LE KET & LE KING

Quand un zwanzeur bruxellois retrouve le roi des nuits liégeoises, les souvenirs ne sont jamais tristes.

A l’époque où je jouais, Henri Depireux était un des personnages les plus truculents du football belge. A Liège, on l’appelait le  » King  » et il était incontestablement un des joueurs belges qui avaient le plus de talent intrinsèque ! Seulement voilà : son mode de vie n’était pas toujours en adéquation avec celui qu’on est en droit d’attendre d’un footballeur professionnel. Son meilleur ami n’était d’ailleurs autre que Roger Claessen, qui était alors la grande idole du Standard et de toute la Cité Ardente.

 » Roger-la-Honte  » et le  » King  » étaient les stars de la vie nocturne et faisaient tout pour justifier leur statut d’enfants terribles. Claessen est mort jeune et seul, en 1982. On l’a retrouvé dans le coin d’un petit appartement, la tête contre un mur, probablement décédé d’un arrêt cardiaque. Des mauvaises langues prétendent qu’il aurait ingurgité un mélange de drogue et d’alcool ! Et King Henri, comment va-t-il ? Je me suis dit que, pour le savoir, le mieux était encore d’aller lui rendre visite à Liège. Aujourd’hui, il est âgé de 70 ans.

Tu étais un pur produit du FC Liégeois ?

En effet. J’y ai débuté en équipe première contre Berchem Sport. J’avais 16 ans et deux jours. J’y suis resté 8 ans. Le public et mes équipiers me considéraient comme le patron de l’équipe. Même blessé, même sur une jambe, il fallait que je joue. Je me souviens d’un match à Charleroi : j’avais mal aux abdominaux et j’arrivais à peine à marcher. Le président, Monsieur Georges, a quand même tenté de me convaincre de jouer. Il était même prêt à me payer 35.000 francs belges de sa poche pour ça parce qu’il était sûr que, sans moi, ça ne marcherait pas. Finalement, j’ai donné mon accord. Pour le pognon. Parce que 35.000 balles, à l’époque, ce n’était pas rien ! J’ai passé les 90 minutes dans le rond central mais j’ai quand même marqué sur coup franc et nous avons gagné.  » (il rit).

Hué par les fans du Great Old

Et puis, traîtrise, tu es parti au Standard !

Au cours des dernières années, Liège ne faisait plus que lutter pour le maintien et j’en avais ras-le-bol ! Pendant ce temps, le Standard construisait une fameuse équipe. Il avait déjà engagé Wilfried Van Moer, Antal Nagy et Erwin Kostedde lorsqu’il s’est intéressé à moi. J’aurais été fou de refuser ! Je voulais être titulaire dans un grand club. La direction du FC Liégeois ne voulait pas me laisser partir. Et encore moins au Standard ! Mais Lucien Levaux, qui était alors manager des Rouches, n’a pas baissé les bras et il a fini par obtenir gain de cause. J’ai signé mon contrat à une heure moins le quart du matin alors qu’en principe, la période des transferts prenait fin à minuit, cachet de la poste faisant foi. Heureusement, Levaux connaissait des gens qui travaillaient à la poste et qui ont accepté de changer l’heure du cachet. Pour mon premier match au Standard, des milliers de Liégeois sont descendus à Sclessin pour me huer mais le plus grave, c’est que mes parents étaient tous les deux des acharnés de Liège. Il s’en est fallu de peu qu’ils me déshéritent.  » (il rit).

Tu as été champion trois fois de suite avec le Standard puis tu es de nouveau parti.

A cause des élections communales à Liège. J’étais très ami avec Jean-Pierre Grafé, qui était candidat-bourgmestre sur la liste PSC. Il m’avait demandé de faire signer un tract électoral par les joueurs du Standard, qui affirmaient ainsi le soutenir. J’avais accepté parce que je savais que Grafé voulait modifier le statut du joueur professionnel et je n’avais éprouvé aucune peine à convaincre mes équipiers. Mes ennuis ont commencé quand les affiches ont été placardées dans tout Liège, d’autant plus qu’un administrateur du Standard, Milou Jeunehomme, était une des figures de proue du PLP. L’incontournable Roger Petit me demanda des comptes. J’ai tout pris sur moi et il m’a dit que je pouvais dégager. Au début, il voulait m’envoyer à Saint-Trond mais j’ai refusé et j’ai atterri au Racing White. Nous avions une bonne équipe avec Jacques Teugels, Eddy Koens, Maurice Martens, Gérard Desanghere, etc. Nous avons terminé sans difficulté dans le Top 5 avec, en prime, un match nul (1-1) lors de la dernière journée face au Club Bruges, ce qui a permis à Anderlecht d’être champion à la place de Bruges. Je suppose que tu t’en souviens, hein, Gille ! (il rit).

Une prime d’encouragement d’Anderlecht

Aucun de tes équipiers n’a jamais voulu dévoiler le montant de la prime qu’Anderlecht vous avait versée pour l’occasion. Toi, tu dois le savoir puisque c’est toi qui avais négocié ?

A l’époque, on pouvait encore octroyer des primes d’encouragement pour inciter une équipe, qui n’avait plus rien à gagner ou à perdre, à ne pas lever le pied. Par contre, il était évidemment interdit de payer un adversaire pour qu’il perde. Ce que le Standard a vérifié un jour à son corps défendant face à Waterschei, en 1982. Dans notre cas, j’avais bel et bien été approché par la direction du Sporting pour que le Racing White, démobilisé, joue crânement sa chance face au Club Bruges. Ce que nous avons fait en arrachant le nul : 1-1. Dans le même temps, Anderlecht l’emportait 5-1 contre Saint-Trond et était sacré champion avec le même nombre de points mais une victoire de plus que son rival flandrien. Pour avoir défendu crânement nos chances, nous avions reçu 2 millions d’anciens francs, soit 50.000 euros. Mais il a fallu répartir ce montant entre 18 joueurs. Ce qui n’était pas bien lourd…

Tu as terminé ta carrière au FC Liégeois : la boucle était bouclée.

Oui, mais avant cela, j’ai encore connu la fusion entre le Racing White et le Daring de Molenbeek. J’ai joué un an sous le maillot du RWDM mais j’en avais marre d’effectuer chaque jour le déplacement de Liège à Bruxelles et j’ai décidé de retrouver mes racines. Le club voulait que j’aide les jeunes mais, dès le départ, je ne me suis pas bien entendu avec l’entraîneur, Werner Biskup, un Allemand. Il ne voulait pas m’aligner. Avant le derby face au Standard, Jules Georges m’a dit : Tu joueras dimanche, quoi qu’en dise Biskup. Mais seulement une mi-temps, car tu es trop vieux pour tenir tout le match. Cela faisait trois mois que je jouais en réserve et je n’avais plus aucune condition mais j’ai relevé le défi. Il y avait 30.000 personnes à Rocourt ! J’ai livré la meilleure mi-temps de ma carrière et j’ai inscrit le troisième but : c’était 3-0 au repos. Quand j’ai quitté le terrain, le public chantait : Merci Henri. Comme convenu avec Jules Georges, j’ai commencé à me déshabiller et j’étais déjà sous la douche quand un des sbires du président est arrivé hors d’haleine dans le vestiaire : Monsieur Jules a dit que tu devais aussi jouer la deuxième mi-temps. Quand je suis remonté sur le terrain, le match avait déjà repris. Après dix minutes, j’ai demandé mon remplacement. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le Standard est revenu à 3-2 mais finalement, nous l’avons tout de même emporté 4-2. Après ce match, j’ai décidé de refermer le chapitre du FC Liégeois.

A Bas-Oha avec Roger Claessen

Tu as alors retrouvé ton grand ami dans les divisions inférieures.

