Le complexe d’Ashe

Prototype de sport élitiste, le tennis n’est pas à l’écart de tout reproche.

Il y a une dizaine de jours, lors d’un match d’interclubs, les spectateurs et joueurs présents dans les allées du Léopold Club de Bruxelles n’en crurent pas leurs oreilles. Sur l’un des très nombreux terrains du prestigieux club ucclois, un joueur en insultait un autre. Se rapprochant dudit terrain, ils purent mieux cerner les propos du tennisman agressif, comprenant que les injures qu’il lançait à son rival étaient à teneur raciste. Il nous faut dès lors préciser, ce qui n’est normalement pas nécessaire lorsque l’on évoque une joute sportive, que l’un des joueurs était Blanc, alors que l’autre était Noir… Le premier était l’injuriant, le second l’injurié.

En fait, membre d’une équipe du club d’Eeklo, le Ritpsop, le joueur incorrect ne manquait pas de rappeler le comportement de certains adhérents du Vlaams Belang. A tel point que, lorsqu’une femme lui demanda de se calmer, il lui répondit, en flamand :  » A vous je veux bien parler parce que vous êtes Blanche…  »

Cette attitude indigne généra – on s’en doute – un tollé général qui vit les responsables du Léopold faire appel à la police et déposer plainte auprès de celle-ci et, aussi, auprès de la fédération royale belge de tennis. Laquelle, on l’espère, se montrera d’une sévérité exemplaire envers cet individu, qui ne mérite certainement plus de fouler le moindre court de tennis de Belgique.

Cela étant dit, si cet épisode bien lamentable est scandaleux, les propos un rien angéliques que l’on a pu entendre ici et là quant à la virginité supposée du monde du tennis avaient de quoi surprendre. Le tennis, s’il s’est longtemps pratiqué dans un monde aseptisé réservé à ce que d’aucuns pensaient être l’élite, n’a pas toujours fait preuve d’une farouche ouverture.

Bagarres communautaires

Sans remonter aux calendes grecques, il nous faut bien rappeler que, jusqu’aux années 60-70 et, parfois même 80, le tennis est resté un sport très fermé, réservé principalement aux classes aisées, voire bourgeoises. Nombre de clubs étaient si fermés qu’il était assez rare d’y voir évoluer un joueur d’origine étrangère. L’auteur de ces lignes, pourtant pas encore quinquagénaire, se souvient par exemple avoir été choqué de l’attitude de certains administrateurs de son club d’une ville bourgeoise de province qui s’étonnaient négativement de l’adhésion en leur cercle de jeunes joueurs d’origine italienne. Il ne s’agissait pas exactement d’un racisme primaire mais plutôt d’un racisme de classe, d’aucuns estimant que cette discipline devait leur être réservée.

Ce climat n’était certes pas généralisé mais il n’en était pas moins présent aux quatre coins du royaume. Il faudra attendre la fin des années 70 et, plus encore, la fin des années 80 pour que ce sport se démocratise réellement, en termes de classes sociales à tout le moins.

Ce qui n’empêche pas les joueurs de compétition d’être de temps en temps témoins de conversations peu amènes entre deux joueurs de langues différentes. Il n’est pas si rare, en effet, de voir, lors de rencontres interclubs entre une équipe flamande et une autre francophone, certains joueurs confondre le duel sportif avec un débat communautaire pas toujours de très haut vol. D’aucuns y vont parfois tellement fort que leur capitaine ou un partenaire doit intervenir pour calmer les esprits ou excuser un comportement qui l’est pourtant peu. Que l’on nous comprenne bien : ces dérives verbales peuvent aussi bien être le fait de joueurs néerlandophones que francophones. Et, à nouveau, précisons que si elles ne sont pas tout à fait exceptionnelles, elles ne sont pas légion non plus. Ceux qui disputent depuis longtemps les interclubs nationaux (quasiment les seules compétitions, outre les championnats et celles qui se disputent à Bruxelles et sur la frontière linguistique, qui opposent des tennismen des deux communautés), savent de quoi l’on parle et ont certainement déjà assisté à l’une de ces querelles stupidement linguistiques.

Qui insulte les Williams ?

Au niveau international, il est sans doute inutile de dire que, dans certains pays, les cercles de tennis ont mis bien longtemps avant d’accepter des joueurs de couleur dans leurs clubs. L’exemple le plus criant nous vient assez logiquement des Etats-Unis où les Noirs n’avaient pas le droit de fouler les mêmes terrains que les Blancs. A tel point qu’ Arthur Ashe dut batailler ferme pour avoir le droit de pratiquer son sport. Sa ville de Richmond refusa par exemple de l’envoyer au tournoi de Forest Hills qui l’avait pourtant invité. Son seul tort : être Noir…

Quelques années plus tard, en 1970, il deviendra pourtant le premier joueur de couleur à s’imposer sur le gazon de Wimbledon et n’aura de cesse, ensuite, de se battre contre l’apartheid en Afrique du Sud et pour l’intégration des afro-américains dans le monde du sport américain et mondial.

Il faudra pourtant attendre longtemps pour voir émerger, non pas une génération car les joueurs ou joueuses noir(e)s sont encore très peu nombreux au niveau international, mais bien quelques joueurs de très haut niveau. On pense évidemment et principalement aux deux s£urs Williams, Venus et Serena. Dieu sait pourtant que leur arrivée sur le circuit pro n’a pas généré que des compliments. Combien n’ont-ils pas été à lancer en direction du père – certes facétieux – des attaques proches du racisme ? Racisme qui, à nouveau, n’est pas réellement haineux mais simplement présent, comme s’il gisait dans un coin du cerveau de certains observateurs tout étonnés qu’un sport alors réservé aux Blancs soit tout d’un coup fréquenté par des compétiteurs qui ne le sont pas.

L’Américain d’origine chinoise Michael Chang avait d’ailleurs subi les mêmes quolibets lors de son Roland Garros victorieux en 1989. Ainsi, quand il servit à la cuiller face à Ivan Lendl, certains n’hésitèrent pas à reprendre le cliché ridicule affirmant que le  » jaune est fourbe  » ( sic). Dans le même ordre d’idées, on se souvient avoir entendu à la télévision belge, il n’y a pas si longtemps, qu’un match entre MariaSharapova et Serena Williams était en quelque sorte la rencontre entre la belle et la… bête. Et on ne parle pas des attaques successives sur le physique de la cadette des s£urs… D’aucuns oubliant pourtant que Serena est plus grande et plus légère que Kim Clijsters

Evidemment, cette analyse peut paraître excessive. Et il est vrai que si l’on compare le tennis au football, il faut bien reconnaître que les débordements racistes sont nettement plus nombreux au foot et, surtout, plus visibles. Mais est-ce parce qu’un sport est par définition plus soft (puisqu’il draine moins de spectateurs et que ceux-ci respectent davantage le calme vu la teneur même de la discipline) qu’il est automatiquement totalement propre ou policé ? Et le racisme insidieux – car non dit – n’est-il pas tout autant condamnable ?

Que l’on se rassure pourtant, si les amateurs de tennis continuent de réagir comme ils l’ont fait au Léopold, leur sport devrait demeurer encore longtemps relativement épargné. Mais pas pour autant dénué de tout reproche…

par bernard ashed – photos: reporters

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