» Le milieu de terrain du Standard manque d’un leader « 

Sa carte de visite reste inégalée à Sclessin et sa collection de trophées souligne la pertinence de son regard sur les Rouches d’aujourd’hui : surmonteront-ils leur défaite à Anderlecht ?

« Rendez-vous Place Cathédrale à 12 h 30  » : le lendemain, P’tit Léon est fidèle au poste. Il fait beau et les Liégeoises se sont habillées de printemps. Tous les dix mètres, des passants le reconnaissent, lui adressent un sourire, l’interrogent sur le Standard. Les Liégeois connaissent leur histoire. Et Semmeling y occupe une place en vue avec, notamment, cinq titres et deux Coupes de Belgique, 47 matches européens. Personne n’a fait mieux en bord de Meuse. Même si le sablier ne cesse d’égrener le temps, l’ancien international (35 caps, 74 ans) s’intéresse plus que jamais avec passion au Standard qui a façonné sa vie et sa carrière.  » A Liège, tout a toujours tourné autour du Standard « , dit-il.  » Je ne rate aucun match à domicile et la saison du Standard est intéressante et passionnante à plus d’un titre.  »

Quelles leçons doit-on tirer d’Anderlecht-Standard ?

Léon Semmeling : Le Standard n’aurait jamais dû perdre ce match et pouvait tuer le moindre doute avant le repos. Il y a eu de la place pour trois buts. Le Standard évoluait alors en leader intouchable pour un Anderlecht dans les cordes. Michy Batshuayi a raté des balles de break et cela m’a inquiété car un tel gaspillage se paye souvent cash. L’équipe a présenté un autre visage en deuxième mi-temps et a trop reculé pour résister au power football d’Anderlecht, c’est dommage. Je ne comprends pas ce changement de comportement. Ce 2-1 est un coup dur mais le Standard a encore de solides atouts avec trois matches sur quatre à domicile. Il faudra digérer le Clasico, travailler le moral, s’appuyer sur le jeu proposé en première mi-temps à Anderlecht. Le suspense est total et je vois de bons matches lors des PO1, comme ce Clasico. Maintenant, c’est à Bruges, nouveau leader, et même à Anderlecht, d’assumer la pression.

Il est beaucoup question de Guy Luzon depuis le début de la saison : quelles furent vos premières impressions à son propos ?

Je savais qu’il ne serait pas facile de succéder à Mircea Rednic, qui redressa la barque après le départ de Ron Jans. Rednic a laissé une trace, un héritage, donc une équipe sur les rails. Mais la suite, il faut être sportif, appartient à Luzon. On le trouve trop démonstratif, ce qui n’est pas faux, mais il a quand même bien géré les premières semaines de l’après-Rednic. D’autres n’auraient pas résisté à cette pression extérieure qui, finalement, visait d’abord le président. D’autres que lui ont plié dans le temps sous le poids des reproches, même Tomislav Ivic, c’est tout dire. Même si tout n’est pas parfait, Luzon a largement effectué sa part du travail. Il vient de perdre la pole position occupée depuis le début de la saison. Une aussi longue présence en tête n’est pas due au hasard. Luzon a passé les premiers caps sans trop de problèmes avant d’ajouter ses touches au jeu de son équipe.

 » Batshuayi a 10 ans de moins que Tahamata au temps de sa splendeur  »

Même en Coupe d’Europe ?

