Le grand Robert

Bruno Govers

Samedi, à Mons, le patron sportif des Zèbres en sera à son 800e match comme coach en D1 belge.

Le week-end prochain, à l’occasion de Mons-Charleroi, Robert Waseige coachera pour la 800e fois en D1 belge depuis les débuts du professionnalisme en 1974-1975. De Winterslag à Charleroi, en passant par le Standard, Lokeren et le FC Liégeois, l’ancien sélectionneur des Diables Rouges à l’EURO 2000 ainsi qu’à la Coupe du Monde 2002 a établi un record qui ne s’effacera pas de sitôt. D’autant plus que la série est en cours et que l’homme fort des Noir et Blanc, après quelques mois sabbatiques dus à sa séparation d’avec le Standard, au départ de la campagne 2002-03, a retrouvé tous ses entrain et appétit depuis qu’il a abouti au boulevard Zoé Drion. Pour un troisième mandat là-bas, après autant d’expériences au Standard, deux à Winterslag et une longue de neuf ans à Rocourt. Des chiffres qui traduisent à suffisance l’estime que le technicien principautaire a toujours véhiculée.

Que vous inspirent ces 800 matches parmi l’élite ?

Robert Waseige : J’en conçois une fierté légitime. Car je mesure fort bien que dans un monde en perpétuelles mouvance et ébullition comme celui du football, il n’est pas donné à tout un chacun de s’inscrire dans la durée. J’ai eu cette chance et j’en suis ravi. Le bail est d’autant plus beau que je l’avais entamé déjà trois années avant d’aboutir avec le même Winterslag en D1 et qu’il a été entrecoupé d’une courte aventure à l’étranger, au Sporting Lisbonne, ainsi que d’une autre, plus longue, à la tête de l’équipe nationale. Au total, en tenant compte des joutes amicales que j’ai dirigées aussi, et qui sont toutes consignées dans des carnets, il en va là de quelque 1.300 rencontres. C’est un total appréciable.

Entraîner, c’était une vocation ?

J’avais indéniablement la fibre, sans quoi je ne me serais sans doute pas inscrit aux cours de l’Ecole des Entraîneurs de Liège à 22 ans, alors qu’il fallait en théorie en compter 13 de plus pour pouvoir être admis là-bas. Après deux années de formation, j’ai eu droit à un certificat en lieu et place d’un diplôme, vu que je n’avais pas l’âge requis. Une fois atteints ces 35 printemps, je me suis d’ailleurs empressé de régulariser cette situation, afin d’obtenir le document officiel, alors que je drivais déjà Winterslag depuis plusieurs mois. L’antenne liégeoise de la fédération ne manquait vraiment pas d’instructeurs des plus compétents. Comme Antoine Basleer, un grand pédagogue formé à l’anglaise, ou encore Wim Lejeune, dont les compétences en matière de préparation physique étaient phénoménales. Lors de mon deuxième passage, ils avaient été relayés par René Irgel et Hubert Martens, dont les connaissances m’ont assurément aidé aussi.

A l’époque où vous étiez encore joueur, au FC Liégeois puis au Racing White, vous glissiez-vous déjà dans la peau de l’entraîneur ?

Je ne prétendrai pas que j’étais son bras droit sur le terrain. Mais je faisais sans conteste partie des joueurs les plus cérébraux de l’équipe. Et pour cause, puisqu’il me fallait compenser une certaine lenteur par un placement des plus judicieux. De la sorte, j’ai toujours été amené à réfléchir beaucoup, non seulement à ma propre position, mais également à celle de mes partenaires. Dans ces conditions, il n’était peut-être pas tout à fait illogique que je me trempe dans le monde du coaching à mon tour. Il en allait là du prolongement naturel de ma carrière de footballeur. Et cette transition s’est faite sans ambages puisqu’à mes débuts à Winterslag, j’avais encore le statut de joueur-entraîneur.

Comment aviez-vous abouti au sein du cercle minier ?

