Le parcours d’un combattant

Avant d’arriver au Standard, l’attaquant camerounais a dû franchir bien des obstacles. Et ça continue puisqu’il ne joue pas…

Janvier 2004. JohanVermeersch organise une conférence de presse pour présenter sa nouvelle recrue du mercato hivernal, le jeune Camerounais AloysNong repéré à Visé. Alors que les deux hommes ont pris place sur le podium, le président du FC Brussels s’adresse à l’assistance en ces termes :  » Je vous présente ma petite cacahuète…  » Puis, se tournant vers le joueur :  » Tu as intérêt à marquer des buts, sinon la porte est là…  »

Dans l’esprit de Vermeersch, c’était sans doute un trait d’humour, mais on sait aussi que l’homme d’affaires est parfois plus que maladroit dans ses propos. Nong fait mine de sourire, d’apprécier la plaisanterie de son président, mais on le sent déjà mal à l’aise. Face à l’assemblée de journalistes, il ne sait plus où se mettre.

Bruxelles, période sombre

Aujourd’hui encore, Nong considère son passage dans la capitale comme la période la plus sombre de sa carrière. Cela ne s’est pas très bien passé au stade Edmond Machtens, c’est un euphémisme.

 » Il se créait beaucoup d’occasions, des occasions franches qu’on qualifie parfois d’immanquables, mais ne les mettait pas au fond « , se souvient AlanHaydock.  » Il n’avait pas le sens du but. Et il a fini par être pris en grippe : par le public, qui ne lui pardonnait pas tous ces loupés et qui l’a sifflé, mais aussi par des membres du club. Cela a achevé de lui ôter sa confiance. Dans le vestiaire, il était bien accepté. C’était un garçon attachant. Quelqu’un, aussi, qui ne se laissait pas faire. Il était assez susceptible, c’était l’un de ses traits de caractère. Il est sans doute arrivé au Brussels au mauvais moment. Il était encore en pleine phase d’apprentissage et on ne lui a pas laissé le temps de s’adapter. Il a été propulsé en première ligne alors qu’il n’était pas prêt. On a trop attendu de lui, trop tôt. Mais Aloys est en train de prendre sa revanche, de confondre ses détracteurs et tous ceux qui ne croyaient pas en lui.  »

Car Vermeersch aurait déclaré que Nong n’avait pas le niveau de la D1.  » Faux ! Ce n’est pas moi qui ai dit cela « , jure-t-il en rejetant la responsabilité de l’échec de Nong sur l’entraîneur de l’époque, EmilioFerrera.

 » Moi, j’ai toujours cru en Aloys « , assure Vermeersch, sans rire.  » Sinon, je n’aurais pas été le chercher à Visé. On voyait qu’il avait un potentiel, c’était un diamant brut qu’il fallait encore polir. Mais il était encore fort jeune lorsqu’il a débarqué au Brussels. Il manquait de maturité. En outre, il jouait seul en pointe et devait porter seul tout le poids offensif sur ses frêles épaules. Le public s’est retourné contre lui et Emilio s’est un peu énervé. Les entraîneurs ne sont pas toujours très patients… « 

 » Vermeersch a osé dire cela ? », s’insurge Emilio.  » J’ai, au contraire, défendu Aloys contre vents et marées. Il ne jouait d’ailleurs pas seul en pointe, il était épaulé par SaïdMakasi. Et si ce n’est pas Vermeersch qui a déclaré qu’Aloys n’avait pas le niveau de la D1, qui est-ce ? Vermeersch a démontré à quel point il croyait en Nong quand, six mois plus tard, il a engagé quatre Brésiliens. Mais bon : je ne veux pas polémiquer éternellement, je laisse à chacun le soin de juger. Et puis, s’il y en a un qui connaît la vérité, c’est Nong lui-même.  »

La renaissance à Courtrai

En 2005, le Camerounais allait être cédé à Courtrai.  » A sa demande « , affirme Vermeersch.  » Il voulait se relancer en D2 et j’ai accepté. « 

 » Et à Courtrai, comme par hasard, Aloys allait progressivement revivre « , constate Emilio.  » L’entraîneur du club flandrien n’était-il pas mon frère, ManuFerrera ? Je veux bien que deux frères ne doivent pas nécessairement avoir le même avis, mais c’est tout de même curieux qu’au stade des Eperons d’Or, Aloys s’est d’emblée senti mieux…  »

 » En fait, lorsqu’Aloys est arrivé à Courtrai, j’étais le directeur sportif du club flandrien « , précise Manu.  » J’en suis devenu l’entraîneur un peu plus tard, lorsque Rudi Verkempinck a été limogé. J’ai acheté Aloys parce que j’avais décelé en lui les qualités qu’on lui reconnaît aujourd’hui : profondeur, explosivité. Sur le terrain, il n’avait pas besoin d’être beaucoup corrigé, mais en dehors, il avait sans doute besoin d’être rassuré. A Courtrai, il savait que même après un mauvais match, il resterait sur le terrain : cela lui a redonné confiance.  »

 » Aloys a très vite retrouvé ses sensations et s’est remis à inscrire des buts « , se souvient Jimmy Hempte, désormais à Roda JC.  » Marquer n’était toutefois pas sa qualité première, à mes yeux. C’était surtout un joueur capable de perforer une défense. Il bougeait beaucoup, en profondeur comme latéralement, et créait des espaces pour les autres. Il était difficile à tenir à cause de sa vitesse et de sa puissance, et était capable de conserver le ballon. En D2, il était au-dessus du lot.  »

 » Mais c’est surtout sous HeinVanhaezebrouck qu’Aloys a explosé « , ajoute Manu Ferrera.  » C’était le meilleur attaquant de D2 et il a attiré l’attention de Malines en 2007.  »

Deuxième chance en D1, donc, pour Nong sous la direction de PeterMaes, un entraîneur envers lequel il demeure reconnaissant.  » A son arrivée, il était encore un peu fragile mentalement « , se souvient l’actuel coach de Lokeren.  » J’ai essayé de le faire jouer sur ses qualités : la vitesse, la profondeur. De le fondre dans le collectif également, en sachant que le groupe peut rendre les individualités meilleures. Aloys a trouvé une belle complémentarité avec BjörnVleminckx. A l’époque, comme il n’excellait pas dans le jeu de tête, il partait souvent du flanc droit et distillait de très bons ballons à Björn qui, lui, était précisément très costaud et très bon dans le jeu aérien. Je pense que l’on a bien travaillé avec Aloys pendant trois ans. Même s’il a connu des moments difficiles avec ses blessures et plusieurs drames familiaux, il a bien progressé. Toutes ces épreuves l’ont rendu plus fort.  »

FrédéricRenotte, l’ancien préparateur physique de Malines, a connu Nong dans la cité archiépiscopale après l’avoir côtoyé à Bruxelles.  » S’il avait changé ? Non, je ne trouve pas. Humainement, en tout cas, il était resté le même. Footballistiquement, il avait pris un peu de bouteille, c’est logique. Mais il avait gardé les mêmes défauts aussi : son pied gauche, aujourd’hui encore, reste à travailler. Physiquement, il avait surtout un démarrage exceptionnel. Il faisait la différence sur les premiers mètres et c’est toujours le cas. Mentalement, il s’est endurci. Les obstacles qu’il a dû franchir l’ont rendu plus fort. Ce qui me fascine chez lui, c’est son parcours. Il était arrivé en Belgique tout seul, sans famille, et a réussi à trouver sa place. Il est parti des divisions inférieures, en Wallonie, avant de transiter par la capitale, puis connaître la réussite en Flandre. Et aujourd’hui, il se retrouve dans un grand club. Il s’est construit une famille en Belgique et s’est totalement adapté à la vie dans notre pays.  »

Liège et Visé, les premiers pas en Belgique

L’histoire belge a commencé au FC Liège, où Nong fut recueilli par DominiqueFanara :  » A l’époque, j’étais un dirigeant des Sang et Marine. Je me souviens qu’un beau jour, deux responsables du centre de formation de Douala se sont présentés à Liège avec un jeune joueur. Ils m’ont demandé si leur protégé pouvait passer un test. Ils arrivaient de Paris et je pense qu’ils s’étaient également rendus à Nice, mais leurs tentatives dans l’Hexagone s’étaient révélées infructueuses. Ils se sont alors dirigés vers la Belgique, où – bien que je n’en sois pas sûr – ils avaient sans doute frappé à plusieurs portes également. A l’entraînement, j’ai directement remarqué que ce Nong avait quelque chose dans le ventre. J’en ai averti le directeur technique VincentCiccarella et le président Michel Evrard. Il fallait se décider vite, car le joueur et ses deux accompagnateurs devaient repartir le soir même vers Paris. Ciccarella et Evrard m’ont fait confiance, et je pense qu’ils ne l’ont pas regretté.  »

Fanara n’a pas fait qu’engager un joueur, il s’est aussi occupé de lui.  » Au début, Aloys a logé à l’hôtel, mais ce n’était qu’une solution transitoire. On lui a trouvé une famille d’accueil, mais cela ne s’est pas trop bien passé. J’ai alors accepté de l’héberger. Du coup, j’avais un troisième enfant… « 

