L’autre Raymond-la-Science

Ce type-là est passé par Chelsea, Manchester City, Barcelone ou le Bayern Munich. Il a aussi bossé pour les sélections des Pays-Bas, de Russie ou de Corée. Raymond Verheijen est Hollandais, spécialiste de la préparation physique et mentale. C’est aussi une grande gueule, toujours à la recherche du clash sur Twitter. Pour la bonne cause ? C’est ce qu’il dit.

Il se lève, se rassoit. Puis se relève. Un paperboard blanc trône derrière lui. Un feutre bleu est posé dans la rigole. Il gribouille, schématise. Avant de regagner sa chaise. Le paperboard pour la théorie. Le bureau pour l’anecdote. RaymondVerheijen ne manque ni de l’un, ni de l’autre. Il vient d’écrire les mots  » provocation « ,  » cerveau « ,  » pensée négative « ,  » contrôle « ,  » réaction  » sur la feuille. Une flèche les relie tous, ou presque. Le mot  » contrôle  » est entouré trois fois. Le mot  » cerveau  » est souligné. Mais le mot  » réaction  » est barré. Le Hollandais revient à son bureau.

 » Le jour où j’arrive à Manchester City, MarkHughes, le manager, n’est pas là et personne ne me connaît. Je ne suis présenté à aucun joueur. Je me pointe dans la salle de musculation. Les joueurs sont tous sur des machines. Je les observe, sans rien dire. Et CraigBellamy me voit. Il se précipite sur moi, les yeux révulsés et il hurle :  » Hey, je te reconnais, c’était toi le gars avec la Corée du Sud, le préparateur physique. Mais c’est pas grâce à toi que les gars étaient en forme ! C’est parce qu’ils étaient tous sous drogue « .

Tous les joueurs autour font semblant de ne pas écouter. Mais ne ratent pas un mot. Dans ce cas-là, il faut contrôler ses pensées. Ne pas s’énerver. Ne pas s’effondrer. Si je bredouille :  » Euh, nan, les gars n’étaient pas dopés, non, c’est faux « , je suis mort pour la saison. Il faut aller vite. J’ai regardé Bellamy dans les yeux et je lui ai dit :  » Avec les yeux que tu as là, je pense que c’est toi qui es sous drogue « . Tous les joueurs ont éclaté de rire. J’avais gagné un round.  »

Retour au paperboard. Feutre bleu.  » Le cerveau est un muscle. Il faut l’entraîner pour qu’en situation de provocation, sur le terrain ou en dehors, aucune pensée négative ne vienne, et n’entraîne de réaction. Contrôler ses pensées, cela fait partie de mon métier.  »

Raymond Verheijen, 42 ans, sweat à capuche Abercrombie sur les épaules, baskets de ville marronnasses aux pieds, prépare les footballeurs, mentalement et physiquement. Son CV ? Chelsea, Manchester City, Barcelone, le Bayern Munich, le Zenit Saint-Pétersbourg, les sélections des Pays-Bas, de Russie, du Pays de Galles ou de Corée du Sud. A chaque fois, Verheijen agit en tant que consultant.

 » Dans un club, je m’ennuie  »

A Manchester City, sous Mark Hughes, c’était deux jours par semaine. A Barcelone, sous VanGaal, une semaine par mois. A Chelsea, sous Hiddink, un proche, c’était un peu plus. Mais Verheijen préfère le travail en sélection.  » Je suis créatif, j’ai besoin que cela aille vite. En club, je m’ennuie.  » Il sera à la Coupe du monde au Brésil. Deux pays lui ont fait des offres. Il patiente, fait monter les enchères.

 » Je n’ai pas besoin financièrement de bosser « , dit-il.  » Ma structure, la World Football Academy (WFA), me permet de vivre largement.  » Dans les bureaux, à l’ombre de l’Amsterdam Arena, quatre personnes s’activent. La WFA organise, à travers le monde, des séminaires à destination de jeunes et futurs entraîneurs. Récemment, Raymond Verheijen était en Afrique du Sud et au Mexique. Bientôt, il sera aux Etats-Unis.