J’en étais redevable à feu Jef Vliers, ancien international avec qui j’avais fraternisé jadis au Great Old et qui présentait la particularité d’être aussi branché que moi sur le football. A cette lointaine époque, il nous arrivait d’ailleurs très souvent de regarder de concert le Sportschau, l’équivalent de Match 1 sur la première chaîne de TV allemande. Limbourgeois de naissance, il avait ses entrées partout dans la province. Le jour où il a appris que Winterslag était en quête d’un nouvel entraîneur, il a formulé mon nom. Vous devinez la suite. A priori, je ne savais pas grand-chose de ce club. Je me souviens qu’avec mon épouse, Aline, ma première préoccupation avait été de regarder sur une carte de Belgique où se trouvait précisément cette localité. J’étais loin de me douter qu’elle faisait partie du grand Genk.

Hennes Weisweiler, le modèle

A l’heure de vous lancer dans le métier d’entraîneur, quels étaient vos modèles ?

J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Hennes Weisweiler, qui avait réussi à faire d’un modeste club provincial comme le Borussia Mönchengladbach un grand d’Allemagne d’abord, puis d’Europe. Or, ses moyens étaient autrement plus limités que ceux des autres ténors de la Bundesliga : le Bayern, Dortmund ou encore Hambourg. Par la suite, lorsque j’étais entré de plain-pied dans la carrière, j’ai hautement apprécié le travail de ces grands novateurs qu’étaient, notamment en Belgique, Ernst Happel et Tomislav Ivic. Aujourd’hui, je voue toujours une sympathie certaine pour d’autres meneurs d’hommes hors du commun. Et, en particulier, ceux de l’école française comme Aimé Jacquet, Arsène Wenger, Gérard Houllier et, bien sûr, Guy Roux, un autre exemple de belle longévité. Qui plus est, dans un seul et même club : Auxerre. Il faut le faire !

Vous avez d’emblée frappé fort avec Winterslag en remportant le titre en D3, en 1971-1972, à l’occasion de votre entrée en matière à ce niveau.

A ce jour, cette victoire-là constitue toujours mon plus beau souvenir. Nous avions dû disputer deux test-matches contre le Patro Eisden pour nous coiffer des lauriers. Le premier s’était soldé par un draw 3-3 sur le terrain de l’ennemi héréditaire, Thor Waterschei. Mais à la faveur du deuxième, nous l’avions emporté 2-1 sur le terrain de Beringen. Aujourd’hui encore, j’ai des frissons en me remémorant le retour à Winterslag. A partir de Zonhoven, c’était la liesse tout au long de la route qui nous menait vers nos installations à la Noordlaan. Ce jour-là, les Vieze Mannen, autrement dit les sales gars que nous étions, dans le jargon populaire du moins, avions enfin pris une éclatante revanche dans une communauté locale qui, majoritairement, soutenait Waterschei, le club de l’ establishment. Le vassal, le serf attaché à la glèbe, était venu à bout, dans l’imagerie de l’endroit, du suzerain. Ce succès m’aura marqué à jamais.

Quels autres temps forts retenez-vous en plus de 30 ans de carrière ?

Il y a eu tant de moments exaltants que j’éprouverais énormément de difficultés à dresser un Top 10. Mais s’il y a un autre instant que j’ai particulièrement apprécié et que je classerais émotionnellement dans la foulée de cette première apothéose avec le club minier, c’est le but égalisateur de Daniel Van Buyten avec les Diables Rouges à Glasgow.

Jean Loos, qui fut votre entraîneur des jeunes au FC Liégeois et le dernier à fêter un titre de champion avec le club de Rocourt, en 1953, a conservé de cette époque son sifflet et son chronomètre. Vous-même, avez-vous gardé l’un ou l’autre souvenirs matériels de vos débuts ?

