» Le corps devait lâcher, je le savais « 

Jusqu’à mercredi dernier, et le transfert de Steven Defour, Pelé Mboyo détenait encore le titre du joueur belge le plus coûteux pour un club de notre élite. Débarrassé de cette ceinture et de pas mal de pression, l’attaquant de Genk s’explique en long et en large sur son année difficile.

Dimanche pluvieux sur Bruxelles. Les badauds de l’avenue de la Toison d’Or, étonnamment calme, ne se pressent guère aux rares terrasses dressées entre les enseignes des grandes chaînes commerciales. Loin de tout brouhaha, c’est au bar le People que Pelé Mboyo nous a donné rendez-vous. Afin de prendre son temps et de s’expliquer sur une année footballistique écoulée qui ne fut pas de tout repos. Un transfert, une saga, des blessures, des sifflets et une Coupe du Monde qui lui file sous le nez, Pelé veut désormais tourner la page et voir l’avenir avec optimisme. Pour cela, il peut compter sur son crew, ses amis, footballeurs ou non, présents dans les bons comme dans les mauvais moments. A l’image d’Andrea Mutombo (ex Zulte Waregem et Standard), son cousin, aujourd’hui à la recherche d’un club en Belgique, qui nous rejoint afin de pimenter un peu plus la conversation…

Comment expliques-tu la saison compliquée que tu viens de vivre ?

Globalement, ça a été difficile, oui. Même si j’ai mis 5 buts et 6 assists en ne jouant qu’une moitié de saison. Mais je relativise toujours et depuis un moment déjà. La saison dernière a été compliquée pour diverses raisons. Et rarement pour des raisons sportives. Il y a notamment eu mon différend avec les supporters de Genk. Aujourd’hui, je suis très content que tout soit arrangé et qu’ils me soutiennent.

A quoi est dû ce revirement ?

A mes dernières prestations. Ils ont vu que j’étais un battant. Je les ai toujours respectés. Et même quand je me faisais siffler, j’allais à leur contact. Récemment, il y a eu une réunion avec une branche des supporters, notamment les ultras. Ce qui m’a véritablement fait plaisir c’est quand ils m’ont dit que s’il y avait un joueur qu’ils respectaient c’était moi. Notamment parce que quand ça n’allait pas et que je me faisais siffler, je suis sorti trois fois du stade pour leur parler…

Tu es coutumier du fait car à Gand ça avait déjà été le cas…

Je suis quelqu’un qui prend ses responsabilités. Je pars du principe qu’un supporter, c’est un passionné, pas toujours objectif, mais chez lui c’est le coeur qui parle. Moi-même je suis supporter par moments, du Barça notamment, et il m’arrive de critiquer Messi. Et pourtant je suis très loin de lui. Les supporters sont des gens issus souvent des classes populaires et j’ai dix fois plus de respect pour eux que certaines personnes en col blanc. Voilà pourquoi je vais à leur contact, c’est une forme de respect. Et si ça devait dégénérer et bien ça dégénérera… Mais je sais qu’il y a une certaine limite qu’ils ne franchiront pas. Je tiens aussi à leur expliquer certaines choses qu’ils ne savent pas.

 » Il y a eu des pressions pour que je joue  »

Qu’est-ce qu’ils ne savent pas ?

Quand on m’achète pour 4 millions, on espère beaucoup de moi. Mais les supporters ne sont pas au courant des conditions dans lesquelles je suis arrivé. L’année passée, on m’a incité à jouer beaucoup de matches alors que je n’étais pas prêt, que j’étais blessé. Quand je suis revenu dans l’équipe, Genk sortait d’un 3 sur 18. Je suis revenu trop vite, c’est une erreur collective car personne ne m’a mis le couteau sous la gorge et m’a dit : joue. J’ai accepté de monter sur le terrain, ce que je n’aurais pas dû. Voilà ce que je veux expliquer aux supporters, j’étais pas prêt mais j’ai voulu aider le club, sacrifier mon corps et justifier mon transfert. Si j’avais été égoïste, je ne l’aurais pas fait. J’aurais pu les laisser dans la merde. Mais c’est pas dans mon caractère. Si j’ai un ami qui a un problème, je l’aide. J’ai raisonné de la même façon avec mon club. Et puis l’équipe ne tournait pas, cela aurait été beaucoup plus facile pour moi de revenir au sein d’un groupe qui connaît une spirale positive.

On te sentait mal dans ta peau, ceci étant illustré par ton départ du stade à la mi-temps d’un match…

Peu après mon arrivée, je recevais des messages sur facebook de supporters me disant qu’on avait besoin de moi, le coach me demandait régulièrement quand j’allais être finalement apte, le kiné a accéléré les choses, et moi-même j’ai forcé. Je suis tombé dans un engrenage. Même Gunter (Jacob) a reconnu que c’était trop tôt pour moi. Je ne mets la faute sur personne mais j’ai quand même eu des pressions pour que je revienne au plus vite. Et à la fin, j’ai accepté.

C’était pourtant perceptible que physiquement, tu n’étais pas prêt.

L’année passée, je n’ai pas eu de préparation. J’ai été pendu longtemps à un éventuel transfert à Anderlecht. Mais à un moment j’ai craqué à Gand, j’ai dit au club que je voulais jouer car dans un transfert on ne sait jamais comment cela évolue. Finalement je suis arrivé à Genk, j’ai passé les tests médicaux un mercredi, le dimanche face au Standard le coach pensait déjà me mettre titulaire. L’enthousiasme était trop important et tout s’est enchaîné ; Europa League, championnat, il y a eu aussi l’accident de ma copine. Le corps devait lâcher, je le savais. Quand j’ai été voir ma copine à l’hôpital, mes jambes me faisaient souffrir. Je sentais qu’il y avait quelque chose de bizarre. Et lors de la blessure, il y a eu une erreur de diagnostic la première fois puis on a vu que c’était déchiré. Je tiens à préciser que je ne me suis jamais senti coupable de quoi que soit et je ne me suis jamais mis la pression autour de mon transfert à 4 millions. Si Genk avait mis cette somme, c’est que je la valais, je n’avais rien volé, j’avais mis 20 buts, j’étais international. La valeur d’un joueur dépend du moment. Aujourd’hui je vaux peut-être un million, deux millions et en fin de saison peut-être le double, on verra…

 » Le vestiaire de Genk manque de leaders  »

Tu as digéré les derniers événements ?

Oui car à Genk, je suis entouré de gens biens, honnêtes, qui t’aident au maximum.

Le club n’a-t-il pas longtemps traîné l’image d’un club trop gentil ?

C’est très gentil, oui. Dans le vestiaire, il manque de leaders. A Gand, quand ça n’allait pas, ça pouvait gueuler. Dès le début, j’ai senti qu’il manquait des gens de caractère. Au Standard, les Van Damme ou Kanu, l’an dernier, apportent cette grinta. Le club est pro mais est resté familial. Tout ce que le club a voulu faire avec moi, cela témoignait d’une bonne intention. Mais parfois l’intention ne suffit pas. Ma réussite dépend beaucoup du staff médical. A Gand, j’en étais très proche. J’ai besoin de beaucoup de soins. A Genk, aujourd’hui, le staff me connaît. Et je ne suis pas inquiet pour la suite. Au final, tout va bien se passer.

Es-tu toujours un joueur difficile dans un vestiaire comme on peut lire dans la presse flamande ?

Un jour Emilio Ferrera m’a dit : il est très difficile de se défaire d’une image. Et il a raison. Désormais, je ne calcule plus ce qui est dit sur moi. Le seul truc qui compte, c’est ce que mes coéquipiers pensent de moi et ce que la direction pense de moi. Malheureusement, la presse influence les supporters. Dans le duel Cristiano/Messi, c’est toujours Cristiano qui passe pour le méchant. Et pourtant, je connais des gens qui les connaissent et la vérité serait différente de ce qu’on nous raconte. Aujourd’hui, j’ai décidé de m’en foutre de mon image. Les personnes qui ont décidé de m’acheter pour 4 millions, ou Wilmots qui m’a appelé en équipe nationale, se sont renseignés à mon propos, le monde pro sait qui je suis. Il suffit de sonder Hein Vanhaezebrouck, Franky Dury, ils te diront comment je suis. Je pense qu’aucun coach ne te dira que je suis un joueur difficile. J’ai mon tempérament, je ne prétends pas être un ange, je tape sur la table quand c’est nécessaire mais toujours dans le respect. Je suis conscient de la chance que j’ai. Quand j’étais petit, je jouais gratuitement, aujourd’hui on me paye pour la même chose. C’est pour ça que les critiquent des supporters me font mal car j’aime tellement le foot que je comprends ce que les supporters ressentent.

Te considères-tu comme un leader ?

Je suis pas le genre de gars qui sur un terrain crie sans cesse : comme on guys, c’est pas mon délire. Mais en interne, je sais où est ma place dans le vestiaire.

Tu regrettes donc avoir quitté le stade lors de la mi-temps d’un match à domicile face à Beveren ?

Bien sûr et je m’en suis excusé. Je suis quelqu’un d’émotif, d’impulsif, mais quand je suis en faute, je suis le premier à m’excuser. Le problème avec moi, c’est que tout est grossi dans les médias. Deux semaines avant mon départ du stade, un joueur de Genk a fait la même chose et personne n’en a parlé.

 » Je n’ai pas de problème avec Vossen  »

On a évoqué aussi des soucis entre toi et Jelle Vossen ?

C’est faux. Vossen est quelqu’un de très généreux dans son jeu, qui multiplie les appels. Et c’est un vrai buteur, il arrive donc qu’il ne fasse pas de passes mais ce n’est pas intentionnel. C’est un gars bien avec une bonne mentalité. Et puis c’est un renard. A l’entraînement, il marque du talon, des orteils, il a une finition de ouf. Moi j’étais un vrai 10 plus jeune, je distribuais le jeu, pied droit, pied gauche. Mais comme je marquais facilement, on m’a mis aux avant-postes. Je suis pas un Vossen mais je suis adroit.

Comment expliques-tu que cette saison ait très mal débuté ?

On est resté dans la même dynamique que l’année passée. On n’a pas su tourner la page.

Fallait-il licencier Emilio Ferrera aussi vite ?

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. C’est surtout un échec collectif. Emilio avait les meilleures idées du monde mais si les joueurs n’arrivent pas à les reproduire sur le terrain, qu’est-ce qu’il peut y faire ?

Un nouvel entraîneur n’est pas la solution miracle ?

Il y a toujours la part de choc psychologique mais Emilio n’a pas eu assez de crédit, tout était trop négatif. Il faut désormais arriver à retrouver un esprit positif.

Tu ne regrettes pas de ne pas avoir rejoint Anderlecht ?

Je ne suis pas quelqu’un qui a des regrets. Peut-être qu’à Anderlecht, ç’aurait été pire, on n’en sait rien. Manchester m’aurait appelé, je serais à Zulte, je serais comme aujourd’hui.

Tu ne jalouses pas tes potes Anthony Vanden Borre, Michy Batshuayi ou Christian Benteke pour qui ça marche plutôt bien ?

Chacun sa vie, chacun son destin. J’ai aussi des amis qui jouent en P3 ou des amis qui n’ont pas de club. Je regarde ce que j’ai et j’en suis très heureux. Je suis très content de ce qui arrive à Michy, c’est une fierté mais je lui ai dit que je n’aurai bon que quand je le verrai avec le maillot des Diables à l’Euro 2016. Je préfère voir chez les Diables des gens que je connais que des joueurs que je ne connais pas. Je ne souhaite que le meilleur aux gens. Et pour moi, ce n’est pas fini. Tout peut aller très vite. On se reparlera à la fin de la saison…

Tu avais déclaré en fin de saison passée, au micro de la RTBF, que tu croyais encore à une sélection. Etais-tu sérieux ?

Pourquoi je n’aurais pas été sérieux ? Au fond de moi, j’y croyais encore. J’avais peut-être 5 %, 10 % de chance. Dans le foot, on n’oublie pas non plus ce qui s’est passé avant. Doit-on prendre ceux qui ont été les meilleurs les six derniers mois ? Je me basais sur un profil, Wilmots me connaissait bien et donc c’était possible. Après il a choisi Origi et il a explosé. Wilmots a eu 100 % raison. Mais avant cette sélection qui aurait misé sur Origi ? Ceux dont on parlait étaient Batshuayi, Vossen. On parlait aussi de De Sutter, De Camargo. J’avais une chance…

 » J’aime les difficultés  »

Et donc quand Wilmots annonce sa sélection, tu es déçu ?