Là, le calcul, ou la stratégie de groupe, si vous préférez, n’a pas collé avec la tradition européenne du Standard. Ce club a progressé et acquis ses lettres de noblesse lors de matches de légende, gagnés, et parfois perdus avec la manière, contre des ténors comme le Real, l’Inter, le Bayern, le grand Leeds United, etc. Mal parti, le Standard a trop vite renoncé, me semble-t-il, et raté l’occasion de se dépasser via ses rendez-vous européens. Le turnover a été trop massif mais, même sans cela, l’équipe a manqué de planche. Je ne m’éterniserai pas dans le passé mais, autrefois, le Standard recrutait régulièrement des joueurs de super classe internationale : Milan Galic, Wilfried Van Moer, Simon Tahamata, Asgeir Sigurvinsson, Arie Haan, etc. Certains d’entre eux avaient déjà disputé de grandes finales. Aujourd’hui, le plus doué, Michy Batshuayi a 10 ans de moins que Tahamata au temps de sa splendeur et on devine déjà qu’il ne sera plus au Standard la saison prochaine. Le turnover européen a été trop important, même si des jeunes ont progressé ou se sont affirmés, comme Arslanagic et Julien De Sart.

Un tel turnover aurait-il été envisageable avec un  » autre coach  » aussi démonstratif que Luzon ?

Vous songez à Raymond Goethals ?

Tout à fait…

Les temps ont changé et le turnover n’était alors pas nécessaire. Au début des années 80, le Standard imposait sa classe, son métier et son jeu. Et, surtout, le chemin menant aux finales européennes était difficile mais quand même nettement plus court. Il fallait un gros problème pour modifier le onze de base. En 1982-83, même Willy Geurts que Goethals a été chercher à Anderlecht jouait peu. Goethals sur le banc, c’était quelque chose aussi. C’était un volcan et il était inutile de tenter de le changer. Il était comme cela, Raymundo. Je ne suis pas étonné par Michel Preud’homme. Comme Eric Gerets, il ne supportait pas la défaite, même pas à l’entraînement. Quand Preud’homme restera calmement sur son banc, ce ne sera plus Preud’homme. Luzon me fait plus penser à René Hauss qu’à Goethals. Hauss aussi reçut une excellente équipe qui avait besoin d’un jeune coach énergique. Il avait encore moins d’expérience que Luzon en tant que coach mais cela ne l’a pas empêché de décrocher trois titres. En fait, Luzon a le style Standard.

C’est exagéré quand même….

Non, comme Preud’homme et Francky Dury, il est poussé par la passion. Les joueurs ne comprennent pas toutes leurs gesticulations ou ne les entendent pas. En Ligue des Champions, on a vu la différence entre Carlo Ancelotti et José Mourinho. Je préfère le style Ancelotti, posé, jamais dans l’énervement. Je ne ferai pas de comparaisons car nos clubs ne sont pas comparables aux leurs mais il y a une obligation de résultats avec des effectifs bien plus limités talentueusement qu’autrefois. Je suppose que Luzon et Preud’homme seraient moins nerveux si nos meilleurs footballeurs évoluaient en Belgique.

 » Le Standard a besoin d’un grand patron au centre de la pelouse  »

Pourquoi le Standard souffre-t-il autant en PO1 après avoir survolé la phase classique ?

Tous les clubs en PO1 souffrent. Aucun ne fait la différence au classement ou dans le jeu proposé. Les PO1 ne valent que par le suspense. Personne ne semble capable, jusqu’à présent, de creuser un écart définitif. On parle de caractère et de mental uniquement. C’est un peu décevant. Pour moi, le Standard est nettement la meilleure équipe de D1, la plus complète, celle qui offre le plus de perspectives. Mais sa meilleure période date du mois de décembre. Il n’y avait pas d’espaces entre les lignes. Les autres formations n’ont pas pratiqué un tel football. Quand j’affirme que Luzon a accompli sa part de travail, je songe à cette période.

Mais j’en reviens à la question : il y a eu une baisse de régime…

Oui, je l’explique doublement. Avec le temps, les autres équipes ont joué de plus en plus bas contre le Standard. Le but est de limiter les espaces pour Batshuayi et Imoh Ezekiel. Au lieu de passer au premier contre, les deux flèches doivent multiplier les efforts. Les deux jeunes y ont parfois laissé de la fraîcheur, c’est logique. A la longue, le jeu s’est étiré, avec plus de distances entre les lignes. Et, depuis lors, je me demande s’il ne manque pas un régisseur dans la ligne médiane, une rampe de lancement pour les deux attaquants. Le milieu du terrain a des atouts mais pas encore de véritable leader. Jelle Van Damme est un chef qui va au charbon, c’est important, mais le Standard a besoin d’un grand patron là où cela compte le plus : au centre de la pelouse.