 » Je suis un idéaliste du football. Je rêve que tout le monde soit compétent dans son domaine. Malheureusement, c’est très loin d’être le cas. Le football est un secteur d’activité qui brasse énormément d’argent. Mais dans lequel l’amateurisme et l’incompétence écrasent tout le reste. C’est absolument unique.  »

Le discours est rodé.  » Les footballeurs ne font quasiment pas d’études. Et tout au long de leur carrière, ils occupent un statut social à part. Dans chaque situation sociale de la vie, dans un bar, chez des amis, les gens viennent leur parler. Ils ne sont jamais en position de devoir commencer une conversation. Ils ne sont jamais responsables de rien.

Et quand ils arrêtent leur carrière, on leur facilite l’obtention des diplômes d’entraîneur. Ils suivent des formations plus courtes. Alors que ce devrait être le contraire. Ils devraient tout apprendre. Comment s’étonner dans ces conditions que la plupart des entraîneurs soient des incompétents notoires ? »

Verheijen balance, donne des noms. Sur Twitter, ses cibles favorites sont DavidMoyes,  » l’homme de Néandertal  » et ArsèneWenger,  » le dinosaure « . Récemment, il écrivait ceci au sujet du Français :  » Le problème, avec les entraîneurs révolutionnaires comme lui, est qu’ils ne sont révolutionnaires qu’une seule fois. Vingt ans après, ils sont largués.  »

 » Pas là pour foutre le bordel  »

Il se marre.  » Je ne twitte pas pour me faire remarquer, ou pour foutre le bordel. Quand j’assiste aux entraînements d’avant-saison de United et que je vois Moyes faire courir jusqu’à l’épuisement VanPersie, qui revient de blessure, je sais que Van Persie va passer sa saison à se traîner… Donc, je le twitte. Je twitte des vérités pour faire avancer le problème. Car il y a un problème avec les entraîneurs actuels.  »

Il reprend le feutre bleu. Sur le paperboard, il dessine une pyramide, coupée en quatre niveaux.  » Cette pyramide, je ne l’ai pas inventée moi, elle a été définie par des sociologues du travail. Tout en bas, il y a les entraîneurs ‘inconsciemment incompétents’. Ils sont nuls et ils ne le savent pas. Ce sont les plus nombreux, ils sont 40 %.

Juste au-dessus, il y a 30 % d’entraîneurs ‘consciemment incompétents’. Ils sont nuls, mais ils voudraient changer. Les 30 % restants sont les entraîneurs compétents, consciemment ou inconsciemment. Au final, il y a donc 70 % d’entraîneurs incompétents. L’incompétence est la norme. Au point que plus personne ne la voit. Avec mes tweets, j’essaie que cela change.  »

Dernièrement, après une série de tweets stigmatisant la série de blessures musculaires d’Arsenal, et le travail des préparateurs physiques du club, Wenger a lancé une enquête interne pour connaître l’origine du mal. Verheijen a même été invité à rencontrer le staff des Gunners.

Son expertise première est là, dans la science de la préparation physique. Jeune, il jouait gardien de but à l’Amsterdam FC, le deuxième club de la ville. Il se voyait devenir pro. Mais le genou a tourné. L’histoire classique. Il est devenu entraîneur avant même d’avoir 20 ans et s’est immédiatement spécialisé dans la préparation physique.

A 25 ans, il publiait sa thèse sur l’entraînement des footballeurs, aujourd’hui traduite dans une dizaine de langues. Quelques mois plus tard, il dirigeait sa toute première formation, sans le moindre vécu pédagogique derrière lui.  » Le premier jour, pour ma toute première séance, j’avais trois élèves sous mes ordres : RonaldKoeman, RuudGullit, FrankRijkaard. Je n’avais jamais enseigné de ma vie auparavant. J’étais terrifié.  »

Face aux trois stars, Verheijen développe sa méthode, centrée sur le concept de  » périodisation.  » Développée dans les années 50 par un chercheur russe du nom de LeoMatveev, et largement perfectionnée depuis,  » la périodisation n’a qu’un seul objectif « , dit Verheijen :  » permettre à l’entraîneur d’aligner à chaque match ses onze meilleurs joueurs.  »

 » Les entraîneurs sont des bourrins  »

 » Vous avez vu le nombre de footballeurs blessés dans les clubs de haut niveau ? Depuis le début de saison, 17 des 24 joueurs qui devraient aller à la Coupe du Monde avec les Pays-Bas ont été blessés. Dans le même temps, Arsenal a connu plus de trente blessures. Parce que les entraîneurs sont des bourrins. Ils traitent tous les joueurs de la même façon, quels que soient leur position, leur passé, leur âge, leur profil musculaire. Les entraînements ne préparent pas les joueurs pour les matchs. Ils les épuisent. Et finissent par provoquer des blessures.  »

Retour à table, reprise des tirs.  » RobertoMancini est l’exemple-même de l’entraîneur fondamentalement incompétent. Je l’ai vu faire à Manchester City, j’ai entendu les joueurs parler de lui. Ils le détestent. Car la seule chose qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses méthodes d’entraînement sont préhistoriques. Quand il est arrivé à City, nous avions mis en place, avec Mark Hughes, un système très précis. Une seule séance par jour, longue de 90 minutes, très intense.

