Le parfait caméléon

Partout où il est passé, il a su s’imposer. Même si, à Santander, il fut confronté à ses limites.

Il a peut-être réussi en Espagne mais il est revenu en Belgique avec la même timidité. Sa présentation officielle a tourné au casse-tête pour les journalistes.  » Ce n’est pas à moi à dire si j’ai progressé à Santander.  »  » Ce que je peux apporter au Standard ? Vous verrez.  » Ou comme il dit lui-même,  » ce n’est pas avec sa langue qu’on va aider son club.  » Il n’est donc pas venu pour parler. Encore moins pour expliquer son choix.

Mémé Tchitéest venu pour faire ce qu’il a toujours fait : marquer. Et il lui aura fallu à peine quatre minutes contre le Cercle de Bruges, pour son premier match officiel, pour mettre les choses au point. Le public ? Conquis. Oubliée la trahison anderlechtoise. Tchité a marqué, a bien dit qu’il revenait à la maison et n’a pas manqué de serrer pinces sur pinces à l’issue de sa première rencontre. Ne cherchez plus, le Standard, en mal de vedettes, a trouvé sa star, le public son idole, et les adversaires leur tourmenteur.  » On ne peut même pas parler d’occasion. Tchité se la crée tout seul et là, on se rend compte que c’est un joueur de classe « , a d’ailleurs reconnu l’entraîneur du Cercle, Bob Peeters.

Car, le joueur aux quatre nationalités (congolaise, rwandaise, burundaise et belge) en a fait du chemin depuis ses débuts au Standard.  » Il était timide « , reconnaît un de ses équipiers de l’époque, Eric Deflandre.  » C’est normal « , renchérit Philippe Léonard.  » Il était jeune parmi les grandes personnalités de l’époque, Ivica Dragutinovic, Vedran Runje, Sergio Conceiçao et moi-même. Il était réservé mais très respectueux des anciens. Sans cesse à l’écoute. Avec moi, il s’intéressait à Thierry Henry, David Trézéguet, Sony Anderson, tous des attaquants que j’avais côtoyés à Monaco. Je lui disais que ces joueurs restaient toujours 30 minutes après l’entraînement pour des exercices spécifiques. Je pense que cela lui a servi dans sa carrière.  »

Rapidement, Tchité allait faire son trou.  » Il trouvait facilement le chemin des filets « , se souvient Deflandre.  » Il était capable de faire la différence par sa vitesse, son sens du but et son bon jeu de tête. Il s’agissait du prototype de l’attaquant complet.  »  » Au début, il lui manquait un peu de finition et de maturité « , tempère Léonard.  » Il était encore capable de rater l’immanquable mais il a corrigé cela très vite. Avec l’âge, il a appris à prendre la décision au bon moment. « 

Divisés sur son expérience espagnole

Si c’est au Standard qu’il allait exploser, son passage à Anderlecht fut tout aussi prolifique. 21 buts en une saison. De quoi arracher un transfert à Santander en 2007. Coût de la transaction : 7 millions d’euros. En 87 matches sous le maillot vert et noir, Tchité allait marquer 26 buts. Sans être toujours titulaire, son passage en Espagne fut une réussite. Du moins, vu de la Belgique. Car, en Espagne, le prix de la transaction laissait présager autre chose.

 » La direction n’a jamais été satisfaite du rendement de Tchité « , explique Eduardo Del Rio, correspondant de l’hebdomadaire Don Balon à Santander.  » Elle avait consenti un lourd investissement pour s’assurer ses services et le rendement n’a jamais été proportionnel. Ce qui me dépasse, c’est que le Racing a souvent changé d’entraîneur ces dernières années, mais chaque fois qu’un nouveau coach arrivait, il refaisait confiance à Tchité. Pour quelqu’un qui manquait d’efficacité, il a beaucoup joué.  »

 » Lorsqu’il est arrivé en 2007, personne du Racing Santander ne l’avait vu jouer « , continue Alfredo Matilla qui suit Santander pour le quotidien As.  » Il fut acheté sur les conseils de Pablo Fernández Longoria, un gourou internet qui possède une banque de données impressionnante sur les joueurs étrangers. Marcelino, l’entraîneur en 2007, voulait un attaquant rapide capable de marquer une vingtaine de buts par saison. Fernandez Longoria lui a dit qu’il avait trouvé ce phénomène et le Racing a fait la transaction le dernier jour du mercato, en même temps que le Polonais Ebi Smolarek.  »

Pendant trois ans, si les dirigeants et la presse remirent en question l’investissement, le public fut séduit par le style Tchité. Sauf durant les derniers mois.

 » Lorsqu’il réceptionnait le ballon sur son pied gauche, il était obligé de s’arrêter pour le remettre sur son pied droit « , analyse Del Rio.  » Il perdait du temps, et du coup, la défense se repositionnait et l’occasion était passée. Dans de nombreux matches, aussi, il lui arrivait de se présenter complètement seul devant le gardien adverse, mais il loupait la cible. Cela ne pouvait plus continuer, le public commençait à le prendre en grippe. Au début, Tchité était encore parvenu à faire illusion. Il ne marquait pas davantage, mais il était vif, rapide, cherchait la profondeur. On s’attendait à ce qu’il devienne plus efficace au fur et à mesure mais il n’a jamais corrigé ce défaut. « 

 » C’était un attaquant qui ne marquait pas « , corrobore Pedro Fernandez, correspondant du quotidien Marca à Santander.  » Or, une équipe comme Santander a besoin d’un vrai buteur.  »

