LE PETIT POUCET DE LA BUNDESLIGA

Il y a dix ans, le SC Paderborn 07 recevait le VfB Kirchhellen ou le TSG Dürmen. Bientôt, le Bayern Munich et le Borussia Dortmund vont s’y déplacer. Visite d’un des plus petits clubs de l’histoire de la Bundesliga.

Les réceptionnistes de l’Hôtel Kaiserspfalz sont surpris : que vient faire un journaliste belge ici ? Parler de la montée du club local en Bundesliga ?  » Ce n’est pas vrai, vous êtes venu jusqu’ici pour ça ?  » La serveuse du Resto Galerie, au centre, est aussi incrédule. Elle est originaire de Bielefeld, le rival de Paderborn, rétrogradé en D3 avec 27 millions d’euros de dettes. Le club a dépensé trop pendant ses jours de gloire et Paderborn ne veut pas suivre cet exemple.

La ville de Westphalie, située à quelque 100 kilomètres au nord-est de Dortmund, n’est qu’à 400 kilomètres de Bruxelles. En Belgique, Paderborn, avec un peu moins de 150.000 habitants, serait une des six plus grandes villes mais elle n’est que la 55e d’Allemagne. Il y a treize ans, le club évoluait en D5. Il a rejoint la deuxième Bundesliga pour la première fois de son histoire en 2005. 5000 supporters s’étaient rassemblés sur la Rathausplatz. En 2009, après une descente suivie d’une rapide remontée, ils étaient deux fois plus et le 11 mai dernier, quelque 20.000 personnes ont fêté la montée en Bundesliga.

Le match de la promotion contre Aalen a été celui des adieux du capitaine Markus Krösche, qui a joué treize ans pour le club.  » Quand j’ai signé, j’ai dû demander où se trouvait le club. Lors de mon premier match, dans le vieux Lönsstadion, devant 600 personnes, j’ai vu les câbles de haute tension juste au-dessus du terrain. Je me suis dit que je ne resterais pas plus d’un an.  »

Robert Hoyzer, un arbitre très généreux

Deux mois avant les débuts de Krösche, Paderborn avait été champion d’Oberliga (D5) devant 800 personnes.

Le vieux stade, utilisé jusqu’en 2006, est à quatre kilomètres du centre, dans le quartier du Schloss Neuhaus, du nom de l’imposant château qui domine la commune. L’arène, du nom d’un poète local, a connu la deuxième Bundesliga en 1983-1984, avec le TuS Schloss Neuhaus. Après sa rétrogradation en 1985, Neuhaus et Paderborn ont fusionné pour devenir le TuS Paderborn-Neuhaus puis, en 2007, le SC Paderborn 07, rappel de l’année de fondation du TuS Neuhaus. C’est à ce moment qu’un marchand de meubles local, Wilfried Finke, a repris le club.

Les poteaux d’éclairage du Hermann Löns-stadion sont toujours là mais sans lampes. La tribune assise aussi. Les places debout sont envahies de mauvaises herbes. Le stade accueille désormais les Paderborn Dolphins American Football. Andreas Berger, responsable de l’entretien, montre une photo du stade comble, en 2004, quand Paderborn, alors en D3 avait reçu Fribourg en Coupe, après avoir battu 4-2 le Hambourg de Daniel van Buyten et Emile Mpenza, alors qu’il avait été mené 0-2. L’arbitre Robert Hoyzer avait accordé deux penalties imaginaires à l’équipe locale et avait exclu Mpenza. Sans le vouloir, Paderborn avait ainsi été cité dans le grand scandale de corruption qui a éclaté en 2005.

Aucune rencontre en nocturne

La Benteler Arena est située à deux kilomètres. Elle dispose de 15.000 sièges, de 4.370 places de parking et de 2.000 places pour vélos.

L’Arena, qui a coûté 25 millions, a été inaugurée en 2008, alors que le club venait de redescendre en D3. Ce n’est pas un hasard si le stade est juste à côté de l’immense entreprise de Wilfried Finke. Celui-ci doit son succès à l’ouverture d’une série de magasins dans l’ancienne Allemagne de l’Est, juste après la Réunification. Il est ainsi devenu numéro un du marché à l’Est. De son bureau, il a vue sur le stade. Le site présente un inconvénient : trois riverains se sont tournés vers le tribunal et ont obtenu qu’on ne trouble pas leur repos nocturne, à partir de 22 heures. Paderborn est donc le seul club de Bundesliga à ne pouvoir disputer aucun match le soir.

L’assistance a progressivement augmenté. Il y a trois ans, elle ne dépassait jamais les 7.000. Le premier entraînement de la saison s’est déroulé devant 2.000 personnes. Le 18 juillet, il ne restait plus que 1.500 abonnements en places debout. Dès que le club a annoncé qu’il accorderait la priorité à ses membres, ceux-ci ont augmenté, passant de 1.900 en avril à 11.000. Comme chaque membre paie une cotisation annuelle de 100 euros, ça fait une jolie somme. Le club ne vendra que 300 places debout par match à domicile, en ligne. Même s’il perd tous ses matches, il est déjà assuré de jouer toute la saison dans un stade comble.

