Pierre Bilic

Le peuple du sport n’a pas renoncé à sa belgitude

Par Pierre BILIC

Sur les terrains de football, il y a rarement des montées aux cieux en cas d’éloignement entre les composantes d’une indispensable trinité : équipe, public, direction. C’est sous des regards de carême, torturés par un long jeûne, que le Sporting carolo, tenu en échec sur ses terres par Eupen (2-2, alors que seul un succès lui aurait permis de disputer la cinquième et dernière manche des play-offs 3), a pris l’ascenseur pour l’échafaud. Une page d’histoire est tournée. Il restait pourtant un souffle de vie, comme les joueurs l’ont démontré en fin de match, mais une petite partie de l’assemblée n’a pas su attiser les braises de l’espoir durant 90 minutes. Luka Peruzovic aurait certainement profité d’un gros soutien populaire pour secouer le plan tactique de Dany Ost, momentanément le sauveur des Pandas.

On peut admettre des divorces (nombreux entre les inconditionnels des Zèbres et une direction bayatienne changeant sans cesse de cap) mais pourquoi faut-il toujours briser la vaisselle à Charleroi? Vingt-six ans de présence en D1 méritaient, malgré des rancoeurs compréhensibles, une assemblée plus généreuse. L’union sacrée s’imposait pour renverser le cours des événements. Au-delà de l’échec sportif, imputable en grande partie à Abbas et Mogi Bayat, nullement excusé par son départ, il faudra recoller la porcelaine, rétablir le dialogue entre le club et ses disciples, comprendre qu’un monument doit repartir du bon pied en D2 et y retrouver cette image sympa chiffonnée depuis des années ; Charleroi était progressivement devenu le vilain petit canard du foot belge.

Le porte-drapeau du Pays Noir a les moyens de recomposer les chants du succès en D2, ces hymnes sportifs qui donnent la chair de poule à tout un pays. La semaine passée (voulait-il encourager les Zèbres?) Philippe Gilbert est parti du stade du Pays de Charleroi pour remporter la Flèche Wallonne à la façon des plus grands champions cyclistes. Au Mur de Huy, puis à Liège, les vivats de la foule l’ont poussé vers sa légende. Ses supporters sont légion à travers tout le pays. Le leader des Lotto-Omega Pharma jouit d’une formidable popularité en Flandre. Il n’y en a plus que pour lui dans les médias, au point de reléguer Tom Boonen au second plan. Son panache, son charisme et son bilinguisme plaisent aux amateurs de cyclisme du nord qui l’ont encouragé sur les routes wallonnes. N’est-ce pas la preuve, en ces temps incertains, que le sport dépasse les clivages politiques ? La Flandre adore les champions wallons comme Gilbert ou, avant lui, Michel Preud’homme, Philippe Albert, Alex Czerniatynski, François Sterchele, sans oublier, entre autres, Claude Criquielion, Jean-Marc Renard ou Robert Waseige dans son rôle de coach des Diables Rouges. Pour en rester un instant au cyclisme, la Wallonie, de son côté, ne s’est pas contentée d’être « merckxienne » et a sans cesse admiré les cracks flamands tels Stan Ockers, Rik Van Steenbergen, Lucien Van Impe, Freddy Maertens ou Rik Van Looy.

En dévalant vers Liège, les coureurs de la Doyenne sont passés au large du stade de Sclessin. L’antre du Standard a toujours été une terre d’accueil pour les footballeurs flamands (Wilfried Van Moer, Eric Gerets, Guy Vandersmissen, Steven Defour…) mais pouvait-on imaginer qu’en plus de son célèbre « Tous ensemble, tous ensemble, hé, hé », cet enfer reprenne en flamand le refrain d’un rappeur du nom de… Pita (« Waar is da feestje? Hier is da feestje ». (« Où se passe la fête ? La fête est ici »), adaptéà la sauce foot au FC Malinois et autour de l’équipe nationale ? Sans oublier, la présence dans les tribunes de la guest-star Defour, le capitaine flamand du Standard qui s’est amusé en chantant parmi les supporters contre Lokeren.

Même si rien n’est parfait, en foot ou en cyclisme, le peuple du sport n’a pas renoncé à sa belgitude. Tout cela ne nous rendra pas un gouvernement mais cela indique au moins un chemin à suivre, celui de la fête, à Charleroi qui a un trop beau passé pour s’éterniser en D2…