« Le foot n’encourage pas l’honnêteté »

Le gardien vit ses derniers jours à Anderlecht. Un portrait intime.

Filip De Wilde: La foi offre un bon soutien quand on grandit. En tout cas, je n’ai jamais eu le sentiment qu’elle me désavantageait mais je crains qu’actuellement, la foi disparaisse. Elle fait surtout l’actualité de manière négative. Pourtant, les jeunes ont besoin de références. Mes enfants fréquentent une école catholique car j’estime que ce sont les meilleurs établissements. Nous n’allons plus à la messe mais nous continuons à croire aux valeurs chrétiennes. Evidemment, la famille s’attend à ce que les enfants soient baptisés, fassent leur communion et tout ça. Je sais que ce n’est pas vraiment conséquent, oui. C’est un peu hypocrite: on le fait sans en être vraiment convaincu. Bien qu’en y réfléchissant, ces cérémonies ont un rôle social non négligeable. Elles unissent les gens. Vu sous cet angle, elles sont même nécessaires, je trouve.

« McEnroe, mon idole »

Enfant, qui admiriez-vous?

McEnroe, au moment où le tennis a commencé à crever le petit écran. On veut toujours un peu se distinguer. Donc, comme ma mère et mes soeurs préféraient Borg, j’étais supporter de McEnroe. Histoire de les contrarier et de mettre de l’ambiance (il sourit). J’étais également supporter d’Anderlecht mais ses joueurs étaient inaccessibles à mes yeux. Je me souviens d’un hiver, à Donkmeer, chez nous. La rumeur a fait le tour du quartier: Arie Haan patinait sur la glace. J’ai ratissé tout le coin pour pouvoir le voir mais si j’y étais parvenu, il ne me serait jamais venu à l’idée de lui demander quoi que ce soit. J’aurais été incroyablement timide.

Sur le site web d’Anderlecht, on ne trouve pas, parmi vos musiciens préférés, Philippe Robberecht, qui est pourtant votre beau-frère…

Il ne marche pas sur les chemins battus. Il fait ce qu’il aime. Il aurait certainement pu gagner plus d’argent en s’y prenant autrement et en profitant des opportunités qu’il a eues mais il s’en est toujours volontairement gardé car il ne voulait pas faire partie du petit cercle des chanteurs flamands. Il voulait être considéré comme un musicien sérieux, qui écrit lui-même ses textes et sa musique. Je pense qu’il aurait été un peu déplacé de le placer dans ma liste.

On ne trouve pas fréquemment votre photo dans les magazines.

Je ne me prête pas volontiers à ce jeu. Pendant des années, j’ai refusé, ne voyant pas l’utilité de tout ça.

Comment cela s’est-il passé au Portugal?

Il y a trois ou quatre quotidiens qui traitent exclusivement du football mais ils ne dépassent pas ce cadre. Ce n’était donc pas un problème. En outre, je n’étais pas un grand nom. A l’étranger, on reste un petit Belge. De leur point de vue, je pouvais déjà m’estimer heureux de pouvoir jouer au Portugal. Là, les gens ne s’intéressent qu’aux vedettes, ce que je n’étais pas.

Etes-vous agressif, verbalement?

Je jure surtout quand les gens n’écoutent pas, quand ils reproduisent les mêmes erreurs, par mauvaise volonté ou par paresse. Ces dernières années, je me suis rarement fâché sur moi-même. J’ai le sentiment d’avoir toujours fait ce que je devais,tout en sachant que parfois, ça peut ne pas marcher.

Avez-vous dû apprendre que personne n’est parfait?

Je ne le suis pas, en tout cas. C’est quelque chose qu’on apprend au fil des années. Il y a des gens qui ont un caractère très différent et qui ont énormément d’assurance, au point de se persuader qu’ils ne font jamais rien de travers, et qui continuent à défendre leur point de vue dans les cas les plus flagrants. C’est un trait de caractère que je n’ai absolument pas. J’ai toujours estimé que je pouvais mieux faire mon boulot de gardien.

