» LE FOOTBALL est le monde le plus pourri qui soit « 

L’ancien président du Sporting nous livre son testament et revient sur douze ans de présidence.

« Il s’agit de ma dernière interview. Après vous, je ne parlerai plus de foot « , dit Abbas Bayat au terme de deux heures d’entretien.  » Ce n’est pas une page qui se tourne, car cela signifierait qu’on peut encore revenir en arrière. C’est une page qui se ferme « , dit-il pour conclure. Il balaie douze ans de présidence d’un revers de la main. Sans amertume.  » A partir de maintenant, je vais avoir plus de temps pour regarder du beau football. Dimanche, je n’ai pas quitté mon salon, passant de Liverpool-Manchester United à Manchester City-Arsenal. Je suis fan de foot mais certainement pas de foot belge. « 

Est-ce que vous êtes soulagé par la vente du Sporting de Charleroi ?

Non, ce n’est pas une question de soulagement. Pour moi, c’est un fait accompli, un objectif atteint. J’ai fait ce que je m’étais promis de faire en arrivant, il y a douze ans : sauver le club, l’assainir financièrement et obtenir un retour sur investissement comme dans toutes mes sociétés. J’ai toujours dit que racheter Charleroi n’avait rien à voir avec le c£ur ou la passion – même si j’aime le foot – mais qu’il s’agissait d’un travail. Comme Chaudfontaine ou une autre société.

Pourtant, on sentait que depuis quelques mois, vous lâchiez prise…

Ce n’était pas un travail douloureux ni dépressif. Il s’agissait juste d’un travail à accomplir.

Vous preniez encore du plaisir à exercer votre rôle de président ces deux dernières années ?

La vie est une chose difficile. Pourquoi chercher toujours quelque chose de facile ? Je ne comprends pas. C’est probablement la mentalité belge : chercher toujours quelque chose de facile à faire. Dans le travail, on ne doit pas être nécessairement heureux tout le temps.

Pourtant, cela fait deux ans que vous cherchiez inlassablement un repreneur…

Pas deux ans. A partir du moment où on a acheté le club, on a pensé à la revente. Toutes ces années, on l’a préparé dans ce but.

Mais vous auriez bien voulu le vendre plus tôt ?

Il ne s’agit pas de volonté mais de prix acceptable. Je n’ai pas voulu vendre lorsque le club se trouvait en D2 car le prix ne me convenait pas. Pourtant, j’ai reçu des offres à ce moment-là.

Avez-vous préféré l’offre de Fabien Debecq parce qu’elle était liée à la présence de Mehdi Bayat ?

Non, cela n’a rien à voir. Mon neveu n’était pas admis ni mandaté pour assister aux négociations. Je n’ai parlé qu’avec monsieur Debecq. J’avais trois options et j’ai choisi celle de monsieur Debecq. Question de prix mais aussi une volonté de laisser le club aux mains de gens qui allaient continuer à le rendre viable.

Est-il vrai que vous avez posé la condition que Mogi Bayat ne soit pas lié à la reprise ?

Absolument. Je me suis assuré qu’il ne puisse pas être impliqué dans la reprise, directement ou indirectement. Il y a dans l’accord un article spécifique concernant cette possibilité.

Et comment réagissez-vous quand vous voyez que 12 h après la reprise, quatre joueurs emmenés par Mogi Bayat (Rossini, Aoulad, Badibanga et Diandy) arrivent à Charleroi ?

Cela n’a plus rien à voir avec moi. Ce n’est plus mon club et c’est monsieur Debecq qui doit maintenant faire ce qu’il pense devoir faire pour Charleroi.

En 2002, vous confiiez la gestion de Charleroi à vos deux neveux. L’un est aujourd’hui un agent en vue et l’autre le boss de Charleroi. Qu’en pensez-vous ?

C’est bien pour Mehdi, il a trouvé sa place. Quant à Mogi, sans doute réfléchira-t-il un jour à la façon dont il est arrivé là où il est… Vous savez, la vie d’un agent, c’est très court. Et ceux qui ne pensent pas à l’intérêt de leurs joueurs ne durent pas.

 » Qui a dit que j’étais détesté ? « 

Est-ce que s’occuper de Charleroi fut votre défi le plus difficile ?

Non, au contraire. C’était même plus simple que prévu. La gestion d’un club de foot est sans doute une des gestions les plus faciles à effectuer. Plus facile que d’être professeur dans une école primaire ! Pour moi, c’est facile et évident de passer de la gestion de Chaudfontaine à celle de Charleroi.

Pourtant, contrairement à la plupart des sociétés, un club de foot dépend des résultats d’un match…

Mais un match ne fait pas la différence. Il faut prendre le foot dans sa continuité. Les ventes d’un jour dans une société d’eau minérale ne font pas l’année. Dans n’importe quelle société, il y a des soucis particuliers. Dans les soft drinks, c’est la météo ; dans le foot, c’est la relégation. Mais, de la même façon qu’un mauvais été n’est pas fatal à la société de soft drinks, une relégation ne l’est pas non plus pour un club de foot. On l’a prouvé en remontant très vite.

