
C’est avec calme et maturité que le jeune médian attend l’importante visite de son ancien club.
A Charleroi, le Standard a frappé fort comme il a pris l’habitude de le faire en déplacement depuis un petit temps. Ainsi, lors de ses cinq derniers voyage, l’équipe de Michel Preud’homme a marqué 18 buts : 3 à Beveren, 3 à Mons, 3 au Germinal Beerschot, 4 à Bruges, 5 chez les Zèbres. Ce sont des chiffres impressionnants qui donnent une idée de la montée en puissance de cet effectif.
Au c£ur du Pays Noir, on a pu humer les huiles essentielles du jeu des Liégeois : taille, technique individuelle, vitesse, physique, complémentarité des lignes, lecture des événements. Seul bémol : les excès de colère d’un aussi beau joueur que Sergio Conceiçao. Son génie requinque une équipe et lui donne une autre dimension. Sa folie lui offre trop d’avertissements et il sera absent contre Genk en raison d’un excès de cartes jaunes. Si ce n’est pas stupide, c’est bien imité car la star portugaise sale et poivre le jeu de son équipe comme personne.
Au pays du Marsupulami, le Standard a animé sa bande dessinée comme il le fallait après l’exclusion de Kere (dernier homme, faute sur Milan Jovanovic) : exploitation du surnombre sur les ailes et dans le gras de la ligne médiane. Dans ce contexte, Steven Dufour est passé plus inaperçu que d’habitude mais il a mis les mains dans le cambouis tactique. En gardant bien la ligne gauche, le Kid de Sclessin (18 ans) a bloqué Frank Defays qui n’a jamais mis le nez à la fenêtre. Or, les ruades offensives de Capi sont importantes pour le bon développement du jeu des Zèbres. En respectant bien ses obligations, Dufour a permis à Marouane Fellaini et Karel Geraerts de soutenir sans cesse Igor De Camargo et Jovanovic. De plus, il a facilité le travail du nouveau venu en défense, Dante.
Même si ce n’est pas le job préféré de ce meneur de jeu de formation, il s’est sobrement acquitté de sa tâche. Sa sagesse est tout à fait étonnante. S’appuyant sur un vocabulaire précis et abondant, Defour cerne bien ses émotions et ses ambitions. » J’étais un bon élève en humanités « , raconte-t-il. » J’ai toujours su que je deviendrais footballeur professionnel. Si la vie en avait décidé autrement, j’aurais opté pour des études en éducation physique. J’ai vite appris à me débrouiller dans l’existence. Le divorce de mes parents m’a marqué, c’est normal, mais j’ai eu une enfance heureuse. J’ai fréquenté un internat et il faut s’organiser, respecter les impératifs de la vie de groupe, etc. A 16 ans, j’ai intégré le noyau de l’équipe Première à Genk. D’autres, comme Sébastien Pocognoli y sont arrivés plus tard et n’ont pas du jongler autant que moi avec les horaires du football et de l’école « .
Durant l’été dernier, c’est dans le fracas que le jeune homme a quitté Genk pour le Standard. Jos Vaessen, le riche homme fort des Limbourgeois, l’a pendu sur la place publique. Cela a provoqué des dérives criminelles comme l’incendie d’une voiture de la famille Defour. L’enquête est toujours en cours. Le principal intéressé garde son calme mais a pris des dispositions : » Je préfère que les miens ne disent plus rien. C’est plus prudent car une réponse peut parfois être mal interprétée. Si les médias s’intéressent à moi et à mon football, je suis là, c’est plus simple. Ces épreuves m’ont marqué mais je suis plus sûr que jamais d’avoir fait les bons choix « .
