LE PETIT Barça

Le sous-marin jaune remonte à la surface. Après une saison 2009-2010 où il a failli s’échouer, Villarreal est désormais 3e.

En Espagne, et de plus en plus car le fossé ne fait que se creuser, il y a les deux grands – le Real Madrid et le FC Barcelone – puis les 18 autres clubs de D1 qui jouent un deuxième championnat, la Liga bis. Son leader est Villarreal. Un club unique, un phénomène, que l’on connaît mal.

La préhistoire et l’histoire moderne

D’abord, Villarreal (avec deux l et deux r), c’est le nom d’une ville. Une toute petite cité de 50.000 habitants, située au nord de Valence, dans la province de Castellón. Le club s’appelle Villarreal CF ( Villarreal Club de Fútbol), et pas La Villa Real, comme on l’entend parfois. Mais l’appellation peut effectivement prêter à confusion, car dans le dialecte valencien, le nom de la ville s’écrit Vila Real (en deux mots et avec un seul l), et cette orthographe se retrouve dans le nom de certains clubs de supporters.

Le Villarreal CF fut fondé le 10 mars 1923,  » pour encourager les jeunes à la pratique du sport et en particulier du football « , comme le voulait la philosophie de l’époque. L’équipe de football jouait alors en maillot blanc et short noir. Il a fallu attendre 1946 pour qu’il adopte la couleur jaune, qui lui vaut aujourd’hui son surnom de sous-marin jaune en référence à la chanson des Beatles ( YellowSubmarine).

Mais l’histoire moderne du club prend cours le 16 janvier 1998, dans un restaurant connu de la ville, la Peña Don Esteban, où était présenté le nouveau président FernandoRoig. Il succédait au président historique, Pascual Font de Mora, et l’on crut qu’il se chargerait dans un premier temps de maintenir le club en D2, ce qui n’avait déjà rien d’une sinécure étant donné les dimensions étroites de l’association.

Devant 200 supporters médusés, il annonça un tout autre objectif :  » Messieurs, dames, dans deux ans, nous serons en D1 « . Il s’est… trompé : l’ascension fut fêtée non pas deux ans plus tard, mais quatre mois plus tard, après un partage à Saint-Jacques de Compostelle et sans pèlerinage préalable.

Fernando Roig, c’est un grand entrepreneur de la région de Valence. Le roi de la céramique, comme on l’a surnommé, car il est à la tête de la société Pamesa et possède aussi une chaîne de supermarchés, Mercadona. Il est marié à une artiste peintre, Elena Negueroles, qui lui a donné deux enfants. Il fut longtemps l’un des actionnaires du FC Valence et président du club de basket Pamesa Valencia, avant de céder tout cela à son frère, JuanRoig, et d’acquérir – fin 1997 – 95 % des actions de Villarreal CF. Une fois monté en D1, son ambition ne se limita pas au maintien. Il fit du club une valeur sûre en Europe.

Tout commença par deux succès dans la défunte Coupe Intertoto, en 2003 et 2004. Poursuivant sur sa lancée, il atteignit en 2006 les demi-finales de la Ligue des Champions, où il fut battu par Arsenal. Au printemps 2010, Villarreal s’enorgueillissait de six années de présence ininterrompue sur la scène européenne, mais on a bien failli voir cette série stoppée au printemps 2010. Jusqu’à l’annonce, par l’UEFA, de la suspension de Majorque, criblé de dettes. Villarreal, 7e de la dernière Liga, fut donc repêché et est toujours en course en Europa League, après avoir croisé la route du Club Bruges, entre autres, en phase de poules. Les supporters les plus anciens, ceux qui chantaient The Yellow Submarine pour fêter l’ascension en D3 suite à un succès sur Burjassot, sont ceux qui apprécient le plus la période de gloire actuelle. Roig, qui a reçu en 2008 le prix de meilleur dirigeant sportif de l’année décerné par le quotidien El Mundo Deportivo, a éveillé l’ambition de tot un poble, tout un peuple, comme le dit l’hymne officiel du club.

Il y a deux ans, dans le même restaurant de la Peña Don Esteban, Roig fêta le dixième anniversaire de sa prise de pouvoir en déclarant :  » Au cours de la prochaine décennie, nous remporterons un trophée.  » Il lui reste huit ans pour réaliser cette nouvelle prophétie. Il apporte chaque année des améliorations : construction du centre d’entraînement, agrandissement du stade du Madrigal, amélioration qualitative de l’effectif. Mais la domination outrancière des deux grands du football espagnol rend la chasse aux trophées particulièrement ardue.

Un air sud-américain

Villarreal doit évidemment son ascension fulgurante aux investissements financiers de son président. Attirés par de juteux contrats, de véritables vedettes n’ont pas hésité à opter pour ce petit club de province qui ne compte que 18.000 abonnés. Du Roumain Gica Craioveanu, la première véritable star qui débarqua au Madrigal, au jeune Italien Giuseppe Rossi (qui, avec 61 buts, vient de battre le record de buts inscrits sous le maillot jaune, détenu jusque-là par Diego Forlán avec 59), ils furent nombreux à rallier la région valenciennes. Le recrutement a longtemps été effectué en Amérique du Sud : les Argentins JuanRomanRiquelme et MartínPalermo, l’Uruguayen DiegoGodin, le Mexicain GuillermoFranco et le Brésilien (désormais naturalisé espagnol) Marco Senna : tous ont écrit de belles pages d’histoire.

