Le phénomène

L’attaquant congolais est indiscutablement l’homme de la fin de saison des Bruxellois. Explication d’une métamorphose réussie.

La promenade de santé n’était pas annoncée et pourtant, elle a bien eu lieu vendredi soir sur la pelouse de Genk (0-4). C’est d’autant plus étonnant que les Mauves étaient privés pour l’occasion de leur meilleur joueur des play-offs : Dieumerci Mbokani. L’ex-attaquant du Standard crève l’écran depuis plusieurs semaines, ce qui a amené le directeur général, Herman Van Holsbeeck, à se demander comment garder un tel diamant dans nos contrées.

Après son échec à l’étranger, un retour en mauve tendu avec les supporters, la perte tragique de son nouveau-né, quelques blessures et des up and down sur le terrain, Dieu a mis tout le monde d’accord. Son entourage donne les raisons d’une métamorphose.

 » Il est comme Anderlecht : unique « 

Daniel Renders, entraîneur adjoint à Anderlecht :  » Il n’y a guère de comparaison possible entre le Dieumerci Mbokani que j’ai connu au Parc Astrid il y a 6 ans et celui que je côtoie depuis le début de cette saison. A un détail près, évidemment : son talent. Il le possédait déjà à son arrivée et ses aptitudes sautent toujours aux yeux. La différence, c’est à la fois l’expérience qu’il a emmagasinée entre-temps mais aussi son épanouissement personnel. Jadis, Dieu était un gars renfermé. Il était difficile de le sonder et communiquer avec lui n’était guère aisé non plus car il ne maîtrisait pas vraiment le français. Il n’avait pas, non plus, l’occasion de s’exprimer sur le terrain, en ce sens que Mémé Tchité et Nicolas Frutos faisaient alors figure de priorités. A présent, c’est différent : il est le leader incontesté de notre attaque et il est également l’un de ceux qui se font entendre dans le vestiaire.

Et il a de véritables potes comme Cheikhou Kouyaté, Kanu, Guillaume Gillet ou ses compatriotes Patou Kabangu et Bedi Mbenza. En 2006, il eût été impensable qu’il leur serve de guide car il était tout sauf un modèle, surtout sur le plan de la discipline et de la ponctualité. Maintenant, il est l’exemple à suivre, dans la mesure où il ne confond plus l’entraînement du matin et de l’après-midi et qu’il est toujours à l’heure lors des repas aussi. Il est vraiment devenu une locomotive pour les autres.  »

Jean Kindermans, directeur sportif du centre de formation :  » Le club a tiré les leçons du passé et, d’une certaine façon, Dieumerci en profite. Jadis, Anderlecht n’était sans doute pas préparé pour seconder au mieux le jeune talent africain. C’est ce qui explique les déboires avec des joueurs tels Nii Lamptey Odartey ou James Obiorah, par exemple. Le Sporting était fier de les avoir attirés, sans se rendre compte des véritables implications de leur arrivée. En quelque sorte, ces garçons étaient abandonnés à leur sort. En dehors des entraînements et des matches, ils devaient quasi se débrouiller seuls. A présent c’est différent : le club possède une cellule sociale pour leur venir en aide. Quand Dieu a eu la douleur de perdre son petit David, à l’âge de cinq mois, des suites d’une mort subite, il a eu immédiatement le soutien du responsable de ce département, Peter Smeets. Il a été très sensible à cette attention de la part de la grande famille des Mauves et ce drame a eu pour effet aussi de le responsabiliser.

Dieu est devenu beaucoup plus mature. Il maîtrise également mieux ses émotions. A ses débuts, il avait parfois toutes les difficultés du monde à se dominer, criant à l’injustice voire au racisme. Maintenant, il ne pète plus les plombs pour un rien et n’invective plus les arbitres. Il se focalise totalement sur son jeu et s’en porte d’autant mieux. Ce n’est pas le Sporting qui s’en plaindra.  »

Philippe Collin, secrétaire général :  » Je n’étais pas opposé à son retour mais sous forme de prêt parce que je redoutais quand même qu’il retombe dans ses travers. Sous cet angle-là, je me suis trompé. Dieu s’est incontestablement racheté une conduite. Et, sur le terrain, quel talent ! Il était déjà fort mais, à présent, il a atteint la plénitude.

Je me suis mordu les doigts qu’il ait mené le Standard par deux fois au titre en 2008 et 2009 alors qu’il était encore Anderlechtois quelques mois plus tôt. Aujourd’hui, je me frotte les mains qu’il soit de retour. Il n’est évidemment pas le seul à nous avoir placés sur une voie royale. Mais il y a grandement contribué « .

