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Le monde des échecs élit son nouveau roi dans un climat de suspicion

Soupçons de pressions russes, accusations de corruption, affaire Skripal… Le combat pour prendre la tête du monde des échecs se révèle une partie hautement politique après l’éviction du sulfureux président de la Fédération internationale (Fide).

Trois candidats à la présidence de l’organisation sont en lice mercredi en marge de l’Olympiade d’échecs dans la cité balnéaire de Batoumi, en Géorgie, pour succéder au fantasque milliardaire russe Kirsan Ilioumjinov, limogé en juillet après un règne de plus de 20 ans.

D’un côté, le Grec Georgios Makropoulos, 65 ans, actuel vice-président de la Fide, incarne l’establishment au sein de l’organisation, qui rassemble 188 fédérations d’échecs à travers le monde.

De l’autre, son principal concurrent, Arkadi Dvorkovitch, vice-Premier ministre de la Russie pendant six ans, est considéré comme l’homme du Kremlin. L’épithète n’est pas si inhabituelle dans une discipline associée à la lutte d’influence des grandes puissances pendant la Guerre froide.

Le troisième candidat, le grand maître britannique Nigel Short, qui s’est rapproché dernièrement de M. Dvorkovitch, semble largement devancé, malgré un programme basé sur la lutte contre la corruption.

« C’est une campagne électorale compliquée avec une concurrence féroce », reconnaissait dans la semaine précédant l’élection M. Dvorkovitch, 46 ans, qui a été à la tête du comité d’organisation locale de la Coupe du Monde de football en Russie.

– Changer d’image –

La Fide, qui dispose d’un budget modeste (3,31 millions d’euros de recettes prévues en 2018) est l’une des dernières instances sportives internationales où la Russie maintient une influence héritée de l’Union soviétique. L’entreprise organisant les compétitions de la Fide a son siège à Moscou, et plusieurs des principaux parraineurs sont russes.

L’éviction de M. Ilioumjinov, un proche du Kremlin visé par des sanctions américaines, pourrait donner une nouvelle dynamique à l’organisation.

Fort de son expérience lors du Mondial de football, Arkadi Dvorkovitch promet de redorer le blason de la Fédération et d’attirer de nouveaux capitaux grâce, entre autres, à un rapprochement avec la Fifa, dont le président Gianni Infantino lui a apporté publiquement son soutien.

Selon la Fide, le limogeage de M. Ilioumjinov en juillet était dû à son refus de démissionner après la fermeture des comptes de la Fédération par la banque suisse UBS, en raison des sanctions américaines le visant pour ses liens avec le régime syrien.

M. Ilioumjinov a « créé de la confusion et de l’instabilité au sein de la Fide » et « causé de graves dégâts à sa réputation et ses finances », avait estimé l’organisation.

Président de la Fide depuis 1995, M. Ilioumjinov, qui affirmait en 2016 à l’AFP en être à « sa 69e vie » grâce à la réincarnation, est célèbre en Russie pour ses déclarations parfois surprenantes. Il a notamment un récit circonstancié de son enlèvement par des extraterrestres en tenues spatiales jaunes.

– La main de Poutine –

De son côté, M. Makropoulos, un proche du président déchu de la Fide, accuse M. Dvorkovitch d’avoir eu recours au réseau diplomatique russe pour faire pression sur des fédérations nationales.

Mi-septembre, l’équipe du candidat grec a saisi le comité d’éthique de la Fide: elle accusait des proches de M. Dvorkovitch d’avoir acheté le vote de la fédération d’échecs serbe, moyennant un pot-de-vin payé par des entreprises russes en Serbie.

Ce comité a décidé dimanche de suspendre six mois le directeur de la fédération serbe pour s’être notamment laissé influencer dans un vote à la Fide. Mais elle n’a pas décelé « de preuves suffisantes » pour y voir un lien avec le camp de M. Dvorkovitch.

En s’appuyant sur un courrier électronique supposé du ministère israélien des Affaires étrangères, le site internet spécialisé Chessbase a affirmé quant à lui en août que le président russe Vladimir Poutine avait personnellement demandé à Benjamin Netanyahu d’appuyer auprès de la fédération israélienne la candidature de M. Dvorkovitch. Le candidat russe a rejeté ces accusations.

Même l’affaire Skripal est venue jeter une ombre dans cette compétition.

Lors d’une interview à la BBC en septembre, M. Dvorkovitch avait émis de forts doutes sur les accusations de Londres, qui affirme que des agents russes sont à l’origine de l’empoisonnement de l’ancien agent double Sergueï Skripal et de sa fille, ce que Moscou dément fermement.

Face à ces déclarations, la fédération d’échecs britanniques a décidé qu’elle ne soutiendrait pas le candidat britannique Nigel Short, jugé trop proche M. Dvorkovitch. Elle a évoqué le risque de voir la présidence de la Fide « servir de tremplin à la politique étrangère russe ».

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