HenriDepireux était l’entraîneur du FC Liège, à l’époque.  » Il fallait être aveugle pour ne pas se rendre compte que le petit Nong avait d’énormes qualités « , s’exclame le King.  » J’ai rarement vu un joueur doté d’un tel démarrage. Il avait aussi une très bonne technique du pied droit. Par contre, il n’utilisait quasiment jamais son pied gauche, et son jeu de tête était encore très perfectible. Il l’est d’ailleurs toujours. Il avait aussi ce défaut qu’on lui a reproché au Brussels : sur cinq occasions franches, il en ratait quatre. Il se créait des occasions tout seul, mais ne parvenait pas à concrétiser. Ce joueur me plaisait. Lorsque je suis parti entraîner Visé, je l’ai renseigné à mes nouveaux dirigeants et je l’ai mis en bonne place dans la liste des joueurs que j’aimerais attirer. Cela n’a pas été simple, mais Nong a fini par me rejoindre dans la cité de l’Oie.  »

GuyThiry, président de Visé, s’en souvient :  » Le FC Liège avait des problèmes financiers, et comme Nong était un joueur extracommunautaire, son contrat pesait lourd dans le budget des Sang et Marine, qui nous l’ont finalement cédé. Aloys a laissé de bons souvenirs à Visé. Son cas est fort similaire à celui de RolandLamah, un autre jeune qui a débuté sa carrière à Visé. On n’a pas mis longtemps à se rendre compte qu’Aloys avait les capacités pour évoluer à un niveau supérieur. En D2 et encore plus en D3, il était au-dessus du lot. Et comme il n’entre pas dans les habitudes du club d’entraver la carrière d’un joueur, on n’a pas mis de bâtons dans les roues de Nong lorsqu’il a eu la possibilité de signer au Brussels, qui militait alors parmi l’élite. Peut-être a-t-il été mal encadré dans la capitale ? A Visé, il bénéficiait encore de la protection de Dominique Fanara, qui était un peu son ange gardien. Il se sentait bien dans sa peau.  »

De Malines au Standard

Aujourd’hui, Nong est donc revenu dans la région liégeoise, mais au Standard.  » Plus qu’un joueur, Malines a perdu un homme « , affirme JoachimMununga, son ami.  » Aloys avait fini par faire partie des meubles, un vrai leader, sur et en dehors du terrain. C’était l’un des joueurs qui mettaient l’ambiance dans le vestiaire. Un garçon chaleureux, qui a le c£ur sur la main et un gros mental également.  »

Lorsqu’on lui demande les qualités sportives de Nong, Mununga tient des propos étonnants :  » La qualité première d’Aloys, c’est son sens du but ! 13 ou 14 buts par saison, dans une équipe comme Malines, c’est énorme… « 

Or, c’est précisément son manque d’efficacité qu’on lui reprochait au Brussels.  » A mon avis, il faut placer sa réussite offensive sur le compte d’une confiance retrouvée « , estime OlivierRenard.  » Tout footballeur a besoin de se sentir bien dans sa peau, mais Aloys sans doute encore plus que les autres. Lorsqu’il est perturbé, il a du mal à s’exprimer. Il ne convertit alors qu’une occasion sur dix, alors qu’en pleine confiance, il en convertit huit sur dix. Mais il est aussi très courageux, et songe à l’intérêt de l’équipe, même dans les circonstances les plus difficiles. En fin de saison dernière, il a eu la douleur de perdre sa maman. On sentait qu’il était très affecté, mais par respect pour son employeur et pour ne pas laisser tomber ses partenaires, il a tenu à jouer un dernier match avec Malines avant de rentrer au Cameroun pour les funérailles. Il est aussi parvenu à revenir au premier plan après des blessures qui l’ont tenu écarté des terrains pendant quasiment une saison entière. Ce n’est pas évident, je suis bien placé pour en parler. Avec le départ d’Aloys, Malines a perdu un très bon joueur. A lui tout seul, il attirait l’attention de deux défenseurs, et libérait donc de l’espace pour le deuxième attaquant. Je suis content pour Aloys, qui a gravi un échelon dans sa carrière en partant au Standard. Il peut réussir en bord de Meuse : il sera placé dans de bonnes conditions, entouré par d’autres joueurs qui ont du punch également.  »

 » Ce qui est cocasse, c’est que je retrouve aujourd’hui au Standard la paire d’attaquants qui était la mienne autrefois au FC Liège « , constate Depireux.  » Car, le comparse de Nong chez les Sang et Marine, c’était un certain… LuigiPieroni !  »

PAR DANIEL DEVOS

 » Lorsqu’il est perturbé, il a du mal à s’exprimer et ne convertit qu’une occasion sur dix.  » (Olivier Renard)

 » Plus qu’un joueur, Malines a perdu un homme.  » (Joachim Mununga)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire