Le feu d’artifice d’ El Loco

L’Athletic Bilbao a signé un parcours remarquable en Europa League et en Coupe d’Espagne, des épreuves dont il a atteint la finale la saison dernière. Pour voir du spectacle, c’est au Pays basque qu’il faut être.

25 juin 2010 : on vient de siffler les derniers matches de la phase de poules du Mondial sud-africain. Le Chili est la révélation du tournoi. Chacun de ses matches est un régal. Johan Cruijff, d’un naturel si critique, estime que c’est la formation la plus agréable à regarder. Le Chili trébuche certes en huitièmes de finale contre le Brésil mais il quitte la Coupe du Monde la tête haute car il s’est replacé sur la carte. Le moteur de son succès ? L’entraîneur argentin Marcelo Bielsa.

Il range ses boots à 24 ans

Bielsa n’a pas été un grand footballeur.  » Je n’avais pas de talent « , reconnaît-il.  » J’étais un footballeur raté et cela m’a frustré . »

L’Argentin n’a évolué qu’une saison parmi l’élite : vingt petits matches pour les Newell’s Old Boys, un grand club de son pays. A 24 ans, il range ses boots, à cause d’une tenace blessure au genou. A partir de ce moment, il ne poursuit plus qu’un objectif : devenir un grand entraîneur, le plus vite possible. Les Old Boys l’embauchent comme coach des jeunes. Il entame sa formation avec une passion qui frôle l’obsession. Il se penche particulièrement sur l’aspect physique et suit une formation de physiologue pendant cinq ans. Dix ans plus tard, il a gravi tous les échelons des Old Boys. Sous sa direction, le club de Rosario remporte le titre et perd la finale de la Copa Libertadores, la version sud-américaine de la Ligue des Champions. Bielsa se rend alors au Mexique, où il passe une saison à l’Atlas et une autre à l’America.

En 1998, El Loco reçoit sa chance à l’Espanyol Barcelone mais l’aventure ne dure pas : sa patrie l’appelle. Bielsa devient sélectionneur de l’Argentine. Malgré un Mondial 2002 raté (l’Albiceleste est éliminée au premier tour), il obtient un nouveau contrat. Bielsa rajeunit le noyau et le conduit en finale de la Copa America puis lui offre la médaille d’or aux Jeux olympiques d’Athènes. A la surprise générale, il remet alors sa démission. C’est que la Fédération ne le rémunère pas en dollars, comme c’était stipulé, mais en pesos. A ce moment là, ils valent quatre fois moins. Las, Bielsa se retire du monde du football pendant trois ans.

La muse de Guardiola

Pendant cette période sabbatique, il est la muse de Pep Guardiola, qui est sur le point de devenir l’entraîneur de l’équipe B de Barcelone. Pour s’y préparer, Guardiola rend visite à Bielsa en Argentine. Il est accueilli à bras ouverts par l’Argentin, intrigué par la motivation du Catalan. Les deux hommes discutent pendant des heures et s’influencent mutuellement. On continue d’ailleurs à trouver des convergences entre le style de jeu de leur équipe et leur manière d’entraîner.

Avant le match entre Bilbao et Barcelone, d’ailleurs, Bielsa et Guardiola n’ont cessé de se lancer des fleurs.  » Chaque match de l’Athletic est un cadeau pour les amateurs de football. Bielsa est le meilleur entraîneur du monde « , déclare le coach du Barça à plusieurs reprises. Guardiola considère Bielsa comme son mentor, ce que l’intéressé réfute :  » Regardez les prix que Guardiola a remporté à un âge encore tendre. C’est lui le mentor et moi le poulain « .

Après sa pause, en 2007, El Loco prend la tête de l’équipe nationale du Chili. Il applique toujours la même recette : il accorde leur chance à de jeunes joueurs affamés de succès et les sublime. Le onze de Bielsa accumule les victoires historiques : La Roja bat la Colombie pour la première fois et remporte aussi son premier succès dans un match officiel contre l’Argentine. Le Chili termine même deuxième de sa poule de qualification, devant l’Argentine, une autre primeur. En Afrique du Sud, le Chili développe un jeu de combinaisons audacieux et chatoyant, il prend six points sur neuf au premier tour. Il bat la Suisse et le Honduras par le plus petit écart (1-0) mais s’incline face à l’Espagne dans le dernier match de poule.

Les Chiliens, qui évoluent dans un 3-4-3 très offensif, encaissent deux buts, sur des contres. Bielsa ne réagit pas quand Marco Estrada est exclu en première mi-temps. Son équipe évolue alors en 3-3-3. Le Chili réduit la marque en fin de partie mais ne parvient pas à égaliser. Au stade suivant, il est éliminé 3-0 par la Seleção. Début 2011, Bielsa démissionne malgré ses brillants résultats, à cause d’un conflit au sein de la Fédération chilienne. Il avait annoncé qu’il s’en irait si Jorge Segovia était élu à la présidence. Des milliers de supporters le supplient de revenir sur sa décision mais rien n’y fait. Il tient parole.

Le kick and rush à la poubelle

Au chômage, il intéresse l’Inter durant l’été mais il signe finalement à l’Athletic Bilbao, une équipe jeune et ambitieuse, qu’il peut former à sa façon. Pendant la préparation, il met l’accent sur la condition. Il veut que son équipe exerce un pressing à un rythme élevé et soit capable de tenir pendant 90 minutes.

Bilbao prend deux points sur quinze. C’est le pire départ de son histoire.  » L’équipe a eu besoin de quelques mois pour s’adapter au style de jeu de Bielsa « , explique William Unwin, journaliste au quotidien britannique The Independent. Unwin a résidé au Pays basque pendant des années et continue à suivre le club.  » L’entraîneur a fait des expériences, au début. Avec Javi Martinez, ce fut un succès. Le médian défensif joue maintenant au c£ur de la défense, ce qui offre plus de bagage footballistique à la dernière ligne.  »

El Loco teste aussi différentes formations. Il a généralement recours au 4-2-3-1 mais il passe sans problème au 3-3-1-3.  » Bielsa a profondément modifié le style de jeu de l’Athletic « , poursuit Unwin.  » Sous son prédécesseur, Joaquin Caparros, l’Athletic ne jouait pas depuis l’arrière. Il adressait de longs ballons à Fernando Llorente. Bielsa a troqué le kick-and-rush contre son style de jeu préféré, des combinaisons rapides.  » Les statistiques montrent que Bilbao a le pourcentage de possession du ballon le plus élevé après Barcelone et le Real : 56,4 % contre 47 % la saison précédente.

En octobre, l’équipe trouve ses marques. Elle prend onze points sur quinze en championnat et sept points sur neuf en poule de l’Europa League.  » Bielsa a généralement recours au même onze. Chacun sait ce qu’on attend de lui et ces automatismes haussent le niveau de jeu de Bilbao « , déclare Unwin.

Paul Giblin, un autre journaliste anglais qui suit le club depuis plus de vingt ans, poursuit :  » Cela va mieux depuis que Bielsa a repris quelques aspects de l’ancien Bilbao. A certains moments, le club expédie encore de longs ballons dans le rectangle adverse, à Llorente, ce qui permet à celui-ci de bien exploiter son point fort, le jeu de tête « .

Bielsa change aussi le style de jeu en perte de balle.  » Caparros faisait redescendre l’équipe très bas, jusqu’à sa ligne de rectangle. Quand elle reconquérait le ballon, elle tentait de l’expédier à Llorente. En perte de balle, les joueurs exercent maintenant un pressing constant « , explique Giblin.  » Bilbao pourchasse ses adversaires sur toutes les parties du terrain. Il exerce parfois un pressing terrible, comme on l’a vu dans ses matches contre Manchester United.  » La saine agressivité des Basques se traduit aussi en chiffres : l’équipe réalise en moyenne 25 tackles par match, contre 19 la saison précédente.

Pas partisan de la rotation

Bielsa a donc placé son empreinte sur la jeune phalange basque, particulièrement brillante dans les épreuves de coupes. En championnat, par contre, la saison est moins brillante. Pourquoi ? Peut-être parce que Bielsa n’est pas un partisan de la rotation.  » L’Argentin n’utilise que 14 footballeurs « , commente Unwin.  » Il a un noyau restreint et apparemment, les joueurs sont plus fatigués en championnat. « 

Bielsa n’est pas surnommé El Loco pour rien. Il a l’habitude de quitter ses postes à des moments où personne ne s’y attend. Ainsi, durant le début de la préparation, il a eu une grosse dispute avec le responsable des travaux du centre d’entraînement et la presse espagnole a même annoncé sa démission. Mais l’Argentin s’est finalement ravisé et il devrait donc honorer son contrat, qui court jusqu’en juin 2013.

PAR BART PLASSCHAERT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Chaque match de l’Athletic est un cadeau aux amateurs de football. « 

Pep Guardiola.

Bilbao a le pourcentage de possession du ballon le plus élevé après Barcelone et le Real : 56,4 %

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