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L’AMOUREUX DU 4-4-2

Dans le grand restaurant du football belge, Felice Mazzù est assis à table. La chaise d’en face est vide. Il attend le 4-4-2 de ses rêves, avec qui il enchaîne les rendez-vous manqués depuis plus de trois ans.

L’année 2016 des Zèbres s’est conclue comme elle avait commencé. Par un match à domicile sans but à fêter dans les tribunes. Le 16 janvier, c’est un Saint-Trond pourtant en perdition qui était venu décrocher un point inespéré au Mambour. 345 jours plus tard, l’inévitable Lukasz Teodorczyk a encore noirci le tableau en laissant les Carolos terminer l’année sur un 0-2 très flatté pour Anderlecht.

Lors de ces deux matches, Felice Mazzù avait disposé ses troupes en 4-4-2. Mais les filets adverses n’ont pas tremblé.  » C’est un éternel problème, nous avons du mal à marquer « , déplorait le coach des Zèbres après la défaite face au Sporting de la capitale. L’an dernier, déjà, quelques minutes après un 3-0 encaissé à Sclessin, Felice avait dû déchanter, lançant dans un soupir :  » On a vu aujourd’hui que jouer avec deux attaquants n’était pas une garantie de marquer des buts.  »

La frustration est de taille pour un coach qui, depuis son arrivée au Pays Noir, n’avait jamais vu ce système à deux pointes fonctionner aussi bien nonante minutes durant.  » Même si nous n’arrivons pas à finir nos actions, je suis très content de la prestation de David Pollet et de Chris Bédia. Dans leur complémentarité, dans les prises d’espaces de l’un et les décrochages de l’autre, ils ont fait ce qu’ils devaient faire.  » Et si, malgré la défaite, Charleroi était enfin prêt ?

SE DÉFENDRE AVEC DES ATTAQUANTS

Ce 4-4-2, c’est l’enfant chéri de Felice Mazzù.  » Depuis que je suis à Charleroi, j’ai toujours essayé de le faire. C’est mon dispositif favori « , confie-t-il volontiers lors d’un entretien qu’il nous accorde en début de saison.  » Pour moi, c’est comme ça que tu quadrilles le mieux le terrain. Tes deux attaquants te permettent d’avoir deux joueurs très haut sur la défense adverse en possession de balle. Les défenseurs sont emmerdés, parce qu’ils hésitent entre une prise en charge homme contre homme ou faire reculer un milieu de terrain pour être en supériorité numérique.  » Dans le second cas, c’est l’adversaire qui s’adapte. Et Charleroi devient alors le patron du terrain.

Par deux fois cette saison, le coach des Zèbres a utilisé cette arme pour inverser le rapport de forces d’une rencontre mal embarquée. À Zulte Waregem puis face à Bruges, Mazzù a placé Mamadou Fall aux côtés de Chris Bédia pour faire respirer un bloc zébré comprimé dans sa moitié de terrain par les initiatives d’un adversaire ambitieux. Le 4-4-2 carolo devient alors une bouteille d’oxygène pour une défense qui, depuis qu’elle est privée des centimètres de Sébastien Dewaest, défend mieux quand elle s’éloigne de son rectangle.

 » On doit jouer un peu plus haut, et avoir moins de respect pour l’adversaire « , disait déjà Mazzù après le match nul obtenu à domicile contre Gand en début d’exercice. Le coach des Zèbres envoie des messages à son équipe en introduisant un deuxième attaquant sur le terrain. L’an dernier, après une défaite inattendue à Westerlo, Charleroi accueille Mouscron en 4-4-2 :  » J’ai choisi de revenir à ce système parce que je cherchais des solutions après la défaite en Campine, où on avait joué trop bas.  » Cette saison, après l’élimination en Coupe, ce sont une nouvelle fois les Hurlus qui débarquent au Mambour et se retrouvent face au même système, avec le duo Pollet-Bédia aligné de concert pour la première fois.  » Habituellement, c’est un système qu’on utilise en cours de match. Cette fois, je voulais être dans l’action plutôt que dans la réaction.  »