La tradition est toujours vivace : le Brésilien Nilmar et l’Equatorien JeffersonMontero figurent parmi les vedettes de l’équipe. Et, durant le mercato hivernal, Villarreal a fait revenir en Espagne l’arrière droit brésilien Cicinho, qui n’a pas plus convaincu à l’AS Rome qu’au Real Madrid où il avait joué précédemment. La cellule de recrutement s’est révélée très performante : les scouts ont démontré leur bonne connaissance du marché en repêchant des joueurs comme Pepe Reina et Forlán, auxquels peu de gens croyaient, et ont fait preuve d’habileté dans les négociations pour attirer des joueurs libres comme Sonny Anderson, Robert Pirès, Joán Capdevila ou Nihat Kahveçi.

Mais Roig ne s’est pas contenté d’attirer des stars étrangères à coup d’espèces sonnantes et trébuchantes. Il a, parallèlement, créé un centre de formation très performant lui aussi, qui a déjà produit des joueurs comme Santi Cazorla ou tout récemment Bruno Soriano, néo-international. L’équipe B, composée de jeunes du cru, s’est d’ailleurs hissée en D2 au printemps dernier. Parmi toutes les filiales de clubs de D1, elle est la seule – avec le Barça B – à évoluer dans l’antichambre de l’élite. De là à ce que des comparaisons surgissent entre le sous-marin jaune et les Blaugranas, il n’y a qu’un pas.

La Ciudad Deportiva de Villarreal, c’est une petite Masia. Elle s’étend sur 700.000 mètres carrés et comporte une douzaine de terrains. La résidence accueille des jeunes de 14 à 18 ans venus des quatre coins d’Espagne, mais aussi d’autres régions du monde. Villarreal aligne 38 équipes de jeunes et deux féminines. Les comparaisons ne s’arrêtent pas là : comme Barcelone, Villarreal propose un jeu offensif et attrayant, basé sur une bonne circulation du ballon, et puise largement dans son centre de formation pour compléter l’effectif de l’équipe Première. L’engagement de l’entraîneur actuel, Juan Carlos Garrido, découle d’ailleurs de cette philosophie. A peine plus âgé que Pep Guardiola, il a longtemps dirigé l’équipe B lui aussi, et connaît tous les jeunes sur le bout des doigts. Le choix de Garrido a été dicté par le fils du président, Fernando Roig Jr. , qui a convaincu son père d’abandonner l’idée d’un coach de renom pour faire confiance à un enfant de la maison, quand bien même celui-ci serait dénué d’expérience au plus haut niveau.

Pellegrini a lancé les premières torpilles

Jusque-là, l’entraîneur emblématique était le Chilien Manuel Pellegrini. Engagé en 2004, il était l’homme qui devait emmener Villarreal à la conquête de trophées. L’homme en connaissait un bout en la matière : il fut champion du Chili avec l’Universidad Católica, champion d’Equateur avec la Liga Deportiva de Quito et champion d’Argentine avec San Lorenzo et River Plate. Son jeu offensif correspondait parfaitement avec la philosophie de jeu voulue par Roig et, bien qu’il n’ait pas remporté le moindre titre en Espagne, le succès fut au rendez-vous avec Villarreal également. Au point qu’il séduisit le Real Madrid, qui le débaucha en 2009. Mais en fin de saison dernière, il dut faire place nette pour José Mourinho. Il entraîne désormais Malaga.

Pour succéder à Pellegrini, Villarreal fit appel à Ernesto Valverde. Ce ne fut pas une réussite : après huit journées, le sous-marin jaune détenait la lanterne rouge du championnat 2009-2010. La nomination de Garrido, en février 2010, marqua le début du redressement. La spirale positive continue aujourd’hui, malgré quelques frictions avec quelques stars ou pseudo-stars comme Diego Godin (parti depuis lors) ou GonzaloRodriguez, et le départ de joueurs importants comme l’attaquant Joseba Llorente (retourné au club de son c£ur, la Real Sociedad remontée en D1) ou des vétérans Pirès et Ariel Ibagaza. Remplacés (oserait-on dire avantageusement ?) par des jeunes, qu’ils soient Espagnols ou Argentins (comme Mateo Musacchio et Marco Rubén, issus de Villarreal B), ou par des transferts ciblés et très rentables, comme le défenseur Carlos Machena arrivé de Valence pour apporter son expérience ou le milieu de terrain Borja Valero, provenant de Majorque.

Villarreal sait évidemment que les limites de la ville réduisent ses possibilités de développement. Le Madrigal demeure un stade très tranquille, même si sa capacité est passée en dix ans de 5.000 à 25.000 places, en conformité avec les normes européennes. Le budget du club est de 63 millions, soit une fois et demie celui d’Anderlecht. Et le nombre de clubs de supporters est encore loin, très loin, d’atteindre celui du Real Madrid ou de Barcelone : il y en a actuellement 39. Parmi ceux-ci, on distingue la Peña Celtic-Submari, née en 2004 des relations fraternelles développées après une joute européenne entre le Celtic et Villarreal.

 » Villarreal est un club idéal pour y travailler « , affirme le capitaine, Senna.  » On est chouchouté, on ne doit se préoccuper que du football et les dirigeants sont attentifs au moindre détail. Et puis c’est calme, les supporters ne t’ennuient pas. Lorsque tu vas au supermarché pour faire tes courses, ils t’abordent calmement, t’encouragent. Les footballeurs le savent et c’est l’une des raisons pour lesquelles ils viennent si volontiers. C’est très convivial. Lorsqu’on part en déplacement, il arrive que le président joue aux cartes avec nous. « 

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: REPORTERS

 » Lorsqu’on part en déplacement, il arrive que le président joue aux cartes avec nous.  » Marcos Senna Comme le Barça, place aux jeunes et à un jeu offensif attrayant.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire