LE ONZE DE L’INDÉPENDANCE

Ils étaient jeunes, ils étaient footballeurs professionnels mais surtout ils étaient algériens. Retour sur l’aventure folle de l’équipe du FLN. Quand football et politique ne font qu’un.

Contrainte au nul (2-2) lors de son match d’ouverture face au Zimbabwe, malgré deux buts de Riyad Mahrez, l’Algérie fait néanmoins partie, avec la Côte-d’Ivoire, le Sénégal ou encore l’Égypte, des grands favoris pour la victoire finale dans cette 31e édition de la Coupe d’Afrique des Nations, disputée au Gabon.

Vainqueurs du tournoi à domicile en 1990, les Fennecs, entraînés aujourd’hui par Georges Leekens, n’en sont qu’à leur 17e participation dans la compétition continentale africaine. Un bilan qui s’explique en partie par leur absence des cinq premières éditions : indépendante dès 1962, l’Algérie n’a pris part aux qualifications en vue de la CAN qu’à partir de 1967 et doit patienter jusqu’aux années 80 pour devenir un poids lourd du continent. Ainsi, l’histoire officielle retient 1963 et une victoire 2-1 face à la Bulgarie comme première rencontre de l’Algérie indépendante. Pourtant, dès 1958, alors que l’Algérie n’est toujours qu’une colonie française, une sélection mise sur pied par le Front de Libération Nationale (FLN), parti indépendantiste algérien, dispute de nombreux matches amicaux.

COUP MÉDIATIQUE

A l’époque, la guerre d’indépendance de l’Algérie, menée par le FLN, dure déjà depuis quatre ans mais en Métropole, le gouvernement et la presse, tenue par la censure, s’attellent à minimiser les  » événements d’Algérie « . Un silence qui incite les indépendantistes à passer à l’action : le FLN veut provoquer un affrontement médiatique. Et quoi de mieux que le sport et plus particulièrement le football pour frapper un grand coup ?

Depuis le début du siècle, le ballon rond rencontre en effet un vif succès dans les départements français d’Algérie, et ce tant auprès des  » Européens  » que des  » Indigènes « . Dans l’Hexagone, à partir de la professionnalisation instaurée en 1932, de nombreux joueurs issus d’Afrique du Nord garnissent les équipes de l’élite. Et pour cause, Algériens, Marocains et Tunisiens, considérés comme Français, n’entrent pas dans le quota d’étrangers autorisés. Une dizaine d’entre eux parmi lesquels Abdelkader Ben Bouali, Larbi Ben Barek, Mustapha Zitouni, Rachid Mekhloufi ou encore Abdelaziz Ben Tifour porteront même le maillot des Bleus.

L’idée de former une équipe du FLN serait née dans la tête de Mohamed Boumezrag, directeur de la sous-division régionale algérienne de la Fédération Française de Football et ancien joueur de Bordeaux et du Mans, lors du festival mondial de la jeunesse et des étudiants de Moscou en 1957.

Boumezrag part alors en Métropole et rend visite aux joueurs pro-algériens admissibles dans l’équipe du FLN. En 1958, ils sont environ une trentaine. Une partie d’entre eux participe déjà au mouvement indépendantiste en versant une  » taxe révolutionnaire  » correspondant à 15 % de leur salaire. Tous n’adhèrent toutefois pas au projet : ainsi Kader Firoud, futur premier sélectionneur de l’Algérie indépendante et futur deuxième du classement du nombre de matches de D1 dirigés depuis le banc de touche (derrière Guy Roux), refusera.

 » DEMAIN, ON S’EN VA  »

Début avril 1958, Boumerzag annonce aux joueurs que tout est prêt et il leur donne ses instructions pour franchir au mieux les frontières. Le rendez-vous est fixé quelques jours plus tard à Rome d’où ils doivent s’envoler vers la Tunisie où siège le Gouvernement provisoire de la République algérienne.

Le 12 avril, Mokhtar Arribi, joueur-entraîneur d’Avignon, et Abdelhamid Kermali, attaquant de l’Olympique Lyonnais, se rendent à Saint-Étienne où Rachid Mekhloufi prépare la rencontre du lendemain face à Béziers. International, la vedette de l’ASSE est pressentie pour prendre part à la Coupe du Monde en Suède, quelques mois plus tard, avec l’équipe de France.  » Demain, on s’en va « , lui expliquent immédiatement les deux hommes.  » On m’a laissé le choix, mais je n’ai pas hésité une seconde « , se souviendra Mekhloufi des années plus tard dans les colonnes du journal Le Monde.  » Après le match, ils sont venus me chercher à l’hôpital, car je m’étais blessé contre Béziers. Nous étions cinq dans la Simca d’Arribi avec Abdelhamid Bouchouk et Saïd Brahimi, deux joueurs de Toulouse. Le voyage vers Tunis a duré deux jours, via la Suisse et l’Italie. Nous avions un peu peur de nous faire arrêter par la police française « . Une crainte qui n’est pas dénuée de fondement : certains parmi lesquels Mekhloufi sont encore sous les drapeaux français et risquent d’être considérés comme déserteurs. À la frontière suisse, les cinq hommes ont d’ailleurs droit à une belle frayeur : les douaniers les reconnaissent mais ils n’ont pas écouté la radio qui annonce déjà leur fuite et… ils leur demandent des autographes avant de les laisser partir.

