoorhoof (né le 11 mai 1910, avec un total de 61 présences chez les Diables entre 1928 et 1940).

1963-73 : Couvert d’or

Depuis un peu plus d’un demi-siècle, plusieurs joueurs se sont vus affubler du sobriquet de PeléBlanc, en référence à la perle noire brésilienne EdsonArantesdoNascimento (né le 23 octobre 1940 et vainqueur de 3 Coupes du Monde avec le Brésil en 1958, 1962 et 1970) et considéré comme le meilleur joueur de tous les temps. Parmi eux, on citera son compatriote Zico ainsi que les Européens JohanCruyff (Pays-Bas) et WlodimierzLubanski (Pologne). Mais le tout premier, à coup sûr, à avoir reçu ce surnom aura bel et bien été Paul Van Himst.

La comparaison flatteuse est due au réputé journaliste français JeanPhilippeRéthacker, attaché toute sa vie au quotidien sportif L’Equipe. A l’heure où les compétitions européennes n’avaient pas encore leur aura actuelle, il était de tradition, pour les grands clubs, d’organiser des nocturnes prestigieuses (Anderlecht l’a fait notamment contre le FC Santos, le Racing de Buenos Aires et le FC Blackpool) ou des tournois pendant l’été. L’un des plus réputés était celui de Paris, disputé dès 1957 au Parc des Princes.

En 1960 et 1961, le FC Santos avait remporté l’épreuve quadrangulaire, respectivement aux dépens du Racing Paris (4-1) et Benfica (6-3). Sa vedette, Pelé, avait alors régalé le public, aux côtés de ces autres artistes qui avaient pour noms Coutinho et Pépé. En 1964, ceux-là sont toujours là mais ils sont éclipsés par un Paul Van Himst grandiose, principal artisan du succès des siens devant le Borussia Dortmund (5-2). Deux ans plus tard, rebelote, avec une victoire finale, cette fois, contre l’Entente Racing Paris-Sedan : 3-1. Avec un PVH toujours aussi en vue. De quoi lui valoir la une du journal sportif français et cette appellation de PeléBlanc.

Grâce à Paul Van Himst, lauréat du Soulier d’Or en 1960 et 1961 déjà, et récompensé à nouveau en 1965 (avant de récidiver une dernière fois en 1974), Anderlecht vit des temps héroïques, marqués par une kyrielle de titres nationaux et de succès en coupe de Belgique sous la houlette d’un entraîneur hors-normes : le Corse PierreSinibaldi. Seul bémol : l’indigence européenne, car hormis une finale européenne en 1969-70, en Coupe des Villes de Foire (l’ancêtre de la Coupe de l’UEFA), le Sporting ne s’inscrit jamais dans la durée, tant en CE1 qu’en CE2 (l’ancienne Coupe des Coupes) ou en CE3.

1973-83 : Jubilaire et contestataire

La saison 1973-74 débute plutôt mal pour Paul Van Himst. Après avoir battu le FC Zurich par 3-2, au stade Emile Versé, au premier tour de la Coupe des Vainqueurs de Coupe, le n°10 des Mauves refuse ni plus ni moins d’être aligné au match-retour. Le coach, UrbainBraems, désire maintenir le tandem AttilaLadinszkyRobbyRensenbrink en front de bandière et demande exceptionnellement à Popol de glisser sur le flanc droit de l’attaque. Ce que l’intéressé, peu rompu à cette tâche, refuse. C’est AndréDeNul, en définitive, qui s’y colle, relayé en seconde armure par le Suédois IngeEjderstedt. Mais rien n’y fait, le RSCA est battu 1-0 et est éliminé sans gloire dès son entrée sur la scène européenne.

PVH est mis à l’amende pour son attitude : 100.000 francs belges, soit l’équivalent de 2.500 euros. Mais le président Constant Vanden Stock est prêt à la supprimer si le Sporting, qui a terminé à une modeste 6e place au bout de la campagne 1972-73, derrière le Club Bruges, le Standard, le Racing-White, le Beerschot et le FC Malines, renoue avec le titre. Ce qui se vérifie quelques mois plus tard, puisque les pensionnaires du Parc Astrid s’imposent devant l’Antwerp et un nouveau venu dans le giron du football de la capitale, le RWDM, fruit de la fusion entre le Racing-White et le Daring Molenbeek.

En 1975, le capitaine du RSCA fête ses 15 années de présence en Première. Il est mis à l’honneur par le truchement d’un jubilé, le 6 janvier, qui réunit le gratin du football mondial : le roi Pelé en personne, Johan Cruyff et ses compatriotes hollandais JohanNeeskens et WimVanHanegem, l’Espagnol Amancio, le Portugais Eusebio et les Italiens SandroMazzola et GianniRivera, entre autres. Les Mauves l’emportent ce soir-là, sous une pluie battante, par 8-3. Pour Paul Van Himst, il en va là, en réalité, d’un deuxième match de gala. Le 12 mars 1969, il avait déjà été honoré pour ses 10 ans en équipe-fanion à l’instar de ses coéquipiers JeanTrappeniers et JeanCornélis. Les Anderlechtois s’étaient alors imposés 3-2 face à Benfica.