Motus et bouche cousue

Aujourd’hui, Paderborn ne s’entraîne pas. La préparation a été mise entre parenthèses une semaine, avant le stage en Autriche. Pendant qu’on tond la pelouse, trois jeunes employés du petit fanshop suivent à la télévision le retour triomphal de l’équipe nationale à Berlin. Quand nous leur demandons comment vont les affaires, c’est la panique.  » Nous ne pouvons rien dire. Nous jouons en Bundesliga, maintenant.  » Peut-on prendre une photo de la boutique ? Non.  » Il faut une autorisation.  » Au secrétariat, les deux employés se regardent. L’un d’eux appelle un assistant de la Geschäftsstelle. Lui non plus ne peut accorder de permission. Matthias Hack, l’attaché de presse, est injoignable.  » Dès qu’on l’aura eu en ligne, on lui demandera de vous contacter.  » Rien. Il faut préciser que Hack, avant notre reportage, avait précisé que personne ne serait disponible pour une interview.

Le centre-ville est orné de drapeaux allemands, mêlés aux rouge et jaune de la ville. Les fêtes se succèdent. Celle de la promotion, puis la fête des tireurs et le titre mondial de l’Allemagne. Dans dix jours, c’est la fête Libori, qui dure dix jours. Cette fête catholique remontre au 8e siècle, quand Charlemagne a fait ériger une église à Paderborn.

Du nom d’une rivière

Paderborn porte le nom de la plus courte rivière d’Allemagne, la Pader, alimentée par 200 sources sur 4 kilomètres. Elle s’enorgueillit d’une histoire de 1.200 ans, même si elle a été reconstruite après la Deuxième Guerre.

Le Rathaus arbore fièrement le livre d’or, signé par les joueurs et les entraîneurs en ce fameux 11 mai, qui a réuni 20.000 personnes malgré la pluie. Quelques semaines plus tôt, le quotidien Bild s’était moqué de Paderborn, qui n’avait même pas de balcon d’où les joueurs pourraient saluer les fans. Le bourgmestre avait rétorqué qu’en 1640, lors de la construction du Rathaus, la Bundesliga n’existait pas encore. Donc, pour la fête, on a construit un podium temporaire.

A cent mètres de là, la terrasse du Café& Bar Celona est un peu la place m’as-tu vu, avec l’Eiscafé voisin. En semaine, on peut y apercevoir les joueurs. La plupart habitent la ville et nul ne les dérange.

 » Nous sommes un petit club dans une petite ville et ça ne changera pas de sitôt « , raconte Rainer Bockmann,un habitant qui sirote un café en terrasse.  » On nous traite de provinciaux mais il fait bon vivre ici et le taux de chômage est très bas. On nous dit aussi calotins mais nous ne passons pas notre vie à l’église, même s’il y en a beaucoup.  » Bockman a assisté à la promotion. C’est une bonne chose pour l’image de la ville, selon lui.  » Mais nous restons modestes. Il y a un an, nous espérions tout au plus nous maintenir en deuxième Bundesliga. Maintenant, nous rêvons de rester en Bundesliga.  »

La première classe

Jens Reinhardt, le RP de la ville depuis 25 ans, nous attend cent mètres plus loin. Il est originaire de Dresde et supporter du Dynamo depuis son enfance mais Paderborn ne pouvait rêver meilleur RP. Il a lancé une campagne de marketing qui doit modifier l’image de la ville, grâce à la montée du club. Le slogan ? Paderborn ist erstklassig (Paderborn, c’est la première classe).

Le 11 mai, le bourgmestre Michael Dreier était au stade et aujourd’hui, il est fier de nous recevoir.  » Cette montée est un moment historique pour les habitants. Jamais il n’y a eu plus de 20.000 personnes au centre pour une fête. Il y a un an, personne n’aurait imaginé ça. Même le président du club se serait contenté d’un classement entre la septième et la douzième place : la saison précédente, le club était douzième. Nous ne pouvions rêver plus belle campagne de marketing. On n’a jamais parlé autant de la ville que ces trois derniers mois.  »

Michael Dreier, lui-même supporter du Borussia Mönchengladbach depuis toujours, est surtout fier de la manière dont ce succès est survenu.  » Le club a obtenu le maximum avec des moyens limités. Il a tout retiré de jeunes joueurs payables. Paderborn a un des budgets les plus modestes de Bundesliga.  »

La Ville a contribué à la construction du stade à hauteur de 3,4 millions, le reste provenant de fonds privés. Maintenant, elle veut aider le club à bâtir un complexe d’entraînement mais elle n’investira pas plus d’argent dans le club.

