L’AILE DES CANARIS

Comme s’il voulait éviter les comparaisons avec son père, Edmilson Junior force celles avec Neymar. Rencontre avec le dribbleur qui ambiance le flanc gauche du Stayen.

« Il n’est pas fan de Neymar, il croit qu’il est Neymar, ce n’est pas la même chose. «  Quelques minutes avant sa conférence de presse, YannickFerrera, encore coach des Trudonnaires à ce moment-là, a l’oreille qui traîne et charrie l’un des hommes forts du début de saison de ses désormais ex-couleurs. Effectivement, pas besoin de jumelles pour faire la comparaison entre l’ailier du Barça et le feu follet de Saint-Trond : même poste, mêmes origines brésiliennes, et même goût pour le joga bonito et les rendez-vous excentriques chez le coiffeur.

 » Je ne rate jamais un match du Barça, je suis un fanatique depuis que je suis petit. À l’époque, mon idole c’était Ronaldinho. J’aimais beaucoup Robinho aussi, même s’il n’a pas joué à Barcelone. C’étaient des joueurs qui faisaient le spectacle. Et puis, quand Neymar est arrivé, j’ai directement été fan de lui.  »

Comme ses idoles, c’est dans les rues brésiliennes qu’Edmilson Junior fait connaissance avec le football. Loin d’un père parti vivre son rêve européen sur les rectangles verts, Junior est éduqué par sa tante à la maison et par son frère sur des terrains de fortune.  » Mon frère avait quatre ans de plus que moi et on jouait avec ses amis parce que là où on habitait, il n’y avait pas de club. Jouer dans la rue, c’est difficile, tu prends beaucoup de coups, mais tu apprends vite à les esquiver. Ça m’a aidé à me développer techniquement, tu évolues très vite.  » Les premiers dribbles ne sont pas une question de spectacle, mais de protection. Dribbler pour ne pas être touché. La meilleure des écoles.

LE SANG ROUCHE

À neuf ans, Edmilson troque les rues brésiliennes pour les bords de Meuse et teinte son pedigree brésilien d’un surprenant accent liégeois. Son père ne le lâche plus d’une semelle :  » Il me suivait beaucoup. Il était là à tous les matches, même à tous les entraînements « , se souvient Junior. Après d’éphémères étapes à Seraing et à Huy, le fils marche sur les traces du père en enfilant son premier maillot du Standard. Tout en échappant subtilement à l’étiquette de  » fils de  » :  » Franchement, à l’époque, on ne me parlait pas beaucoup de mon père, de sa carrière. C’est surtout depuis que je suis arrivé en D1 qu’on me pose des questions là-dessus.  »

Suivi de très près par l’ombre paternelle, Edmilson gravit les échelons qui doivent le mener un jour à l’équipe première :  » Tout s’est bien passé jusqu’en U17. ThierryWitsel était mon coach et j’ai fait ma meilleure saison. Grâce à lui, j’ai obtenu un petit contrat de semi-pro en fin de saison « . Déjà estampillé dribbleur, le Brésilien travaille son pied gauche  » dans une bulle, où on devait jouer contre un mur  » et progresse grâce aux nombreux conseils d’un père  » parfois chiant, mais c’est toujours pour mon bien, c’est grâce à lui que j’en suis arrivé là « .

La success-story sur les traces familiales semble toute tracée, mais ChristopheDessy, directeur de la formation rouche, n’a visiblement pas l’âme d’un scénariste hollywoodien.  » En U19, c’était plus difficile, je ne jouais pas et j’étais souvent seizième homme « , se remémore Junior.  » Christophe Dessy m’a dit des choses très dures à entendre. Un directeur qui vient te dire que tu n’as pas le niveau pour jouer dans un club comme le Standard et que tu dois te trouver un petit club, ça fait vraiment mal.  »

 » Mon rêve, quand j’ai signé au Standard, c’était de jouer là-bas : j’ai vécu à Liège, mon père y a joué…  » Les illusions d’Edmilson prennent un uppercut. Expédié hors du ring rouche, le roi de l’esquive finit par encaisser le coup, et trouve un nouveau point de chute à quelques kilomètres de Sclessin :  » Mon agent connaissait bien DannyBoffin, qui avait aussi joué avec mon père à l’époque et qui travaillait à Saint-Trond. On a eu une conversation avec lui, et je suis venu faire un match en test. J’ai très bien joué, ce qui m’a permis de signer ici.  »

STAYEN ALIVE

L’aventure trudonnaire commence en deuxième division, sous les ordres de GuidoBrepoels et sur le flanc droit :  » Durant les premiers mois, j’ai énormément joué à droite. Par après, j’ai décidé d’en parler avec le coach. Je lui ai dit que je me sentais plus à l’aise sur le côté gauche. C’est vraiment ma position préférée, ça me permet de rentrer vers le but. Et je suis aussi capable de centrer du pied gauche.  »

L’antichambre de l’élite n’est pas la plus agréable des écoles pour les amateurs de dribbles chaloupés. Junior l’apprend à ses dépens, accroché plus souvent qu’à son tour par des tacles à la limite de l’indécence :  » C’est vrai que c’était plus difficile que la D1, parce qu’il y avait plus de rentre-dedans et de combat, sur des terrains pas toujours très bons.  »