C’est le secteur de William Vainqueur : n’est-ce pas son rôle ?

Oui et Vainqueur est probablement le milieu de terrain le plus universel de D1, je n’en doute pas. Il jouera un jour dans un plus grand championnat que le nôtre. C’est un très beau joueur qui ne lâche rien mais il se place trop bas sur l’échiquier du Standard. En décembre, le Standard avait ajouté une corde à son arc en posant plus calmement son jeu. L’apport du coeur du jeu était alors important. Et Julien De Sart, une des révélations de la saison, a beaucoup apporté. A un point tel qu’il trouvait plus facilement, ou plus souvent, ses attaquants que Vainqueur, posté trop près de sa défense, moins dans l’élaboration offensive. Le boss doit être à la manoeuvre. A Bruges, Luzon a justement voulu apporter de la créativité en posant Paul-José Mpoku dans la ligne médiane. J’apprécie ce joueur et il aime l’axe mais je préfère le voir sur le flanc. Son registre est large et il peut déborder jusqu’au bout, rentrer dans le jeu quand bon lui semble. Mpoku est une des pièces maîtresse du Standard. Au Club Bruges, il y a eu plus d’équilibre quand il retrouva sa zone habituelle et que Yoni Buyens s’installa près de Vainqueur : c’est un bon duo mais il faut plus de créativité, de surprises.

 » Carcela est sur la bonne voie  »

Ce que Mpoku et Carcela peuvent apporter sur les côtés…

Oui, mais il faudra quand même résoudre le souci dans l’axe. Quand le Standard joue très bas, Batshuayi décroche de trop. Sa technique lui permet de le faire. Malgré cela, il est encore autrement utile près du grand rectangle. Il a besoin de fraîcheur pour conclure. Ces derniers temps, il m’a semblé trop obsédé par le classement des buteurs. C’est humain mais la priorité quand on est là, c’est le titre. Il est jeune, évidemment et il se bonifiera encore beaucoup, c’est tellement évident. Michy peut s’en tirer partout mais, à sa place, je n’opterais pas pour l’Espagne. Il est encore trop braqué sur son jeu pour s’imbriquer dans des équipes ultra collectives. Michy a besoin d’une étape intermédiaire. D’autre part, j’attendais un peu plus de la part de Mehdi Carcela.

Il revient de loin…

Ah, mais je suis le premier à le reconnaître. Carcela est sur la bonne voie comme il l’a prouvé en première mi-temps à Anderlecht mais ce n’est pas encore le joueur d’avant sa terrible blessure, à Genk.

Vu la baisse de régime d’Ezekiel, une alliance Batshuayi-De Camargo n’aurait-elle pas dû être tentée plus souvent ?

Peut-être car Igor, excellent à Anderlecht, a du métier à revendre, Il l’a prouvé mais quand Ezekiel fonce, les défenseurs adverses le craignent comme la peste. On ne se passe pas facilement d’un tel atout dans le football moderne.

La meilleure défense de la phase classique (17 buts en 30 matches) éprouve plus de mal en PO1 : est-ce un gros souci pour les quatre derniers matches ?

Non, je ne pense pas. Ce secteur a fait ses preuves devant un Eiji Kawashima souvent excellent. Il y a du sérieux et de la présence dans ce domaine avec Van Damme, Ciman, Arslanagic, Kanu qui a récemment repris sa place sans problème, Daniel Opare, Ronnie Stam. Tout se jouera lors de ces trois matches sur quatre à domicile avec la venue à Sclessin de Zulte Waregem, Bruges et de Genk pour conclure, après la visite à Genk. Il faudra tenir derrière, évidemment, et, surtout, retrouver le chemin des filets.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Luzon a largement accompli sa part de travail…  »

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