Paderborn n’est pas Hoffenheim

Il précise que la ville comporte une université accueillant 22.000 étudiants, qu’elle offre 80.000 emplois et que 300 entreprises spécialisées en informatique occupent ensemble 15.000 personnes. Le chômage est quasi inexistant.  » Le contribuable ne peut pas se plaindre que l’argent de la Ville disparaisse dans le club. Je soutiens les pierres, pas les jambes.  » Le bourgmestre vante les mérites du président, gestionnaire avisé.  » Sans Wilfried Finke, Paderborn n’aurait jamais rejoint la Bundesliga. Aucun autre club n’a obtenu pareil succès avec aussi peu de moyens.  »

Pourtant, Paderborn n’est pas Hoffenheim, qui a bénéficié des 60 millions versés par son mécène. On estime que depuis 1997, Finke a investi entre dix et douze millions dans son club. Il doit intervenir davantage depuis la promotion en D2. Si un jour, il ne trouve pas d’autre sponsor maillot, il placera son nom sur les équipements des joueurs. La saison prochaine, il ne doit pas se tracasser : KSZ paie 800.000 euros pour figurer sur les vareuses. Il est le sponsor le moins généreux de l’élite.

Néanmoins, Paderborn traîne encore 3,7 millions d’une dette totale de sept millions, issue du passé. Le président a promis de l’effacer cette saison. Le club va percevoir 19 millions en droits TV. Il restera donc 15 à 16 millions pour payer les salaires. La saison prochaine, Paderborn sera définitivement débarrassé de ses dettes.

Revirement en 2008

Un des rares habitants de Paderborn à n’avoir pas profité de la promotion, Jochem Schulze,est journaliste pour le Neue Westfalische, un des deux quotidiens locaux. Jusqu’il y a peu, c’est lui qui fournissait au Kicker les articles sur le club mais depuis la montée de Paderborn, le magazine a confié le suivi du club à un journaliste fixe.  » Un cliché colle à la peau de Paderborn en Allemagne : la photo de la cathédrale avec, en avant-plan, vingt nonnes. Seul Münster a une image encore plus conservatrice, en Allemagne. La ville tente de changer sa réputation depuis une dizaine d’années mais ce n’est pas évident. De ce point de vue, la montée en Bundesliga constitue un cadeau du ciel.  »

Le club grimpe les échelons footballistiques depuis des années, sans aligner de noms connus. Schulze nous explique que le revirement s’est produit en 2008 quand le club a cessé de recruter des footballeurs chevronnés mais chers et des joueurs de second rang de l’ex-Yougoslavie. Les nouvelles recrues sont jeunes, allemandes et ont bénéficié d’une excellente formation dans des clubs de Bundesliga, sans y recevoir leur chance.

Le noyau promu ne comptait que cinq étrangers, dont quatre nés en Allemagne plus un avant néerlandais, déjà parti. Hormis un transfert récent, IdirOuali, une vieille connaissance passée par Mouscron, tous les joueurs du noyau parlent allemand.

Ces illustres inconnus ont forcé la montée avec un budget sportif minime : le troisième plus étriqué de sa division.

L’esprit d’équipe

Paderborn n’a consacré que 6,2 millions aux salaires. Ce poste passera à quinze millions cette saison. C’est toujours le moins cher de l’élite. Il est inférieur de deux millions au budget avec lequel l’Eintracht Braunschweig est monté il y a un an et vient de redescendre.

Paderborn ne veut pas dépenser plus qu’il ne gagne, même s’il risque de quitter le nirvana allemand au bout d’une saison. Tous les joueurs qui ont participé à la montée sont restés, à l’exception de quelques éléments qui n’étaient pas titulaires réguliers. Ils ont tous obtenu un contrat de deux ans et l’occasion rêvée de se distinguer au plus haut niveau. Ils comprennent qu’ils feraient tout au plus banquette dans un autre club de Bundesliga. Pour s’assurer de meilleures chances de maintien, le club aurait dû enrôler des joueurs de haut niveau mais il aurait perdu l’esprit d’équipe qui a fait sa force. Donc, il attend de voir la tournure des événements et il est préparé à un retour en deuxième Bundesliga.

C’est avec cet objectif que les professionnels s’entraînent au quotidien à la Paderkampfbahn, à quelques centaines de mètres du Rathaus. Le vieux stade a perdu ses tribunes. Un panneau accroché à la clôture prévient :  » Les personnes assistant aux entraînements sont priées de se tenir à la gauche du terrain.  »

Rendez-vous le 24 septembre

Les visiteurs respectent la règle. Un tunnel souterrain mène du parking au côté intérieur du ring. C’est là que les joueurs se parquaient, avant. Ils étaient obligés de payer leur place, comme tous les autres utilisateurs.  » Quelle histoire, hein ? « , s’exclame Schulze.  » Paderborn est le seul club pro dont les joueurs doivent payer un ticket de parking pour pouvoir s’entraîner. Enfin, depuis, ils peuvent laisser leur voiture gratuitement !  »

Le décompte a commencé. Le 28 août, le petit nouveau reçoit Mayence. Deux semaines plus tard, c’est au tour du FC Cologne mais le grand moment de la saison est programmé le 24 septembre. Le Bayern Munich rend alors visite au Petit Poucet de l’élite du football allemand.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS CHRISTOPHE KETELS /BELGAIMAGE

 » On n’a jamais parlé autant de Paderborn que ces trois derniers mois.  » Michael Dreier, bourgmestre de la ville

Le club a à la fois le sponsor et la masse salariale les plus faibles de l’élite.

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