Je tourne très vite le bouton et j’appelle Anthony (Vanden Borre) et je félicite mon frangin. Je sais que j’aurais pu choisir la facilité. Michel Louwagie m’avait proposé de rester me disant que j’allais marquer 20 buts et ensuite enchaîner avec la Coupe du Monde. Mais je suis quelqu’un qui aime les challenges, les difficultés. Je me suis mis des bâtons dans les roues en signant à Genk mais je préfère être dans ce processus-là. Certains restent dix ans dans le même club, on dit que ce sont des grands joueurs mais pour moi, il faut passer des paliers. Et Genk est un pas en avant par rapport à Gand.

Tu as regardé cette Coupe du Monde ?

Oui mais pas tout puisque j’étais en vacances à Miami puis aux Bahamas. Belgique-Algérie, je l’ai regardé par exemple à Orlando à Disneyworld, ils avaient mis un écran géant. Je me suis même embrouillé avec quelqu’un là-bas à cause de la Belgique (il rit).

Que penses-tu du parcours des Diables ?

Premier du groupe, et sorti en quart par le finaliste, c’est très bien pour une génération qui connaît sa première grande compétition. Pour l’Euro 2016, on est en droit d’en attendre beaucoup plus. Au niveau potentiel, on est dans le top quatre européen.

Le fait qu’Anthony Vanden Borre soit sélectionné, ça t’a surpris ?

Pas du tout. Andrea (Mutombo), aujourd’hui n’a pas de club, mais dans deux ans, on ne sait pas où il sera. C’est ça notre philosophie. Anthony n’avait pas de club il y un an et demi. Je l’ai proposé à Gand qui a refusé. Mons a appelé Anthony, Mons ! Aujourd’hui, tout le monde l’encense alors qu’il n’y a pas si longtemps les mêmes le critiquaient.

Michy Batshuayi qui frappe les esprits du côté de l’OM, ça te surprend davantage ?

Bien sûr que non. Michy est très très fort. Je pense même que Marseille ne se rend pas encore compte de ce qu’ils ont acheté. Ça va être un grand joueur. Le reste, c’est dans la tête…

Et pourtant, ça s’est mal passé pour lui en fin de saison, notamment avec les supporters du Standard…

Mais les supporters du Standard adorent Michy. C’est une relation d’amour-haine. Moi aussi par moments, je l’aurais bien sifflé en le voyant faire certaines choses.

 » Julien Vercauteren, un nom à retenir  »

Votre entourage compte pas mal de joueurs de D1. Peux-tu me dire quelle est la future perle ?

Julien Vercauteren. Il a beau avoir raté au Lierse, il est aujourd’hui à Nice, faut se demander qui est en tort sur le coup. Julien, c’est très bon. Il y a aussi Aaron Yseka, le frère de Michy ou Alex De Bruyn, tous les deux à Anderlecht.

Et à Genk, que peut-on espérer ?

Christian Kabasele, c’est très fort. Laissez-lui six mois, vous allez voir. Koulibaly aussi au départ tout le monde le critiquait : trop d’erreurs, etc. Regardez aujourd’hui où il est, à Naples, et il a rapporté 9 millions. A l’inverse, j’ai le sentiment parfois qu’on se trompe sur pas mal de joueurs, ceux qu’on appelle notamment les  » chouchous du public « .

Qu’est-ce qu’il manque à Genk ?

Certainement pas de l’expérience car on a pas mal de joueurs chevronnés. C’est surtout une histoire de confiance, il nous faut un déclic. Et j’ai un bon sentiment pour la suite.

Avec quels objectifs ?

J’ai mes objectifs qui sont clairs pour cette saison. Je veux amener l’équipe de Genk à un très bon niveau.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE/JANSENS

 » Quand ça n’allait pas et que je me faisais siffler, je suis sorti trois fois du stade pour parler aux supporters…  »

 » Origi, c’est un futur Ronaldo, le gros hein. Dans cinq ans, il sera un des meilleurs au monde.  »

 » J’ai mon tempérament, je ne prétends pas être un ange, je tape sur la table quand c’est nécessaire mais toujours dans le respect.  »

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