« LE FOOT, C’EST PAS CHINOIS »

L’arrivée d’entraîneurs et de stars étrangères contribuera-t-elle à l’essor du ballon rond dans le pays le plus peuplé ? L’ancienne gloire de la sélection oranje en doute.

Nous sommes dans la cafétéria d’un gratte-ciel de Sanlitun, le quartier chic réservé aux expatriés à Pékin. Arie Haan s’enfonce dans son fauteuil. La canicule s’est abattue sur la ville et il n’y a pas meilleur endroit que cette cantine d’entreprise. Haan est détendu, presque comme s’il était chez lui.  » C’est le sentiment que j’ai.  » La Chine le fascine, même s’il ne parle pas un mot de sa langue.

En 2002, il jouait au tennis sur un court néerlandais quand on lui a demandé s’il avait envie de devenir sélectionneur de la Chine.  » J’ai répondu : Vous êtes fou ? Elle ne fait que perdre et ne marque pas un but « , se souvient-il. Ses amis l’ont convaincu de relever le défi. Ils faisaient des affaires en Chine et lui ont raconté que le pays était en plein boom.  » Il fallait que je le voie de mes propres yeux.  » Haan a décidé de partir à l’aventure, sans la moindre attente. Il ne connaissait même pas les coutumes chinoises.  » Prenez le petit-déjeuner : ils prenaient une assiette, passaient au buffet puis engouffraient la nourriture à la chaîne. Leur assiette vide, ils repartaient. Quelques jours plus tard, j’ai voulu voir où ils filaient comme ça. Les joueurs entouraient mon adjoint chinois, prêts à reprendre l’entraînement. « 

Haan a rapidement remarqué qu’il devait modifier sa manière de communiquer.  » Je sais exactement ce que je veux et ce que j’attends de mes joueurs mais ils ne m’écoutaient pas quand je parlais. J’ai été obligé d’écrire pour qu’ils comprennent ce que je voulais.  » Un autre problème a surgi : le manque d’assurance et l’angoisse de commettre une erreur, des traits typiques de la personnalité chinoise. Paralysés, ses joueurs lui obéissaient aveuglément, en se gardant de prendre la moindre initiative.  » Quand je leur expliquais quelque chose, ils s’exécutaient mais si la situation changeait, ils ne savaient plus que faire. Après une longue période, je leur ai accordé plus de liberté pour qu’ils trouvent leur propre style. « 

Haan a très vite compris l’importance de son adjoint chinois, capable d’expliquer ses intentions.  » Pour moi, un footballeur est un footballeur et je les traitais donc comme tels « , poursuit-il avec son réalisme habituel.  » Cela fonctionne comme je le veux et pas autrement.  » D’autres entraîneurs étrangers, actifs dans des clubs, ont déjà expliqué la manière dont les décisions se prenaient dans le football chinois et ont évoqué la puissance de la direction ou des entraîneurs adjoints, qui accordent des privilèges à certains joueurs. Arie Haan estime que c’est à l’entraîneur de contrôler la situation.  » Au début, j’ai dit à mes joueurs de ne pas croire ceux qui les approcheraient en leur garantissant une place dans l’équipe car c’est moi et moi seul qui tranche ce point. « 

Une frontière ténue entre pouvoir et abus

Des managers chinois, étroitement liés à d’importants membres du comité, ont aussi essayé de placer leurs pions. Ils ont approché des nouveaux joueurs juste avant la publication de la sélection en leur offrant une place contre le paiement d’une forte somme d’argent. Haan ne l’a compris que des années plus tard.  » Un ancien joueur est venu me trouver et il m’a demandé si je savais que, de son temps, il fallait verser 150.000 renminbi, soit 19.000 euros, pour avoir une place en équipe nationale. Je vous garantis que je n’ai jamais vu cet argent. « 

Malgré son optimisme et sa confiance dans le potentiel footballistique de la Chine, Haan a démissionné en novembre 2004, après une victoire 7-0 à Hongkong. Il manquait un point à son équipe pour se qualifier pour le Mondial. Son sourire s’efface quand il se remémore cette funeste journée.  » J’ai eu pitié des joueurs car nous étions vraiment près de la qualification. Finalement, j’ai vécu une période magnifique. Je suis heureux d’avoir connu cette expérience. « 

Sa démission n’a pas signifié la fin de son séjour en Chine. Cinq ans plus tard, après des passages en Iran, au Cameroun et en Albanie, il est devenu l’entraîneur de trois clubs chinois, successivement Chongqing Lifan, Tianjin Teda et Shenyang Shenbei. Ce dernier club l’a limogé en mai dernier, après un mandat de quatre mois, à cause de résultats décevants. La société néerlandaise BJ 1421 Business Consulting, sise à Pékin, se charge de l’accompagnement des entrepreneurs bataves en Chine et a engagé Haan pour dispenser des conférences.

Haan a travaillé cinq ans en Chine, au total. Il y a vécu le contrôle constant de la direction, sans toujours pouvoir discerner clairement de ligne entre pouvoir et abus. Selon lui, de prétendus experts se mêlent de tout.  » Cela se passe partout, même en Europe. La hiérarchie m’a déjà dit : – Ecoute, si tu perds et que tu fais ce qu’on te dit, il n’y a pas de problème. Mais si tu perds et que tu ne fais que ce qui te plaît, nous pourrions avoir des ennuis. C’est arrivé durant son mandat à Chongqing Lifan. A son insu, l’investisseur principal du club avait enrôlé le Brésilien Ailton, l’ancien meilleur buteur de Bundesliga. Or, Haan n’avait pas besoin de lui, il ne voulait pas non plus l’aligner mais il l’a finalement accepté, pour ne pas faire perdre la face à son patron. Haan se reprend. Il veut manifestement clore le chapitre.  » A part ça, je n’ai jamais remarqué de pratiques louches ni d’ingérences des pouvoirs publics.  » Pourtant, en 2009, alors qu’il entraînait Chongqinq Lifan, il a été suspendu pour trois matches, après avoir ostensiblement montré de l’argent à l’arbitre.  » Je ne voulais rien dire de particulier. L’arbitre est toujours le bouc émissaire quand on perd. J’ai malencontreusement mis la main en poche et j’y ai trouvé des billets.  »

Pas de pression du régime en place

Bien que la charte de la FIFA précise que toutes les associations nationales doivent être indépendantes des pouvoirs publics, la législation sportive de la Chine considère l’ East Asian Football Federation comme un département public. Haan affirme néanmoins n’avoir jamais été mis sous pression par le régime.  » La Fédération était libre de faire ce qu’elle voulait, contrairement à celle du Cameroun. Là, mon contrat venait du régime. L’influence du pouvoir sur le football est plus importante en Afrique : les associations ne survivent que grâce au soutien et au financement des pouvoirs publics. Ce n’est pas le cas en Chine, je peux vous le garantir.  »

Prudemment, il ajoute :  » Il faut quand même changer les mentalités pour que la Chine occupe une place sur la carte du football.  » Il n’éclipse pas les aspects sombres du football chinois mais son langage corporel montre qu’il est sur ses gardes. Il pèse ses mots pour ne pas désobliger ses camarades sportifs chinois et tente d’expliquer les raisons de sa prudence.  » La Chine est en retard.  » Il nous lance un coup d’£il conspirateur et poursuit.  » La culture chinoise se focalise sur la première personne du singulier, pas sur le nous. Or, le football est un sport d’équipe. Cette culture individualiste qui règne en Chine signifie : – Moi, qui fais ça pour mon pays. Vous pouvez imaginer que dans une nation qui compte 1,3 milliard de personnes, la pression est très élevée.  »

Selon Haan, des gourous comme Marcello Lippi, champion du monde 2006 et engagé par Guangzhou Evergrande en mai dernier, ne constituent donc pas les remèdes adéquats au malaise du football chinois. Il en va de même pour les transferts coûteux de Nicolas Anelka et de Didier Drogba, qui gagnent respectivement 225.000 et 320.000 euros par semaine. Ces prépensionnés du football devraient donc apporter le succès au football chinois, en échange d’une cassette d’argent. Or, les sous ne manquent pas dans le pays, qui connaît la plus forte progression économique du monde.  » Mais, pour le moment, tout tourne autour du prestige et de la face, pas autour du savoir et de la compétence. Je ne serais pas surpris si Anelka ne restait que six mois. Il est ici pour promouvoir sa ligne de produits. Après, il s’en ira.  » Il semble avoir raison. D’après L’Equipe, Anelka pourrait rejoindre l’Arabie Saoudite cet été encore. Il aurait déjà eu un entretien avec Antoine Kombouaré, l’actuel entraîneur d’Al Hilal, bien que son contrat à Shanghai Shenhua soit valable jusqu’en décembre 2013.

Un manque de lecture du jeu

Haan estime que le football chinois devrait établir un projet à long terme, au-delà de dix ans, et qu’il devrait trouver une formation susceptible de conférer au football chinois son propre visage. Il est convaincu que les joueurs chinois possèdent la technique et le physique requis mais pas ce qu’il appelle la lecture du jeu.  » Les Américains ont commis cette erreur dans les années 70 quand ils ont embauché des noms comme Pelé et Franz Beckenbauer pour promouvoir leur football. Ils ont échoué et le football n’a pris son envol que quand ils ont commencé par la base. On ne peut pas réussir avec quelques joueurs européens qui ne pensent qu’à gagner de l’argent et s’en vont après quelques mois.  »

Il y a quelques années, le vice-président chinois Xi Jingping a émis trois v£ux pour le football de son pays : la qualification pour le Mondial, l’organisation d’une Coupe du Monde et la victoire finale.  » Vivrons-nous encore quand ça arrivera ? Peut-être, si nous devenons centenaires « , rigole Haan.  » Les Chinois peuvent maîtriser la technique et développer leur physique mais le sens tactique ne vient qu’avec l’expérience. Pour cela, il faut une solide formation des jeunes et c’est bien le problème car les gens qui s’y attellent n’en profiteront jamais, pas plus que moi. Je sais que je ne serai jamais reconnu pour ce que j’ai fait et que je continue à faire. « 

EVA VIJSELAAR – PHOTOS: REUTERS

 » Un ancien joueur m’a demandé si je savais qu’il devait payer 19.000 euros pour avoir sa place en équipe nationale.  » Arie Haan

 » L’arrivée de Didier Drogba et de Nicolas Anelka n’apportera rien de plus que celle de Pelé et de Franz Beckenbauer aux USA dans les années 70.  » Arie Haan

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