L’ARME ANTI-GÉANTS

Les Zèbres agissent souvent en fonction de l’adversaire, profitant de la connaissance approfondie du championnat par le staff technique.  » Le coach scrute tous les matches « , explique Damien Marcq.  » Dès que l’on va affronter une équipe, il sait parfaitement le système, les joueurs que l’adversaire va utiliser, et comment les contrer.  » Et dans ce registre, le 4-4-2 devient parfois une arme à faire déjouer l’adversaire. Felice Mazzù a régulièrement affronté Malines avec son système à deux pointes quand le KaVé alignait encore Dalibor Veselinovic :  » Contre lui, tu sais que tu vas perdre la majorité des duels aériens. Mais tu ne peux pas les perdre dans le rectangle. Dans ces moments-là, c’est la qualité de l’opposition qui fait que tu vas placer ton bloc plus haut.  »

L’idée était identique au moment de recevoir Anderlecht pour ce dernier match de 2016 :  » Nous avons eu les cojones d’aller chercher Anderlecht très haut, afin d’anéantir l’alimentation en ballons de Teodorczyk et de les empêcher de centrer et d’entrer dans le rectangle.  » Un deuxième attaquant pour mieux se défendre, voilà qui peut sembler paradoxal.  » Que je joue avec un ou deux attaquants, les courses défensives sont les mêmes « , explique Felice Mazzù, particulièrement exigeant envers ses deux attaquants quand il les installe ensemble sur le terrain.  » En 4-4-2, le coach nous demandait, à David et à moi, un plus gros travail de reconversion défensive sur le numéro 6 adverse « , expliquait ainsi Jérémy Perbet la saison dernière.

Un rôle ingrat que les attaquants ont parfois du mal à remplir, d’autant plus que le football a des lois parfois étranges : quand deux joueurs se voient confier la même mission, chacun aura souvent tendance à laisser l’autre l’exécuter. C’est ainsi que l’an dernier, Mazzù a abandonné ce système qu’il aime tant car  » les valeurs de travail n’étaient pas toujours présentes.  »

RENDEZ-VOUS MANQUÉS

Dès son arrivée en D1, le coach des Zèbres a tenté de s’installer en 4-4-2. Il a d’abord associé David Pollet à Giuseppe Rossini pour ses trois premières rencontres à la tête du Sporting. Un échec cuisant que Mazzù attribue encore aujourd’hui au  » manque d’envie  » de deux joueurs entre qui  » ça ne collait vraiment pas « , tandis que Pollet parle plutôt d’un  » duo bancal, car nous avions tous les deux les mêmes caractéristiques.  »

La saison suivante, le coach profitera des affinités de Lynel Kitambala pour un système à deux pointes, et associera le Français à Cédric Fauré (à sept reprises), Beppe Rossini (à trois reprises) et même Kalifa Coulibaly (à une reprise). Et si c’est finalement avec un seul attaquant, secondé à merveille par Neeskens Kebano – qui évoluait plutôt en neuf et demi qu’en numéro 10 -, qu’il atteindra les play-offs 1, Mazzù voit revenir l’opportunité d’un 4-4-2 quand le retour de Jérémy Perbet se profile au Mambour. Le buteur français affirme ses affinités pour un duo d’attaque dès l’entame des négociations, avant de déclarer à la presse qu’il préfère  » jouer dans un système à deux attaquants. C’est comme ça que je me sens le plus à l’aise.  »

Le duo Perbet-Pollet dispute onze matches de concert mais, malgré des profils a priori complémentaires, la sauce ne prend jamais vraiment.  » Le but du jeu, quand les milieux avaient la balle, c’était que je décroche et que David parte en profondeur. Mais les trois quarts du temps, ils essayaient de chercher David « , expliquait Perbet pour diagnostiquer la maladie du 4-4-2 zébré.  » Les lignes étaient tellement étirées que je n’avais pas le temps d’aller chercher une combinaison ou de réceptionner un centre.  » Et quand les attaquants sont trop éloignés, c’est le reste du bloc qui souffre, comme l’explique parfaitement Mazzù :  » Si tu joues bas et que tes attaquants se replacent mal, il y a un espace dans l’entrejeu qui permet toujours au triangle de l’adversaire de prendre le dessus au milieu de terrain.  »

Rendu inoffensif par ce système, Perbet revit quand Mazzù décide de solidifier son bloc en revenant au 4-2-3-1. C’est d’ailleurs ce système qui semble devenir la référence au Mambour quand, cet été, Djamel Bakar débarque pour exacerber la concurrence au poste de milieu offensif, là où Sotiris Ninis et Cristian Benavente semblent pourtant avoir le niveau pour dicter le tempo des offensives carolos.

UN ATTAQUANT POUR FINIR EN 4-4-2 ?

Le 4-4-2 revient quand on ne l’attend plus. Alors que Chris Bédia est le seul attaquant disponible du noyau, à cause des blessures de Pollet et de Florent Stevance, Mazzù dégaine son duo Fall-Bedia pour un déplacement à Westerlo. Avec le retour de Pollet, les deux seuls attaquants du groupe sont alignés de concert pour deux des trois derniers matches de l’année civile. Un message clair pour Mehdi Bayat, qui martèle depuis quelques semaines qu’il est impératif de recruter un attaquant cet hiver, après avoir lancé aux journalistes un  » vous voyez qu’on a des attaquants à Charleroi « , quand Bédia crucifiait Ostende puis Bruges au mois de septembre.

Avec la perspective de l’arrivée d’un 9 supplémentaire au Pays Noir, peut-on imaginer que le 4-4-2 devienne le système qui doit mener les Zèbres vers les play-offs 1 ? Felice Mazzù semble en tout cas frustré par le rendement offensif de ses numéros 10, très loin des prouesses réalisées par Kebano lorsqu’il avait emmené le Mambour en play-offs 1. S’il vante souvent l’abnégation de Bakar, le mentor carolo doit reconnaître que son Comorien n’est jamais resté nonante minutes sur le terrain, et qu’il a quitté la pelouse à la pause lors de deux de ses six titularisations en Pro League. Quant à Sotiris Ninis et Cristian Benavente, leur absence de maîtrise du français semble freiner leur progression au sein du groupe, tant Mazzù a besoin du dialogue avec ses joueurs pour tirer le meilleur de leurs qualités, dans un football offensif basé en grande partie sur l’émotionnel.

Toutes les conditions semblent réunies. Christian Gourcuff, actuel coach de Rennes amoureux du 4-4-2 et d’Arrigo Sacchi – des passions que partage Felice Mazzù – explique à So Foot que l’une des clés de ce système est la présence de  » joueurs percutants sur les côtés « , et insiste donc sur  » l’importance des latéraux.  » Et c’est sans doute sur les flancs que les Carolos sont le mieux pourvus, grâce aux présences de Mamadou Fall, Clément Tainmont, Amara Baby, et même Clinton Mata et Francis N’Ganga, latéraux capables d’envoyer des ballons dangereux dans la surface.

Il ne resterait alors plus qu’à faire trembler les filets. Le nouvel attaquant attendu ce mois-ci devra en être capable. Car comme le rappelait David Pollet après la rencontre face à Anderlecht :  » Le plus dur dans le foot, c’est de marquer des buts.  »

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Avec deux attaquants, les défenseurs adverses sont emmerdés. Parce qu’ils hésitent entre une prise en charge homme contre homme ou faire reculer un milieu de terrain pour être en supériorité numérique.  » FELICE MAZZÙ

 » Le plus dur dans le foot, c’est de marquer des buts.  » DAVID POLLET

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