Avez-vous toujours été aussi perfectionniste?

Sûrement pas à l’école (il éclate de rire). Non, pas du tout. Je suis même négligent. Sauf en football parce que c’est mon gagne-pain et celui de ma famille. C’est ma grande source de motivation.

Vos parents ont-ils dû souvent se fâcher sur vous?

J’ai eu mes années difficiles, comme tout le monde. On m’a toujours dit que je pouvais mieux. J’ai réussi à achever mes humanité. J’étudiais juste assez pour passer mais parfois, ce n’était vraiment pas bon. Avec mes enfants, je remarque maintenant que je peux être un père irritable. Mon aîné a 16 ans. C’est un chouette garçon mais parfois, je pense: grrr. Il a le même caractère que moi, donc je me reconnais en lui. « Je suis gourmand! »

Vous avez déclaré que pour vous, les périodes de congé étaient les plus difficiles à surmonter.

Surtout avec l’âge. Au début de ma carrière, j’en faisais fort peu pendant mes vacances. Puis, une fois, j’en ai vu de toutes les couleurs pendant la préparation. J’ai dit: – Plus jamaisça! Il suffit de s’entraîner quelques fois par semaine pendant les vacances pour conserver son niveau. Faites-le quelques années de suite et vous constatez qu’au lieu d’être parmi les joueurs les plus faibles, vous êtes parmi les meilleurs. Je conserverai une discipline de vie au terme de ma carrière, car je ne veux pas prendre 20 kilos en cinq ans. Durant ma jeunesse, j’avais tendance à grossir car j’adore manger. Mais je ne cède pas à la tentation entre les repas. A la maison, par exemple, nous n’avons pas de boissons sucrées. Je pense que j’ai perdu trois kilos par rapport à mes débuts. Je devais peser 81 kilos à Beveren alors que je suis à 78. C’est peut-être ce qui explique que ma carrière soit allée crescendo. Je suis devenu de plus en plus sérieux au fil des années.

Avez-vous reçu une éducation stricte?

Plutôt sévère, mais c’était normal à cette époque. Ce fut encore plus rude dans mon sport mais je ne me suis jamais révolté. On me faisait comprendre de manière subtile quand je devais rester à la maison, mais j’ai découvert par mes propres moyens l’importance de la diététique. Avant un match, il m’arrivait d’avaler trois ou quatre gaufres au sucre, ce qui n’est évidemment pas idéal. Mais bon, à l’époque, je n’imaginais pas un instant devenir professionnel. Je suis le cadet d’une famille de quatre enfants. J’ai donc bénéficié d’une certaine marge de manoeuvre. Je pense que j’étais plus libre que mes aînés. Ils disaient toujours que j’étais le petit dernier, le chouchou, et je l’ai certainement été quand j’ai obtenu des succès en football.

Que pensaient vos parents de votre passion pour le football?

Ce n’était pas un problème mais ils ont insisté pour que je poursuive ma scolarité. Lorsque j’ai interrompu mes études d’instituteur, je me suis heurté à une fameuse résistance. Abandonner au bout de six semaines ne constitue pas non plus un exemple de persévérance, évidemment. Je ne pensais qu’au football et à mon amie. Quand Beveren disputait des tournois à l’étranger, les parents organisaient le voyage en car et nous accompagnaient. Un autre monde s’est ouvert à mes parents car nous n’étions qu’une famille ouvrière, pour laquelle il n’y avait guère de marge à consacrer aux loisirs. Un jour à la mer avec un frigobox… J’ai toujours partagé la chambre de mon frère, mes soeurs faisaient pareil de leur côté. Mes parents ont trimé et ont amélioré leur train de vie au fil des années. Ils avaient un commerce de proximité. J’ai conservé leur mentalité: je ne dépense pas l’argent avant de l’avoir en main et j’ai tendance à économiser.

Votre famille suit-elle votre carrière?

Ma soeur aînée est mon meilleur supporter, en secret. Elle ne me l’avoue pas mais d’autres me le disent. Les autres s’y intéressent moins. Longtemps, mes parents n’ont pas raté un seul de mes matches, jusqu’à ce que ma mère soit victime d’une hémorragie cérébrale dans la tribune. C’est inimaginable ce qui vous tombe dessus quand, après le match,on vous apprend une nouvelle pareille. Je ne me souviens même plus de ma réaction. Cette femme tellement solide était devenue, d’un coup, quelqu’un dont il fallait prendre soin. Non que ça m’incite maintenant à tout relativiser. Mon père, en tout cas, a été confronté à un fameux changement de vie. »L’Amérique n’est pas le maître du monde »

Que pensez-vous de la guerre en Irak?

Elle n’était pas justifiée mais je trouve aussi que l’Europe a été hypocrite, dans la mesure où elle a permis aux Américains d’envoyer des troupes et n’a jamais pris de responsabilités alors qu’elle savait très bien qu’ils allaient déclencher la guerre. Le comportement de Blair est plus conséquent, ce qui ne signifie pas que je sois d’accord avec lui. Ce que je veux dire, c’est que la réaction est venue beaucoup trop tard. Je suis contre la guerre parce que l’Amérique ne doit pas être le gendarme du monde et qu’elle n’est pas aussi noble qu’elle se l’imagine. Quand une partie, quelle qu’elle soit, devient dominante, ça finit par tourner mal. L’histoire nous l’a appris. Je pense que l’Amérique sous-estime la haine et le mécontentement qu’elle sème actuellement dans les pays arabes et dans le monde. éa peut laisser des séquelles pendant un siècle.

Le monde dans lequel mes enfants grandissent est beaucoup plus complexe que celui de mon enfance. La seule violence que j’ai jamais connue, c’était une bagarre à un thé dansant. On collait tout de suite une étiquette aux bagarreurs. Jamais je n’ai été en contact avec la drogue et jusqu’à 16 ans, c’est une façon de parler, je jouais à cache-cache sur le terrain de sport. Je pense que maintenant, à cet âge, on a d’autres centres d’intérêt. Mon fils aîné sait qui deale de la drogue…

éa vous tracasse?

On ne peut jamais rien exclure mais nous avons toujours été à l’écoute de nos enfants. En principe, nous mangeons ensemble trois fois par jour, donc, nous savons toujours où ils sont… Jusqu’à maintenant. Une telle éducation vous permet de conserver un certain contrôle et élimine certains dangers, mais une vie comporte tant de facteurs dont on ignore les conséquences. Un amour malheureux… Ces choses-là. On ne les maîtrise pas toujours. Un de mes amis,très sympathique, est supporter d’Anderlecht. Une fois, je l’ai vu dans le kop: c’était la métamorphose la plus complète! Parfois, il est difficile de s’imaginer ce qu’un tel environnement peut déclencher chez les gens.

Vous avez vécu des derniers mois pénibles, non?

Oui, ils ont quelque peu entamé mon assurance. C’était la première fois en 20 ans. Il peut arriver qu’à la maison, on vous tienne des propos inhabituels, mais ce n’est pas grave. C’est une de mes qualités: je peux me concentrer sur quelque chose et me couper du reste. Ma femme a grandi dans ce milieu. Quand quelque chose ne va pas, elle lit en moi et nous devons en discuter. Mais sur le plan familial, je ne peux me plaindre: c’est plutôt une vie de privilégiés.

Nous sommes mariés depuis 18 ans. Je fais partie des gens heureux… Maintenant, on déconseille même aux gens de se marier, tant les échecs sont nombreux. J’attache beaucoup d’importance à la famille, j’ai un cercle d’amis indépendant du football. Je n’ai pas besoin d’être entouré en permanence de trois ou quatre personnes pour me sentir bien. Ma femme est plus sociable que moi, heureusement. Elle a entretenu ses liens avec son cercle d’amis et j’en profite aussi maintenant.