BediMbenza :  » Dieu est un véritable père pour Patou Kabangu et moi. Et un papa-poule pour son fils. Je l’ai connu à l’époque où nous évoluions au Bel Or à Kinshasa. Il était déjà notre Mister50 %. Ici, ça n’a guère changé. Il est très important pour l’équipe car il n’y a pas plus complet que lui dans la division offensive.  »

Milan Jovanovic :  » J’ai toujours soutenu que Dieu était le meilleur joueur avec qui j’avais été associé aux avant-postes et mon jugement n’a toujours pas changé, que du contraire. Au Standard, lui et moi avions formé un chouette quatuor avec Igor de Camargo et Wilfried Dalmat. Ici, on est plus performant encore grâce à la touche technique de Matias Suarez et aux qualités d’infiltreur de Gillet.

Mais il faut bien avouer que Dieu est un cas à part. Personne ne parvient à conserver aussi bien un ballon que lui malgré la présence de deux, voire trois adversaires. Et aucun d’entre nous n’a un sens du but aussi aiguisé. Il est comme Anderlecht : unique.  »

 » Un des attaquants les plus doués d’Europe  » (Claude Leroy)

Claude Leroy est l’actuel sélectionneur de la République Démocratique du Congo. Il est également celui qui offrit à Mbokani sa première sélection chez les Léopards alors qu’il évoluait encore dans un petit club congolais (Bel Or).  » J’ai une passion pour les attaquants ce qui explique pourquoi j’ai lancé la carrière d’éléments comme GeorgeWeah ou François Omam-Biyik. Dieu appartient à cette catégorie d’attaquants. Il est un des attaquants les plus doués en Europe. Il peut vous rater des occasions mais ça veut dire qu’il s’en crée. Il a la technique efficace, il va vite, il est puissant et il est courageux sur un terrain. Ses qualités peuvent l’amener dans n’importe quel championnat. Ils sont rares les avants aussi complets et avec autant de qualités. Le lendemain de l’élimination du Barça par Chelsea, j’ai dit à mon adjoint qu’avec Mbokani, les Blaugranas n’auraient jamais été éliminés.

Son caractère ? En France, on l’a catalogué comme un joueur difficile de façon bien trop hâtive. Emettre un jugement de valeur sur une ou deux conneries, c’est ridicule. Pour ma part, j’estime que c’est quelqu’un de très facile à diriger. S’il est très vite devenu une vedette, il avait besoin d’être éduqué. Il est relativement timide : on voit qu’il manque de confiance mais il faut aussi savoir d’où il vient et les circonstances dans lesquelles il a grandi. C’était en pleine période de guerre civile : elle a fait des dégâts énormes. Cette saison, il a traversé une nouvelle épreuve douloureuse avec la perte de son fils mais il a su la traverser grâce à son entourage familial et sportif. On sent qu’il est heureux à Bruxelles, c’est en tout cas le sentiment que j’ai eu après avoir déjeuné avec lui récemment. Il m’a semblé avoir mûri. « 

Patrice Neveu fut l’entraîneur de la RDC de 2008 à 2010. Il est aujourd’hui le sélectionneur de la Mauritanie :  » Il dispose des qualités footballistiques d’un joueur de très haut niveau. Ne croyez surtout pas que son échec à Monaco prouve qu’il n’a pas le niveau pour évoluer dans un grand championnat. Il est incompréhensible qu’un club qui casse sa tirelire ne fasse rien pour accompagner le joueur. On est capable de dépenser sept millions mais on ne trouve pas 4.000 euros par mois pour payer une nounou et aider le joueur à s’adapter à son nouveau paysage. A l’ASM, Dieu a été abandonné à son sort. Pour bien le connaître, je peux vous dire que c’est justement quelqu’un pour qui l’affectif a une part importante. C’est quelqu’un de particulier : il peut vous donner beaucoup si vous montrez de l’écoute et de la compréhension. Le fait qu’il soit de retour à Bruxelles, qu’il ait retrouvé ses amis, c’est une donnée cruciale à sa réussite. Monaco, c’est Monaco. C’était un décor un peu brutal pour lui. Il aurait fallu que quelqu’un lui fasse visiter la ville, l’emmène boire un coup, etc. S’il est bien dans sa tête, il est à même d’accepter toutes les contraintes d’un attaquant sans rechigner. Son caractère me fait penser à celui de Franck Ribéry même si celui du Français est encore plus affirmé.

Je n’ai toutefois jamais eu d’accrocs avec lui en sélection parce que j’étais ouvert au dialogue. Il arrivait qu’il soit en retard aux entraînements mais je connais bien la mentalité africaine. Il n’affiche pas un comportement de vedette. C’est pas quelqu’un de capricieux. Les gens ont tendance à se faire une fausse image de lui. Surtout qu’il est du genre à reconnaître ses torts. Dans un vestiaire, il n’a jamais de problèmes avec personne. Il prend le foot comme un jeu ; parfois un peu trop. Mais c’est ce qui fait la beauté de son style : c’est un joueur dans l’âme. « 

PAR THOMAS BRICMONT ET BRUNO GOVERS

 » Avec Mbokani, le Barça n’aurait jamais été éliminé par Chelsea.  » (Claude Leroy)  » Son caractère me fait penser à celui de Ribéry même si celui du Français est encore plus affirmé.  » (Patrice Neveu)

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