Le penalty raté face à Barcelone a sans doute sonné le glas de son séjour au Racing.  » Sportivement, le club ne cessait de dégringoler et financièrement, la crise se faisait sentir « , dit son agent, José De Medina.  » Dans sa tête, rester à Santander, c’était stagner. D’autant plus que le club faisait pression pour qu’il laisse tomber ce procès contre la FIFA.  »

 » Ce n’est pas vraiment une surprise pour moi qu’il ait quitté le Racing pour rentrer en Belgique « , affirme Fernandez.  » Cela faisait un moment que la direction cherchait à le vendre. Le plus surprenant, c’est que cela a duré jusqu’au dernier jour du mercato. « 

Le Standard a grillé West Bromwich Albion et Anderlecht

Pourtant, malgré tous les signes annonciateurs de la fin de l’idylle, le deal a tardé. Sur les rangs, en première ligne, West Bromwich Albion et des clubs grecs.  » L’offre anglaise le tentait « , reconnaît De Medina. Car, au départ, Santander entendait bien récupérer sa mise et même faire un petit bénéfice, en plaçant la barre entre 8 et 9 millions d’euros. Bien trop haut au vu du contexte économique.  » Oui mais Santander a toujours bien vendu ses joueurs et il ne faut pas oublier que Tchité constituait le transfert le plus cher de l’histoire du club ! « , dit De Medina.

Les Anglais ont abandonné l’affaire et le Standard s’est positionné dans les derniers jours du mercato, acculant Santander qui, face à l’urgence, lâcha le joueur pour une somme bien moins inférieure à celle que WBA était prêt à débourser.  » Le Standard s’est positionné intelligemment car au départ, il y avait bien peu de chances pour que Mémé aboutisse à Liège « , dit De Medina.  » La direction espérait le revendre pour une belle somme d’argent « , ajoute Fernandez.  » Or, elle a dû se satisfaire d’une somme bien inférieure à celle du prix d’achat. « 

 » La politique de Santander a été modifiée « , explique Del Rio.  » Désormais, les gros investissements, c’est fini. Cet été, le club a déboursé 1 million pour toute la campagne de transferts et obtenu huit joueurs : quatre sous forme d’achat, et quatre en prêt. On espère que cela portera ses fruits. En cas contraire, il faudra de nouveau investir, avec les risques que cela comporte. Le Racing n’a pas à proprement parler de problèmes financiers, le club a été assaini, mais il ne roule pas sur l’or et doit compter ses sous. « 

Dans la dernière ligne droite, le Standard a failli se retrouver confronté à Anderlecht. Un recruteur des Mauves avait, en effet, été prévenu de la situation et il n’avait pas manqué d’en faire part à sa direction.  » La rumeur dit qu’un dirigeant du Sporting s’est opposé à son retour « , dit De Medina.  » Mais de toute façon, deux éléments jouaient contre les champions de Belgique : le temps et le contexte. Si Anderlecht avait eu plus de temps, il serait sans doute rentré dans les négociations. Quant au contexte, il faut bien avouer que les dirigeants de Santander parlaient toujours avec amertume d’Anderlecht car ils avaient dû payer beaucoup pour Tchité et qu’ils avaient même dû aller en justice. « 

Finalement, pour 2 millions d’euros, l’affaire était bouclée en faveur du Standard.

 » Il a su donner une réponse au racisme « 

Mais dans quel état d’esprit Tchité revient-il en Belgique ?  » Le fait que sa famille se trouve en Belgique a joué dans son choix mais Mémé est pro et il a toujours de l’ambition. Il n’est pas revenu pépère, près de sa famille « , dit De Medina.

Tchité revient également avec un bagage bien plus fourni qu’à son départ.  » Il a joué l’Europa League lors de sa première saison « , continue son agent.  » Santander a vendu des joueurs à Séville (NDLR : José Angel Crespo) et au Real Madrid (NDLR : Sergio Canales) et Tchité a joué avec ces joueurs. En Espagne, vous ne pouvez que vous bonifier. Vous devez rester concentré pendant 90 minutes.  »  » Quand vous revenez d’une expérience à l’étranger « , dit Léonard,  » vous êtes meilleur. A l’entraînement, vous êtes confronté à un niveau plus élevé et chaque week-end, vous avez la possibilité de vous juger face à une opposition costaude.  »

 » A Santander, Tchité était utilisé comme attaquant de profondeur « , dit Matilla,  » Sa vitesse est impressionnante et physiquement, il était très fort. Il savait mettre la défense adverse sous pression mais techniquement, il était limité. Surtout son pied gauche. « 

Réussira-t-il à Liège ? Sans aucun doute car partout où il est passé, Tchité a laissé une trace.  » Il va apporter à la jeune équipe du Standard sa maturité et son assurance devant le but « , observe Léonard.

De plus, il a une faculté d’adaptation assez prodigieuse.  » Pour réussir une carrière dans différents pays, l’adaptation est une condition sine qua non « , lâche De Medina.  » Il ne faut pas oublier qu’il a dû digérer le passage entre l’Afrique et le Standard. Quand il est arrivé en Belgique, il m’a tout de suite dit – L’Europe ressemble à l’idée que je m’en faisais. C’est un parfait caméléon. En Espagne qui, à certains niveaux, est un pays raciste, il a su se faire accepter. Certains souffrent du racisme et d’autres savent le faire reculer. Mémé est de ceux-là. Il a su donner une réponse au racisme.  »

par stéphane vande velde – photos: belga

« La rumeur dit qu’un dirigeant d’Anderlecht s’est opposé à son retour (José De Medina, son agent) »

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