Selon moi, pour réussir un mariage, il faut aussi une sacrée dose de chance. Quand vous vous mariez à 20 ans, même si vous vous connaissez depuis trois ans, que savez-vous de l’autre?Vive l’honnêteté!

Quelle est la plus belle qualité?

L’honnêteté. Piquer quelque chose dans un magasin constitue une étape presque inévitable mais la sanction suit immédiatement. Après, vous ne le faites plus. Si j’ai une devise, c’est bien celle-ci: c’est l’honnêteté qui compte le plus, même si parfois, on a l’impression que d’autres en font mauvais usage. A la longue, ça tourne à votre avantage. On récolte ce qu’on sème. Parfois, on profite de votre inconscience mais évidemment, le milieu du football n’est pas le biotope idéal de l’honnêteté. Par exemple, quand vous négociez votre premier contrat, vous ne savez absolument pas ce que vous pouvez obtenir. Ce n’est d’ailleurs pas très important, après-coup. Ce qui était essentiel, à mes yeux, c’était de jouer, pas de gagner beaucoup d’argent. Mais si on considère les choses à long terme, même un contrat trop bas peut constituer un avantage. Vous prestez mieux qu’un autre et vous vous forgez un caractère.

Vous avez déjà dit qu’aux carrefours de votre vie, vous avez toujours suivi votre intuition.

Oui. Je ne peux pas tout décortiquer en arguments. Cependant, je ne voudrais pas recommencer maintenant une carrière de footballeur. Je vois tout ce qui aurait pu mal tourner mais qui m’a finalement réussi… C’est une question de chance. Je suis parfaitement conscient d’avoir toujours vécu dans un luxe incroyable: je n’ai jamais manqué de rien et tous les membres de ma famille sont restés relativement en bonne santé.

Vous êtes à l’aise dans le milieu du foot?

Mieux vaut dire directement ce qu’on a sur l’estomac à la personne concernée. En football, il y a une loi non écrite: ne jamais admettre qu’on a commis une faute. Si vous l’admettez, ça se retourne immédiatement contre vous car ça soulage d’autres personnes. Si vous plaidez coupable, il n’est plus nécessaire de chercher plus loin. Moi, j’estime qu’il faut reconnaître ses erreurs. A long terme, ça joue à votre avantage, on vous apprécie plus. Mais évidemment, un joueur, et plus encore un gardien, est extrêmement susceptible. Il m’a toujours été difficile de ne pas être fair-play. Gagner du temps, discuter avec les arbitres, provoquer des cartes… J’ai toujours eu des problèmes avec les entraîneurs qui demandent ce genre de choses à leurs joueurs ou qui les y poussent.

Vous êtes toujours calme, posé…

Je suis trop heureux de ce que j’ai obtenu de la vie pour être jaloux mais il m’arrive d’envier les gens qui savent faire les 400 coups. Moi, je me réfrène toujours. A certains moments, j’oublie de profiter de la vie. Je suis ainsi fait. Votre personnalité a une influence sur votre vie. C’est pour ça que je peux très bien comprendre que des grands-parents vivent plus intensément la naissance d’un petit enfant qu’ils n’ont vécu celle de leur propre gosse, mêmesi ce moment reste inoubliable. Mais notre deuxième a grandi sans que nous nous en rendions compte, ou presque. Alors, nous nous sommes obligés à profiter de chaque moment avec le troisième, à mieux savourer ses progrès. Car vous savez comment ça va: quand tout se passe bien, la vie file à toute vitesse et vous ne prenez pas conscience de votre bonheur.

Raoul De Groote

« A 16 ans, je jouais encore à cache-cache. Ma vie est plus complexe maintenant »

« Parfois, j’envie ceux qui savent faire les 400 coups »

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