C’était parfait pour préparer les joueurs aux matchs intenses du championnat anglais. Nos joueurs avaient les meilleures stats en termes de sprints par match, de kilomètres parcourus. Tout ça avec très peu de blessures. Mais Mancini a tout cassé. Il a organisé deux séances d’entraînement par jour, à un rythme très lent, dans le vent et le froid… Les blessures se sont multipliées, les joueurs sont tombés en dépression. Du travail d’amateur.  »

Pourtant, Mancini a bien fini par ramener le titre de champion aux Citizens. Ce que n’avait jamais réussi à faire Hugues.  » Mais vous avez vu les investissements ? City a été champion malgré Mancini. Pas grâce à lui. De nombreuses équipes ont des résultats malgré leurs entraîneurs…  »

Verheijen, lui, peut avancer d’incontestables résultats. En 2002, il était dans le staff de la Corée du Sud, qui atteint les demi-finales de la Coupe du Monde. Aucune blessure. Même chose avec les Pays-Bas à l’Euro 2004. Rebelote en 2006 avec la Corée du Sud. En 2008, et 2010, avec la Russie et les Pays-Bas, à nouveau, ce fut moins propre. Un blessé à chaque fois.  » Mais sur des tacles en match de préparation…  » Sous-entendu, pas sa faute.

Aujourd’hui, les sceptiques sont donc de plus en plus rares. Mais quand il arrive dans un club ou une sélection, Verheijen a sa méthode.  » Il ne faut jamais tenter d’imposer des idées ou des opinions. Moi, je donne des chiffres, des stats. Tout ce que j’écris sur le tableau, là, ce sont des choses avérées, pas des sentiments. Si vous imposez des convictions, on vous attendra au tournant. Si vous avancez des faits, on vous donnera du temps.  »

Mourinho au-dessus du lot

Il a appris ça avec Guus Hiddink, l’entraîneur avec lequel il a le plus travaillé au fil des ans.  » Selon Guus, il faut faire la démonstration du problème avant d’intervenir. Il faut même ‘créer’ le problème. Quand nous sommes arrivés en Corée du Sud, nous avons tout de suite constaté que l’alimentation n’était pas au niveau. Il y avait des barres chocolatées dans le vestiaire avant les matchs. Mais Guus n’a rien dit. Il a laissé faire les joueurs. Il les voyait manger les barres, mais ne disait rien.

Au bout de quelques semaines, il a commandé une étude sur la masse corporelle de l’effectif. Les joueurs tournaient autour de 10 %. Il a dit que les joueurs européens tournaient en moyenne autour de 8 %… Et il a pu dégager les barres sans que personne ne trouve à y redire.  » Il se marre.  » Bon, évidemment, les joueurs en Europe ne sont pas à 8 %…  »

Verheijen retourne au paperboard. Il place un point à proximité du sommet de la pyramide.  » Vous voyez, Hiddink fait partie des 10 % d’entraîneurs ‘inconsciemment compétents’. Il sent d’instinct comment il doit traiter les joueurs.  » Y a-t-il quelqu’un au-dessus de lui ?

 » Je n’ai jamais travaillé avec lui, mais quand je vois le boulot de José Mourinho, le lien qu’il a avec les joueurs, la façon qu’il a de communiquer pour détourner l’attention après une défaite de son équipe, je me dis que c’est très fort.  »

Il met un point une dizaine de centimètres au-dessus de la pyramide.  » Mourinho il est ‘consciemment inconsciemment compétent « . Ça veut dire quoi ?  » Que c’est le plus fort. « 

PAR MARC BEAUGÉ, À AMSTERDAM / PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Le foot est un secteur qui brasse énormément d’argent mais où l’amateurisme et l’incompétence écrasent tout le reste. « 

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