Comment expliquez-vous que Charleroi reste sur quatre mauvaises saisons ?

Car, on n’a pas bien géré la situation. Certaines personnes ont mélangé leur intérêt personnel avec l’intérêt du club.

Vous voulez parler de votre conflit avec Mogi Bayat ?

Oui, c’est de là que sont partis tous les problèmes.

Vous êtes passé en douze ans de sauveur à paria…

Qui a dit que j’étais détesté ?

Vous ne vous êtes jamais senti seul contre tous ?

Non. Je ne me bats pas contre quelqu’un. Et ma vie ne se limitait pas au foot. Je ne cherche pas la gratitude. Je ne fais pas les choses pour qu’on me remercie. Si j’avais fait du mal à quelqu’un, je me serais senti coupable. Mais comme je n’ai fait de mal à personne, pourquoi avoir mauvaise conscience et se sentir malheureux ?

Depuis deux ans, vous étiez sifflé à tous les matches…

Cela me laissait indifférent. Parce qu’il ne s’agissait que d’une minorité. Certains ne voulaient pas que je réussisse.

Pourquoi ?

C’est simple. J’ai des diamants, je ne suis pas chrétien, ni européen. L’esclavagisme vient d’où ? Le colonialisme, ça vient d’où ? D’occident. Et maintenant, ça continue. Il y a un anti-islamisme occidental, simple et facile à montrer. Personne ne s’élève face à cet anti-islamisme. Les personnes qui n’ont pas étudié l’histoire, qui ne cherchent pas à écouter l’autre version de l’histoire, ne comprennent rien. Le racisme, la xénophobie, l’anti-immigration sont inculqués à la population. Cela n’arrive pas du jour au lendemain.

Ce n’est pas réducteur de penser que ceux qui s’opposent à vous le font parce qu’ils sont racistes ?

Quelles étaient les insultes ?  » Casse-toi « ,  » Rentrez-chez vous « . Cela signifie quoi ?

Et ceux qui ne venaient plus au stade à cause de votre politique ?

Je ne pense qu’ils ne venaient plus à cause de moi. Simplement parce que les résultats ne suivaient plus. A cela vous ajoutez aussi le fait que certains aient traité les supporters de crétin… ( NDLR : Il fait référence à une phrase de Mogi Bayat prononcée en février 2009).

Et pourquoi n’avoir jamais joué le rôle de rassembleur avec les supporters ?

A ce moment-là, j’étais fort occupé à d’autres choses. Je n’étais pas impliqué de manière quotidienne à Charleroi. Je ne pouvais pas prendre le parti des supporters qui rouspétaient et aller à l’encontre des arguments défendus par ceux qui géraient le club au quotidien. Je le répète : les quatre dernières années, on n’a pas bien géré le club, excepté sur le plan financier puisque je faisais spécifiquement attention à cela et que j’avais fixé des limites. Mais pour le reste (la façon de parler aux supporters, de se comporter dans le vestiaire, de favoriser certains joueurs, de privilégier certains agents), on a failli.

 » J’étais persuadé que Charleroi pouvait gagner quelque chose « 

Vous n’avez pas su gérer le succès des années Mathijssen lors desquelles Charleroi a terminé 5e, 11e et 5e ?

Les problèmes larvés ont commencé à éclater à ce moment-là. On obligeait certains joueurs à prendre certains agents. Habibou a commencé à avoir des problèmes quand il a refusé de prendre l’agent qu’on lui avait désigné. Moi, je n’étais pas au courant de ces pratiques. Quand Vande Walle a démissionné, il m’a simplement dit que le club n’était pas professionnel. Il voulait parler des interférences de certaines personnes ( NDLR : Sans le nommer, il fait sans cesse référence à Mogi). La saison de la descente, on a remplacé Habibou et Théréau par des joueurs qui, en définitive, étaient nuls. On a pris comme attaquant Hermanni Vuorinen qui est arrivé blessé. ( Ironique) Et on était tellement bien organisé qu’on n’a pas découvert qu’il était blessé et que ses problèmes de hanche l’empêchaient de continuer à jouer au foot !

Pourtant, dans votre politique sportive, il y avait certaines incohérences, comme le fait de ne plus prendre de joueurs âgés alors que ceux-ci (Defays, Laquait, Smolders, Chabaud) étaient à la base de vos succès ?

On ne pouvait pas les garder. Leur offrir un meilleur contrat n’aurait pas été supportable. Beaucoup de gens croient qu’on aurait pu obtenir bien plus de recettes. Je tiens à leur rappeler que quand on a fini 5e, on n’a pas eu plus de supporters que quand on a terminé 11e. Le nombre de sponsors n’a pas augmenté. En termes de recettes, Charleroi était limité.

Charleroi ne peut donc pas se hisser à la hauteur de Gand ou de Genk ?