» A Genk, j’étais trop exposé »
Defour avait été accueilli à bras ouverts par Johan Boskamp. Etait-il venu à Sclessin pour le Bos ? Etait-il quelque part le fils spirituel du colosse hollandais ? Le départ de ce dernier ne l’a-t-il pas fragilisé dans un groupe en pleine découverte de ses potentialités ? » J’appréciais la personnalité de notre ancien coach « , avance-t-il. » Mais je n’étais pas du tout le joueur de Boskamp. Les négociations du transfert avaient débuté avant que le Standard choisisse un nouvel entraîneur. J’ai finalisé avec Luciano D’Onofrio et Pierre François. Michel Preud’homme était en vacances. Je suppose qu’il a initié ce transfert et attentivement suivi le dossier en tant que directeur sportif. De toute façon, c’était le bon choix même si les débuts furent difficiles. Il y avait des contacts avec l’Ajax d’Amsterdam, tout le monde le sait. Y aurais-je trouvé le même climat qu’au Standard ? Je n’en suis pas sûr du tout. Mon univers d’expression aurait peut-être été plus limité sur le terrain. Au Standard, je suis en famille. Même si je n’avais pas à me plaindre, cette chaleur m’a tout de suite fait du bien. Je suis le petit, celui que la fratrie abrite, prend sous son aile quand c’est nécessaire. Cela se voit sur le terrain où les anciens comme Conceiçao et Milan Rapaic et d’autres sont là quand on me cherche des misères. C’est réconfortant, je vous l’assure.
La direction est attentive, prend sans cesse des nouvelles de moi, de ma famille. J’avais besoin de cela. Je sais ce que je veux dans la vie mais je n’ai tout de même que 18 ans. Je dois mûrir. A Genk, tout aurait été très différent pour moi. Là, je n’étais pas protégé, plutôt trop exposé. Le fait que Genk soit actuellement en tête du championnat ne change rien à mon analyse. C’est bien, je les félicite. C’est probablement dû à un groupe qui lutte probablement plus que la saison passée mais ma place n’était plus là. Après m’y avoir encensé, on raconta n’importe quoi à mon propos. De plus, si cela avait mal tourné, il y aurait eu un bouc émissaire idéal : moi. Au Standard, il y a d’autres épaules que les miennes et c’est un plus pour mon éclosion. Mes contacts avec Genk sont forcément limités. Je revois encore Kevin Vandenbergh et Pocognoli, c’est tout « .
» Je n’ai pas de compte à régler avec Genk »
A l’aller, Defour avait eu droit à un accueil pas très catholique. Le langage limbourgeois fut plus que rude et déplacé dans la presse. Le public fut chauffé à blanc par ces brûlots. La direction du Standard ne délégua qu’un des siens, Preud’homme, dans cette fournaise. Dufour garda son calme, resta dans sa bulle, insensible aux tentatives de déstabilisation du public et de ses anciens équipiers. C’était important car il venait de franchir un cap, de prouver qu’il pouvait résister à des décharges de 100.000 volts et, par corollaire, de bien véhiculer le courant d’un point à un autre de son équipe. Quelle richesse à 18 ans. Le match retour de ce dimanche s’inscrira dans un contexte particulier pour Dufour mais, intelligent, il précise :
» Ce sera forcément spécial mais je n’ai pas de compte à régler avec Genk. J’ai tourné le dos à tout cela, c’est dans le rétro. C’est le Standard qui m’importe, son jeu, ses progrès, ses ambitions et pas du tout Genk « .
La direction limbourgeoise pratiquera la politique de la chaise vide dimanche car le Standard n’a pas invité le pyromane du verbe que peut être parfois Jos Vaessen. Vous avez dit ambiance ? Entre la troisième journée (Genk-Standard : 1-1) et les retrouvailles du 20e tableau de la saison, le Standard trouve sa voie sous la direction d’un Preud’homme impressionnant dans son rôle de coach. Homme malade de la D1 en début de saison, ce Standard pète de santé comme un cheval gavé d’avoine. Mulet en début de saison, il se transforme désormais en Ardennais capable de débarder des chênes dans les forêts adverses ou en pur-sang digne du Prix d’Amérique. Depuis le 4-4 de légende obtenu à Bruges, l’écurie de Sclessin ne sent plus le crottin de la déception. Avec sa taille de jockey (1,74m), Dufour a éprouvé du mal à trouver sa bonne selle au Standard. Doté d’un effectif instable, Boskamp a forcément tâtonné et payé la note. Pour lui, Defour était un médian axial. Par la force des mauvais résultats, il dû abandonner sa blouse blanche et Preud’homme est devenu le chef du laboratoire après la sixième journée du championnat de D1.
» Aucun joueur n’est certain de sa place »
Defour est toujours considéré comme un architecte mais la fenêtre centrale est prise par les impressionnants Fellaini et Geraerts. Il y a des équilibres à respecter et Defour se retrouve dans l’obligation d’échanger la baguette de chef d’orchestre pour la pelle d’ouvrier du Standard.