Oui, je suis devenu joueur-entraîneur à Bas-Oha, en D3. Dans l’équipe, il y avait Roger Claessen mais aussi Luciano D’Onofrio. C’était mon extérieur gauche ! Un bon joueur. Il a même joué en D1, à Winterslag. Roger et moi n’avions jamais joué dans la même équipe, c’était un rêve qui se réalisait. Claessen était usé mais il marquait quand même encore régulièrement, la plupart du temps sur des passes que je lui adressais. Mais le plus difficile, c’était de le faire sortir de la buvette après le match. C’était moi qui conduisais et je l’ai parfois attendu pendant des heures. Il n’avait plus d’argent mais il n’arrêtait pas d’offrir des tournées. Il avait le coeur sur la main. Nous avons mis fin à notre carrière en même temps.

Ta carrière d’entraîneur a véritablement débuté à Winterslag mais ça n’a pas duré longtemps.

Oui, je suis parti par respect envers Jean Nicolay, l’entraîneur des gardiens du Standard, que j’avais amené avec moi. Nous avions trois gardiens : un jouait en équipe militaire, un autre en équipe olympique et le troisième était un gamin, un junior. J’ai demandé à Jean lequel était le meilleur des trois et, sans hésiter, il a dit : le plus jeune. C’était Jacky Mathijssen. J’ai fait confiance à Jean les yeux fermés et j’ai aligné Jacky dans un match de Coupe de Belgique. Il a très bien joué et a même arrêté un penalty alors, il n’a plus quitté l’équipe jusqu’en fin de saison. Je n’ai jamais compris pourquoi mais à partir de ce moment-là, certains dirigeants et supporters ont commencé à s’en prendre à Jean Nicolay, probablement parce qu’il n’avait pas choisi leur préféré. A la fin de la saison, le président m’a dit que Jean devait partir. Moi, je pouvais rester car la première saison avait été relativement bonne mais je lui ai répondu que si Jean partait, je partais aussi. Jacky Mathijssen a livré une belle carrière mais je n’ai plus jamais entendu parler des deux autres.

Puis tu es parti à l’étranger.

J’ai été contacté par mon ami Luciano D’Onofrio, qui était agent de joueurs au Portugal. Il connaissait Luis De Matos, un ancien joueur du Standard qui avait été transféré à Belenenses. Ce club cherchait un entraîneur et, avec l’aide de De Matos, Luciano m’y a amené. Quand je suis arrivé, Belenenses était avant-dernier. Cette saison-là, nous avons terminé septièmes et nous avons disputé la finale de la coupe contre Benfica. J’ai été élu Entraîneur de l’Année. Par la suite, j’ai appris que, sans m’en parler, le président avait vendu six ou sept des meilleurs joueurs, pour l’argent. Tout ce que j’avais construit était détruit. Je n’avais pas d’autre solution que de partir.

Au clash avec Carlo Molinari

Et tu as pris la direction de la Suisse.

Luciano D’Onofrio m’a alors amené à Bellinzona, en D2 là-bas. J’y suis resté deux ans. La première saison, nous sommes montés en D1. Des gens très corrects, ce qui n’est pas toujours le cas en football. Je suis parti parce que j’estimais que le club manquait d’ambition mais surtout parce que j’avais reçu une proposition de Metz. L’avantage, c’est que ce n’était pas très loin de Liège. Je n’ai donc pas hésité longtemps mais je n’y suis pas resté longtemps non plus et je vais te raconter pourquoi.

Je t’écoute.

Dans mon équipe, il y avait un international français : Bernard Zénier. Un très bon joueur mais c’était aussi le beau fils du président, Carlo Molinari. J’ai vite remarqué que quelque chose clochait avec lui, que ce soit à l’entraînement ou en match : il n’avançait plus. Je l’ai pris à part et lui ai demandé ce qui se passait. Après avoir tourné autour du pot, il m’a dit qu’il souffrait d’une pubalgie. Il n’avait rien dit parce qu’il devait négocier une prolongation de contrat et qu’il ne voulait pas que les gens soient au courant car c’était quand même une blessure sérieuse. Je lui ai dit que, dans ce cas, je pouvais difficilement l’aligner contre Monaco. Je n’avais pas encore tourné le dos qu’il avait déjà appelé le président pour lui dire qu’il ne jouerait pas et en faire tout un foin. Molinari m’a appelé dans son bureau et m’a dit tout bas : Henri, ma femme a le cancer, elle est en phase terminale et il ne lui reste que quelques mois à vivre. Elle a deux petits-enfants, ce sont les enfants de Bernard Zénier. Si Bernard ne resigne pas à Metz, parce que je ne suis pas seul à décider, il va devoir chercher un autre club et déménager. Peut-être à 2000 km d’ici parce qu’en France, les distances ne sont pas les mêmes qu’en Belgique. Ma femme risque de mourir sans revoir ses petits-enfants. Penses-y, Henri. Tu peux y aller.