1983-93 : Consécration européenne

C’est contre les mêmes Lisboètes que Paul Van Himst, devenu entraîneur entre-temps, réussit ce qui s’est toujours refusé à lui comme footballeur : remporter une coupe européenne. L’affaire est enfin pliée en 1983, en finale aller-retour de la Coupe de l’UEFA : 1-0 au Heysel (le Parc Astrid étant relifté au même moment) et 1-1 à l’Estadio da Luz, grâce à un but de JuanLozano. L’année suivante, le Sporting, toujours drivé par PVH, est proche d’un doublé dans la même compétition : 1-1 à Anderlecht face à Tottenham Hotspur et même score au retour à White Hart Lane. Les Mauves s’inclineront finalement aux tirs au but.

Paul Van Himst avait fait ses adieux à ses couleurs de la plus belle manière qui soit, en 1975, via une victoire en finale de la Coupe de Belgique face à l’Antwerp (1-0). Longtemps, on a cru qu’il poursuivrait sa carrière chez les Anversois, voire au Sporting Charleroi, qui lui faisait une cour assidue également. Mais, contre toute attente, le joueur le plus emblématique des Mauves se lie alors au frère-ennemi, le RWDM. Une trahison qui ne lui sera jamais pardonnée par le public anderlechtois, qui le siffle d’ailleurs copieusement à son retour au Parc Astrid sous la casaque des Coalisés.

L’aventure tourne toutefois court pour PVH au stade Edmond Machtens et, après un an seulement, il s’en va à l’Eendracht Alost. Dans ce cas-ci aussi, les amateurs s’étaient pressés au portillon pour lui. Mais s’il y a une constante dans le CV de l’Anderlechtois, c’est que tant comme joueur que comme mentor, plus tard, il n’aura jamais été éloigné de plus d’un quart d’heure de son domicile, à Grand-Bigard. Anderlecht, le RWDM, l’Eendracht Alost et l’Union Belge, sise sur le plateau du Heysel, en sont la preuve.

1993-2003 : Footballeur du Siècle

Après avoir connu 3 clubs comme joueur, Paul Van Himst se limite au même chiffre comme coach. A Anderlecht (1982-85) succèdent le RWDM (1987-89, en qualité de Directeur Technique) et, enfin, l’équipe nationale belge (1991-96). Au bout de ces 5 ans-là, rideau. Avec lui aux commandes, les Diables Rouges disputent le 23 août 1995 un match de gala face à l’Allemagne, organisé à la fois à l’occasion du centenaire de l’URBSFA et de l’inauguration du Stade Roi Baudouin, celui-là même qui sera le cadre du match d’ouverture de l’EURO 2000.

Dans la foulée, PVH est élu Footballeur belge du siècle. L’UEFA, pour son centenaire, en 2004, le nomme de son côté  » JoueurenOr « . Comme entraîneur, nonobstant une nomination comme  » Coach de l’Année  » en 1983, obtenue suite à ce qui allait être la dernière victoire du RSCA en finale d’une Coupe d’Europe, l’homme n’a pas vraiment eu le même impact. Il est vrai que lorsqu’on a été, comme lui, 4e et 5e au classement du Ballon d’Or européen, en 1964 et 65, faire mieux comme mentor se révèle ardu. Il faut déjà s’appeler Johan Cruyff, PepGuardiola ou JuppHeynckes pour mériter cette double reconnaissance.

2003-2013 : Monsieur l’Ambassadeur

Suite au décès du mythique GuyThys, le 1er août 2003, Paul Van Himst est appelé par l’URBSFA à remplacer l’Anversois au titre d’ambassadeur de notre football. Une activité dont il s’acquitte non seulement dans le cadre des Diables Rouges mais aussi en matière de lobbying. En mai 2010, PVH a ainsi fait partie de la délégation officielle qui a remis à la FIFA le dossier de la candidature conjointe de la Belgique et des Pays-Bas pour l’organisation du Mondial 2018. Pour les Pays-Bas, c’était cette vieille connaissance de Johan Cruyff qui avait été réquisitionnée. Mais si Pelé a appuyé avec succès le dossier du Brésil pour 2014, le premier Pelé blanc, et l’autre, n’ont pas eu la même chance pour leur pays respectif…

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Après le Mundial 70, Van Himst, ulcéré, tourne le dos aux Diables. Six mois plus tard, il revient en fanfare : victoire 3-0 et hat-trick contre l’Ecosse.

Anderlecht, RWDM, Eendracht Alost, les Diables Rouges : le joueur belge du XXe siècle n’a jamais travaillé à plus de 15 minutes de son domicile, à Grand-Bigard.

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