Cela ne les dérange pas même s’il formera un jour un grand duo avec Fellaini. Il détiendra alors ce qui fait la force de Geraerts : métier, feeling, impact global impressionnant, sens du travail bien fait, etc. Preud’homme jongle impeccablement avec tous ces paramètres. Malgré tout, n’est-il pas douloureux d’être isolé sur son île, à gauche le plus souvent, parfois à droite, quand on est un homme du centre ? A Genk, il aurait gardé sa place de soutien d’attaque. De plus, il a parfois patienté sur le banc avant de monter sur le champ de course avec une casaque de joker. Pour le moment, il relève la garde plus souvent qu’à son tour mais il n’est pas certain à 100 % de ses galons de titulaire.
» Personne n’est installé pour toujours dans cette équipe « , avance-t-il. » Il est impossible de nourrir cette ambition. Aucun joueur n’est certain de sa place. Les blessures et les suspensions jouent un rôle dans tout cela. Il en va de même pour la méforme, les problèmes tactiques à résoudre et, je ne l’oublie pas, la fatigue. La saison passée, j’ai terminé le championnat sur les rotules. A certains moments, il aurait été bon pour moi d’avoir des plages de repos. Je suis sûr que cela m’aurait absolument fait un bien fou. Preud’homme tient parfaitement compte de ce paramètre. Il permet à ses joueurs, jeunes ou pas, de souffler au bon moment. Quand le coach me décale sur un flanc, je préfère que ce soit à gauche. Au départ de cette position, je peux rentrer dans le jeu sur mon pied et cela ennuie plus l’adversaire. Et en procédant de la sorte, je tire plus aisément au but ou la distribution est plus facile à assurer. Je dois évidemment surveiller les mouvements d’ensemble du groupe. Si c’est nécessaire, je coulisse vers le centre afin d’occuper des zones désertées. C’est ma place naturelle mais c’est le Standard qui importe avant tout, pas Defour « .
» L’ambiance dans le vestiaire est extraordinaire »
» Je n’ai pris le poste de personne, je joue où on me demande de le faire. Rapaic était sur le banc mais ce sera peut-être mon cas demain ou j’aiderai le groupe au départ d’une autre position. Il y a de la jeunesse dans cette équipe mais, et c’est crucial, beaucoup de métier. Quand Conceiçao et Rapaic disent quelque chose, tout le monde se tait, on note, on suit, on met en application et cela marche. Cela peut se passer en semaine, à l’entraînement et en match, évidement. Dans des situations délicates, le poids de leur métier est considérable. On a vu ce que cela signifiait à Bruges. A 4-1, c’était plié mais avec eux, l’équipe a tenu et s’est redressée. Je ne sais pas si c’est le déclic car un parcours ne se juge pas sur un match mais ce fut un moment important. Si Genk a du talent, il ne dispose pas de joueurs ayant ce bagage. Je dois en tirer le plus grand profit possible. Quand on a la chance de côtoyer au quotidien des joueurs de cette trempe, il serait stupide de ne pas profiter de cette expérience. Ce n’est que du bonus pour plus tard »
Tout aussi à l’aise en français qu’en néerlandais, Defour habite dans le Limbourg, à Heusden. Fragile d’aspect, ce petit bonhomme est doté d’une solide condition physique. En début janvier, les Rouches ont bien rodé leur acquis physique et entamé le deuxième tour pied plancher. » Physiquement, je me sens de plus en plus fort « , avance-t-il. » Lors de la préparation, au Portugal, nous avons travaillé avec Guy Namurois. C’était bien et il a même bossé individuellement avec les joueurs « .
Le Standard est-il bel et bien relancé dans la course pour le titre ? Le succès obtenu à Charleroi plaide indiscutablement en ce sens. » Le Standard peut varier son jeu en s’appuyant sur sa technique ou son arsenal physique « , précise-t-il. » L’occupation du terrain est aussi à géométrie variable. Genk mise sur un 4-4-2 classique et la philosophie est donc totalement différente. L’ambiance dans le vestiaire est extraordinaire. Nous sommes revenus de loin mais ce n’est qu’après le match contre Genk qu’on verra si le Standard peut nourrir des ambitions pour le titre « .
PIERRE BILIC