Il était clair qu’il voulait m’influencer mais j’ai tenu bon : je n’ai pas aligné Zénier contre Monaco. Avant le match, j’étais nerveux, je sentais bien que je jouais avec le feu. Nous avons gagné 1-0 grâce à un but inscrit dans les dernières minutes. Je me suis dit : ouf, j’ai sauvé ma peau. Mais le lendemain, Molinari déclarait dans les journaux : Depireux a peut-être battu Monaco mais avec moi, il a perdu. Un journaliste m’a dit qu’il avait déclaré que je devais partir. Et quelques jours plus tard, le couperet tombait.

Carton plein avec le Cameroun

L’équipe nationale du Cameroun, c’est le point culminant de ta carrière ?

Sur le plan sportif, oui. Point de vue financier, non ! C’est la meilleure équipe que j’aie entraînée : 16 matches, 16 victoires ! Là, j’ai réussi quelque chose. J’ai découvert Samuel Eto’o, qui n’avait que 16 ans. L’équipe que j’ai formée est devenue championne olympique et a remporté deux fois la Coupe d’Afrique des Nations par la suite.

Pourquoi n’y es-tu resté qu’un an, alors ?

Je vais faire court. Il était écrit dans mon contrat que je toucherais 200.000 € en cas de qualification pour la Coupe du monde : nous y sommes arrivés. Et encore 200.000 € si nous nous qualifiions pour la Coupe d’Afrique des Nations : nous y sommes arrivés aussi. Quatre cent mille euros, donc ! Le problème, dans ces pays, c’est que tu ne signes pas ton contrat avec la fédération mais avec le ministre du Sport, un politicien. Et ils sont tous corrompus, tu n’as aucun recours contre eux. Tu sais ce qu’il a fait pour ne pas devoir me payer ? Il a envoyé un fax à l’ambassade de Belgique pour dire que j’avais démissionné ! Quel entraîneur démissionne après s’être qualifié pour la Coupe d’Afrique des Nations ? Ce mec a mis mes 400.000 € dans sa poche. Au Cameroun, on m’appelait le sorcier blanc mais ça me fait une belle jambe.

Tu as connu d’autres situations identiques ?

Au Congo, ce n’était pas mal non plus. J’étais devenu prudent, j’avais exigé qu’on me verse huit mois de salaire à la signature du contrat. Et effectivement, j’ai directement reçu l’argent. Et puis, plus un balle ! Lorsque j’allais voir le ministre des Sports, il me disait toujours : le mois prochain, le mois prochain… Par l’intermédiaire de l’ambassade, j’ai même rencontré Kabila, qui m’a dit qu’il allait s’occuper de ça. Mais rien ! Et au Congo, il ne faut pas faire le malin sans quoi tu te retrouves au trou avant même de t’en apercevoir. Aujourd’hui, en tout, on me doit 982.000 euros. Heureusement qu’il me reste une pension de 400 euros par mois… (il rit).

PAR GILBERT VAN BINST – PHOTOS: BELGAIMAGE/FAHY

 » Quand je suis passé du FC Liégeois au Standard, mes parents, supporters du Great Old, ont failli me déshériter.  »

 » Le Cameroun est la meilleure équipe que j’aie jamais entraînée. J’y ai lancé dans la bataille un gamin de 16 ans : un certain Samuel Eto’o Fils.  »

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