Je suis resté longtemps attaché à ces mêmes objets, ainsi qu’à des maillots ou autres survêtements, avant de m’en séparer progressivement. D’un côté, parce que je ne tenais pas à devenir superstitieux ou fétichiste et, d’un autre côté, par souci de faire plaisir. Il est amusant de constater que, de temps à autre, le passé m’a rattrapé. Quand j’ai pris congé de Charleroi, en fin de saison 1998-99, j’avais offert mon chrono à quelqu’un qui me l’a rendu illico presto à mon retour. C’est un geste qui m’a profondément touché. Pour en revenir à votre question, la seule référence au passé, ce sont des carnets où je consigne tout, jour après jour : le programme d’entraînement, la manière dont il s’est déroulé, et toutes sortes de divers qui vont de ma façon de faire aux sautes d’humeur éventuelles des joueurs. Parfois, je me replonge dans ces notes mais c’est plutôt rare. Je ne pourrais me passer de cet agenda de bord, comparable somme toute au journal de classe d’un instituteur.

Winterslag, le souvenir

A cet égard, en 1971-1972, vous aviez obtenu un bien beau bulletin avec 73,33 % des points avec Winterslag. Par la suite, les statistiques nous apprennent que vous avez amélioré ce pourcentage à deux reprises. Savez-vous quand ?

Je présume en 1994-1995, lorsque j’ai été vice-champion avec le Standard, et en 1975-1976, quand j’ai accédé pour la deuxième fois en D1 avec les Limbourgeois, non ? Là aussi, mon c£ur penche plutôt pour l’épisode que j’ai vécu avec les Rouge et Noir. Il faut savoir qu’un an auparavant, lors de ma première expérience parmi l’élite, Winterslag, faute de moyens, n’avait pas pété des flammes : un maigre total de 23 points, synonyme de relégation. Malgré cette saison en demi-teinte, je n’en avais pas moins tapé dans l’£il du président du Lierse, Robert Quisenaerts, qui tenait absolument à me confier les rênes des Jaune et Noir. Je n’y étais pas réfractaire, dans la mesure où l’occasion m’y était donnée d’embrasser une carrière pro alors que j’avais été semi-professionnel durant un lustre, jusque-là, dans la banlieue de Genk. Mais le président de Winterslag, Paul Willems, ne voulait absolument rien entendre. Il désirait me conserver par-dessus tout. C’était une belle marque d’estime, car nous n’avions malheureusement pas tenu la distance au cours des mois précédents. Un an plus tard, je fêtais une nouvelle promotion avec le club minier. Et, arrivé au terme de mon contrat, c’est au Standard que j’ai abouti. Pour un enfant de la Cité Ardente, comme moi, c’était évidemment le rêve.

Tout technicien réputé se voit accoler tôt ou tard une étiquette. Chez Raymond Goethals, c’était celle de tacticien ; chez Guy Thys, celle de diplomate. Pour vous, les notions de fin psychologue et de brillant orateur reviennent le plus souvent. A raison ?

Partiellement. Je n’aurais pas assuré ma pérennité dans ce milieu si je n’avais pas été doté de certaines compétences au plan purement footballistique. Pendant toutes ces années, j’ai peut-être su faire passer un message dans le vestiaire mais aussi sur le terrain.

Guy Roux, votre homologue en France en matière de coaching avec plus de 800 matches à la tête de l’AJ Auxerre, avoua, lorsqu’il eut détrôné Kader Firoud de son record de 783 matches :  » Je suis un survivant, toujours heureux d’être là « . Ne pensez-vous pas qu’à l’image du Bourguignon, ou d’Alex Ferguson, vous faites partie d’une race en voie de disparition, tant le football use son homme ?

Honnêtement, je pense qu’il y aura toujours des fêlés comme nous, qui vivront leur passion pendant toute leur vie. Mais c’est vrai qu’ils risquent d’être de moins en moins nombreux. Les exigences sont de plus en plus grandes tandis que la résistance humaine a ses limites. J’ai cru comprendre que l’entraîneur anglais a eu des problèmes cardiaques récemment. Guy Roux et moi sommes passés par là aussi. C’est le lourd tribut que nous aurons payé à notre passion, qui s’est doublée d’une véritable raison de vivre. Mais pour tout le monde, le jeu n’en vaut sans doute pas la chandelle.

Bruno Govers

 » Joueur, j’étais déjà un cérébral « 

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