Farouche partisan d’une option en vertu de laquelle les distinctions individuelles, quoique annuelles, récompenseraient des carrières plutôt que des exploits, j’aurais personnellement aimé que… Ryan Giggs soit Ballon d’Or 2006 de France Football ! Un peu parce qu’il est navrant qu’une distinction si courue soit pour ainsi dire inaccessible aux talents des petites nations ne flirtant jamais avec le Mondial (seule exception : George Weah, vainqueur en 1995 quoique Sierra-Léonais). Et beaucoup parce que le Gallois m’a toujours paru rassembler toutes les qualités : fidélité aux couleurs d’un seul club (16e saison pour Manchester), prince de l’assist, dribbles haut de gamme et pénétration, vivace et marathonien, hargne en perte de balle, blessures rares et buts réguliers (une dizaine chaque année, imperturbablement), haute spécialisation à son poste de flanc gauche offensif s’il y joue ; et en même temps polyvalence s’il le faut (second attaquant, voire régulateur dans l’entrejeu comme l’an dernier durant la blessure de Paul Scholes).
Mais bon : je sais qu’en l’occurrence j’adorais Giggs en vain,… vu qu’il ne faisait même pas partie des 50 nominés ! Par contre, il y avait Tom Cahill (!), Edison Mendez (! !) et jusqu’à 11 Français (! ! !) que je ne citerai pas tous,… faut pas oublier que c’est la rédac de France Football qui présélectionne. Ensuite et heureusement, l’heureux élu l’est via les votes de 52 journalistes des 52 pays membres de l’UEFA.
Le vainqueur est donc Fabio Cannavaro. Qu’il soit Italien n’est pas une surprise, on pourrait même parler de pratique historique : car depuis la création du trophée en 1956, dans la mesure où les joueurs victorieux du Mondial étaient éligibles (*), ce fut quasi toujours l’un d’eux qui rafla le cuir d’or lors d’une année avec Mondial. Seule exception via le vainqueur de 1974 : Johan Cruijff ne fut que finaliste…
Ce qui est par contre novateur, c’est qu’un vrai marquage l’emporte pour la première fois en 51 ans. Il y eut bien en 1990 Lothar Matthäus qui aimait défendre, il y eut Matthias Sammer en 1996 (demi défensif, puis libero), et je n’oublie pas le paradoxe Franz Beckenbauer : car ne me dites pas qu’il était défenseur, c’était un créatif depuis l’arrière, peu friand d’arrachage, planqué confortablement derrière Georg Schwarzenbeck et une flopée de bosseurs d’entrejeu… Mais à part ces trois-là et le gardien Lev Yachine en 1963, les vainqueurs du Ballon d’Or furent tous des surdoués de l’attaque, techniques, spectaculaires, soutiens ou buteurs plus souvent qu’ailiers.
Alors ? Dans sa spécialité de vrai défenseur chargé d’annihiler, de détruire en face bien davantage que de construire chez lui, Fabio serait donc fameux à un niveau de qualité que nul autre garde-chiourme n’a frôlé en un demi-siècle de ballon rond ? Avec un degré d’efficacité éblouissant au point qu’il éclipse même tous les artistes d’un an de foot ? Non. Cannavaro est un grand défenseur intransigeant, mais comme il y en eut quelques dizaines depuis 1956. En fait, Cannavaro a eu un double bol que d’autres défenseurs n’ont jamais eu.
D’abord, qu’il remercie tous les attaquants de la Squadra Azzurra pour leur discrétion,… jamais une équipe n’avait encore remporté le Mondial avec un pool d’attaquants à ce point transparents : de Luca Toni à Alberto Gilardino en passant par Francesco Totti, aucun n’a cassé la baraque. Ensuite et ce n’est pas un détail, Fabio peut remercier Marcello Lippi de lui avoir refilé le brassard : car dans la mesure où le Ballon d’Or 2006 devait être italien et défenseur, mon petit doigt me dit qu’il eût suffi que Gianluigi Buffon ait porté ce brassard pour que les suffrages lui refilent le piédestal plutôt que l’accessit. Voter Cannavaro capitaine, ce fut aussi voter pour le collectif italien.
Mais tant mieux pour Fabio, défenseur d’élite impitoyable et relativement propre… s’il est possible d’être à la fois impitoyable et propre comme top défenseur de notre joli sport ! Mieux vaut considérer le choix de Cannavaro comme un hommage – enfin ! – aux travailleurs de l’ombre, aux destructeurs nécessaires : ceux qui gagnent souvent les matches même si d’autres épatent la galerie. Même si Ryan Giggs m’épatera toujours davantage.
(*) Ce ne fut qu’à partir de 1995 que le Ballon d’Or jusque-là réservé aux joueurs européens, fut accessible à tout joueur de club européen, quelle que soit sa nationalité.
par bernard jeunejean
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