Autre superstar du foot hexagonal de l’époque, Mustapha Zitouni, qui évolue à l’AS Monaco et est international français, se laisse également convaincre. Il quitte la France en compagnie d’Amar Rouaï, milieu d’Angers, et de ses coéquipiers monégasques Abderrahmane Boubekeur, Kaddour Bekhloufi et Abdelaziz Ben Tifour, en deux convois différents.

D’autres auront moins de chance : Hacène Chabri (Monaco) et Mohamed Maouche (Reims) sont respectivement arrêtés au postes de frontière italien et suisse et seront incarcérés un temps, ce qui ne les empêchera pas de rallier Tunis quelques mois plus tard.

Conformément à ce qu’espérait le FLN, l’affaire fait grand bruit en Métropole. Le mardi 15 avril, L’Equipe titre  » Neuf footballeurs algériens (dont Zitouni) disparaissent « .

FLN GLOBE TROTTERS

A leur arrivée à Tunis, les footballeurs sont accueillis par le président du FLN, Ferhat Abbas, et par le président tunisien, Habib Bourguiba, avant d’être présentés à la presse. D’abord installés à l’hôtel, les joueurs se voient par la suite attribuer des appartements et un salaire. Ils s’entraînent sous la direction de Boumezrag et Arribi, et moins d’un mois plus tard, alors que l’effectif connaît de nouvelles arrivées (au total une trentaine de joueurs porteront le maillot du FLN en 4 ans), ils disputent leur première rencontre amicale qui se solde par une victoire 2-1 contre le Maroc. Deux jours plus tard, l’Algérie écrase la Tunisie 1-6 et remporte ainsi le tournoi Djamila Bouhired (militante du FLN condamnée à mort pour actes terroristes puis graciée), le premier de son histoire.

En France, après le vif intérêt porté à cette équipe de rebelles, la Coupe du Monde incroyable des Bleus en Suède éclipse peu à peu les fellaghas footballeurs. Pourtant, les joueurs, eux, n’oublient pas leurs anciens coéquipiers. Ainsi, Just Fontaine, Raymond Kopa et Roger Piantoni envoient même une carte postale de soutien à Zitouni depuis la Suède.

Du côté de la FFF, la désertion de joueurs majeurs de l’équipe des Bleus est vue d’un tout autre oeil et la fédé se plaint auprès de la FIFA qui, dans la foulée, interdit aux équipes nationales d’affronter le onze révolutionnaire. Ceux qui résistent, comme la Tunisie ou la Libye, se voient immédiatement suspendues provisoirement par l’instance internationale.

Malgré ces embûches, l’équipe algérienne parvient à disputer plus de 80 rencontres en l’espace de quatre ans. Pour éviter les sanctions, leurs adversaires sont généralement des sélections de ville, des sélections A’ ou encore militaires. Cela n’empêche pas les Algériens de toujours exiger que l’on passe le Kassaman, l’hymne algérien, et que l’on hisse le drapeau vert et blanc, ce qui leur est un jour refusé, en Pologne.  » Nous avons menacé de ne pas disputer la rencontre « , raconte Mekhloufi.  » Finalement, l’hymne a été joué et le drapeau algérien hissé. Nous prenions ces matchs très au sérieux, même si, parfois, c’était un peu trop facile. Nous représentions une cause, et je pense que nous avons contribué à la faire avancer « . En effet, après une première tournée dans les pays de l’Est (Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie et URSS), le onze de l’inépendance part même en Asie du Sud-Est où les footballeurs sont notamment reçus par Ho Chih Min, le président vietnamien, en personne. En Chine, ils sont même invités à rester trois semaines de plus sur place pour dispenser leurs conseils aux joueurs et coaches locaux.

Leur réputation finit par les précéder et ils jouent parfois devant de grosses assistances comme lors de la victoire historique (1-6) contre la Yougoslavie où 80.000 spectateurs se seraient réunis à Belgrade.

RÉVOLUTIONNAIRES

 » Avec le recul du temps, je peux dire qu’aucun d’entre nous ne regrette « , estime l’attaquant Mohamed Maouche.  » Nous étions révolutionnaires. J’ai lutté pour l’indépendance.  »

L’image renvoyée par cette équipe, tenant tête à la France et bien décidée à l’autodétermination, a en effet eu un rôle positif dans le processus d’indépendance que tous souligneront une fois celle-ci acquise en 1962.

Sur le plan sportif, huit d’entre eux (Saïd Amara, Dahmane Defnoun, Ahmed Oudjani, Mohamed et Abderrahmane Soukhane, Boubekeur, Zitouni et Mekhloufi) évolueront alors pour la nouvelle équipe algérienne indépendante tandis qu’en 1970, un jubilé sera organisé en leur honneur.

En 2008, 50 ans après la création de l’équipe, une série de timbres à leur effigie sera même imprimée par la poste algérienne et le président Abdelaziz Bouteflika leur rendra hommage :  » Ils ont écrit l’une des plus belles pages de l’histoire de l’Algérie, de la lutte anti-coloniale et du sport en général. « .

PAR JULES MONNIER

 » Nous étions révolutionnaires. J’ai lutté pour l’indépendance  » MOHAMED MAOUCHE, ATTAQUANT DE L’ÉQUIPE DU FLN

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