L’apprentissage dure trois ans et s’intensifie quand l’ambitieux Yannick Ferrera prend la place de Guido Brepoels.  » Tactiquement, je pense que c’est l’un des meilleurs. C’est grâce à lui que mon travail défensif s’est amélioré à ce point. Dès qu’il est arrivé, j’ai vu que je n’étais nulle part défensivement.  » Une lacune corrigée au fil des entraînements :  » Maintenant, tout le monde sait que je peux travailler en perte de balle et fermer le bloc. Et une fois qu’on a le ballon, JeanLucDompé et moi avons beaucoup de liberté pour apporter de la vitesse et percuter.  »

Après avoir manqué la montée en D1 à cause d’une défaite à domicile face à Mouscron lors du dernier match du tour final, Saint-Trond va chercher le titre et prépare son retour dans l’élite. Pour être à la hauteur, Edmilson Junior ne lésine pas sur les heures sup’. Une nouvelle fois, les conseils du père sont précieux :  » En D2, après les entraînements, je rentrais directement à la maison. J’ai eu une conversation avec mon père à ce sujet. Il m’a dit que la Division 1, c’était autre chose et qu’il fallait que je travaille plus « .

Objectif prioritaire : alimenter la machine à stats, point faible d’un joueur qui fait flamber la défense adverse mais a du mal à embraser la feuille de match.  » Pendant les vacances et après les entraînements, dès la reprise, j’ai beaucoup travaillé ça parce que l’année passée, je n’avais pas mis beaucoup de buts. Donc, après chaque séance, je répète beaucoup d’actions devant le but, je reste avec un gardien et j’enchaîne les contrôles et les frappes.  »

UN oeIL VERS SCLESSIN…

Visiblement, il faut toujours écouter les conseils de son père. Parce que depuis le début du championnat, le Brésilien du Stayen a déjà fait trembler les filets à quelques reprises. L’acclimatation à la D1 est une réussite :  » Ici, tu as plus de caméras, beaucoup plus de beaux terrains, plus de supporters : ce sont toutes des choses qui te donnent encore plus envie de jouer !  »

Et histoire de sauter dans le grand bain la tête la première, c’est Bruges qui s’est présenté à Saint-Trond pour lancer la saison.  » Dès les premières minutes, il y a un joueur qui m’a impressionné : c’est VictorVazquez. Son toucher de balle, la qualité de ses passes… Là, directement, tu vois qu’on est en Division 1. Mais même si on commençait par un très grand club, on n’avait pas peur.  »

Effectivement, l’homme fort de ce premier match de l’année, c’est bel et bien Junior. Des dribbles, du culot, une frappe dans le plafond de SébastienBruzzese et une carte rouge. Difficile d’en faire plus en nonante minutes :  » C’est mon style d’en faire beaucoup, de percuter. Dès que je reçois la balle, j’essaie toujours d’apporter des centres ou des frappes. La carte rouge, c’était vraiment dommage mais c’est vrai que grâce à ce match-là, j’étais directement dans de bonnes dispositions. Mentalement, c’est important.  »

Lancé à toute vitesse, comme quand RobSchoofs invente une passe au-dessus de la défense pour le faire voler sur le synthétique limbourgeois, Edmilson Junior ne semble pas disposé à s’arrêter de sitôt :  » On a un groupe jeune, les journalistes nous parlent déjà de play-offs 1 mais nous on ne se prend pas la tête avec ça. On joue match après match, pour l’instant ça fonctionne bien.  »

À l’image de son club, Junior poursuit son rêve éveillé en évitant de regarder trop loin devant lui. Même si la date du 6 février prochain doit déjà être dans un coin de sa tête. Parce que ce jour-là, les Canaris fouleront la pelouse de Sclessin. Spécial, forcément :  » Franchement, tous les matches ont la même importance pour moi. Mais c’est vrai qu’à Sclessin, ce sera différent : les Standardmen ont le meilleur public, une belle ambiance…et je retrouverai ce jour-là un coach à qui je dois beaucoup. Ce sera un match que je jouerai avec plaisir.  » Sous les yeux de papa ?  » Évidemment il sera là. Il est là à tous les matches mais à Sclessin, je pense qu’il sera particulièrement content d’être présent.  »

UN AUTRE EN LIGA

Ce jour-là, Edmilson senior réalisera un rêve. Pour les autres, il faudra attendre de voir sa progéniture enfiler le maillot de la Seleçao ou celui d’un club de Liga. Si le premier relève encore de l’utopie, le second n’a rien de fou pour un Junior qui mêle travail, humilité et ambition dans un cocktail indigeste pour la plupart des latéraux de Pro League :  » La Liga, l’Espagne… Je regarde ça avec des yeux émerveillés. Bien sûr que c’est un championnat qui me fait rêver. Et je sais que mon père aimerait me voir jouer là-bas aussi, parce qu’il sait que ça correspond à mon style de jeu. À moi de travailler dur cette année, et qui sait…  »

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE / CHRISTOPHE KETELS

 » Mon père était parfois chiant, mais c’était pour mon bien. Si j’en suis arrivé là, c’est grâce à lui.  » EDMILSON JUNIOR

 » Je me suis bonifié tactiquement sous la coupe de Yannick Ferrera. Dans ce domaine, c’est l’un des meilleurs.  » EDMILSON JUNIOR

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