Impossible. Le budget de Gand est de 15 à 18 millions. Lors de nos meilleures saisons, on n’arrivait pas à dépasser les 5 millions de budget ! Il n’y a pas beaucoup d’industriels dans la région, ni de commerces. Il y a un taux de chômage de 20 à 25 %. Tout le monde pensait que je manquais de respect aux supporters en affirmant cela mais c’est la réalité ! Je comprends très bien qu’ils ne peuvent pas dépenser leur argent au stade !

Dans votre première interview, en juillet 2000, vous dites que vous voulez attaquer l’hégémonie du Standard en Wallonie, vous en êtes loin, non ?

Je me suis rendu compte, avec le temps, qu’il n’y avait pas photo entre Charleroi et Liège. Il y a davantage de possibilités de croissance à Liège, c’est clair. D’autant plus que politiquement, Liège a toujours été plus favorisé. J’avais dit que Charleroi devait intégrer le top-5 dans les cinq ans. Cela s’est vérifié. On a donc prouvé que quand tout le monde tirait sur la même corde, on pouvait réussir. Après, ce ne fut plus le cas.

Pourtant, vous avez même évoqué le titre à un moment…

Mais j’étais persuadé que sur 10 ou 20 ans, Charleroi pouvait gagner quelque chose. Mais les erreurs de gestion nous ont plombé. Je peux vous dire qu’on a signé des dizaines de joueurs qui n’ont jamais percé. Heureusement que j’étais sévère en termes de salaire, cela nous a permis de ne pas trop souffrir de l’indigence de ces joueurs. Ces deux dernières années, j’ai reçu des coups de téléphone d’une vingtaine d’agents qui n’osaient pas m’appeler auparavant parce qu’ils pensaient que Charleroi ne travaillait qu’avec un ou deux agents. Je tombais des nues. Je n’étais pas au courant de tout cela.

Est-ce que l’école des jeunes, qui n’a sorti qu’un seul joueur en 12 ans, constitue votre plus gros échec ?

Absolument. Il s’agissait d’une de mes priorités. Je me sens coupable de ne pas avoir focalisé assez d’attention, ni mis assez de pression pour avoir une bonne école de jeunes.

Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Il n’y a que 24 heures dans une journée.

En octobre 2000, vous déclariez :  » toutes les bonnes initiatives sont immédiatement contrecarrées par Anderlecht « . Est-ce que ce titre de l’article est encore vrai ?

Absolument. Plus que jamais. La réforme du championnat est la pire décision qu’on ait pu prendre. Quand il a fallu voter cette réforme, les dirigeants d’Anderlecht ont mené des opérations de chantage pour modifier le vote. Regardez le nombre de prêts de joueurs consentis par Anderlecht à ce moment-là ! Ils ont carrément acheté pour obtenir ce qu’ils recherchaient. Et ils pensaient qu’en étant à 16, Anderlecht serait plus fort sur le plan européen. Regardez le résultat ! Anderlecht est mal géré. Si j’étais président d’Anderlecht, le club serait à une bien meilleure place. Avec tout l’argent dont le club dispose, pff… Je sais que les dirigeants d’Anderlecht ne m’aiment pas. Je vais vous raconter une chose. En août, j’ai téléphoné à monsieur Van Holsbeeck pour obtenir le prêt d’Aoulad et de Verboom. Il m’a rétorqué que le prix de la mise à disposition s’élevait à 10.000 euros par mois pour chaque joueur. Je lui ai dit – Mais ils vous coûtent 2.000 euros ! C’était à prendre ou à laisser. Et 12 heures après mon départ, j’apprends qu’Anderlecht prête gratuitement trois joueurs à Charleroi.

Est-ce qu’il y a des gens dans le foot belge qui ont de bonnes idées ?

Non. Personne. Pourquoi le foot belge souffre-t-il tellement ? Regardez qui gère l’Union Belge ! Qu’ont-ils fait pour le foot belge ? Ils ont construit un centre à Tubize et la première chose que vous voyez est un hôtel à l’abandon. Et l’équipe nationale ne s’entraîne même pas là. C’est un manque de respect !

Irez-vous encore voir un match à Charleroi ?

Peut-être. Monsieur Debecq m’encourage à y aller. Mais c’est fini de manquer Manchester United ou Barcelone pour voir un match de Charleroi. Si vous pouvez manger dans un restaurant cinq étoiles, vous n’allez pas dans un restaurant une étoile.

Etes-vous déçu par le monde du foot ?

Le monde du foot est probablement le monde le plus pourri qui soit. Avant d’y arriver, je ne le savais pas. Le foot, c’est corrompu à 100 %. Et je peux vous dire que la majorité des dirigeants de clubs sont impliqués dans cette corruption. Quant aux joueurs, je pense que la plupart sont abusés par ce système et ne touchent que la moitié de ce qu’ils devraient toucher. A cause des agents et des dirigeants. Ça, j’ai du mal à l’accepter. n

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » Si j’étais président d’Anderlecht, le club serait à une bien meilleure place. « 

 » Le foot, c’est corrompu à 100 %. La majorité des dirigeants de clubs sont impliqués dans cette corruption. « 

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