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L’ADIEU D’UNE ANTI-VEDETTE

François Van der Elst a sans conteste été un des footballeurs les plus sous-estimés de Belgique. Il a commis l’erreur de quitter Anderlecht bien trop tôt.

François Van der Elst n’aimait rien tant que la tranquillité, l’anonymat. Non qu’il ne voulait pas accorder d’interview car il recevait toujours les journalistes avec cordialité mais il ne recherchait pas l’attention. Peut-être est-ce à cause de ce trait qu’il n’a jamais bénéficié de la reconnaissance qu’il méritait car il a marqué des buts cruciaux tout en démantelant les défenses adverses par sa vitesse et sa mobilité. Durant la finale européenne d’Anderlecht contre West Ham United, en 1976, il a ainsi marqué deux buts, ce qui lui a valu le surnom de Mister Europe. En 1979, il a marqué deux buts magnifiques pour la Belgique en Écosse, un match qui a valu aux Diables Rouges un billet pour l’EURO 1980, dont ils allaient disputer la finale. Cette saison-là, Van der Elst pensait gagner le Soulier d’Or mais il n’a terminé que dixième. Il a digéré sa déception en silence.

Jeune footballeur, François Van der Elst a attiré l’attention de George Kessler. L’éminent entraîneur, fervent partisan de la discipline, a appelé Van der Elst le nouveau Johan Cruijff. Pas une fois mais à maintes reprises. A 17 ans, il lui a permis de débuter en équipe Première, en le faisant monter au jeu à domicile contre le FC Diest. Mais quelques mois plus tard, Van der Elst était sur le banc de… l’équipe réserve. Les longs cheveux de Swat irritaient particulièrement Kessler. Il voulait l’envoyer chez le coiffeur mais Van der Elst n’en avait pas la moindre envie. Cette petite rébellion était exceptionnelle dans le chef du brave François Van der Elst. Le départ de Kessler l’a libéré. Son éclosion est survenue plus tard, sous les ordres du plus paternel Urbain Braems.

COUPS DE COUDE DE GOETHALS

Auteur de vingt goals, François Van der Elst a été le deuxième meilleur buteur de la saison 1975-1976. Il a achevé l’exercice suivant à la première place, avec l’aide de ses coéquipiers. Avant le dernier match de championnat, Van der Elst en était à 19 buts. Il talonnait l’Ostendais Jan Simoen, qui avait inscrit vingt buts. Or, Ostende et Anderlecht s’affrontaient lors de l’ultime journée. Toute l’équipe a joué au service de Swat. Gille Van Binst s’est occupé de Jan Simoen, qui n’a pas touché un ballon, comme le défenseur l’avait annoncé. Et Van der Elst a inscrit deux buts pour les Mauves, qui se sont imposés 1-6. Ses deux buts ont été amenés par Rob Rensenbrink,qui aurait aisément pu marquer lui-même mais s’en est abstenu. C’est dire à quel point le groupe appréciait François Van der Elst.

La saison suivante, Raymond Goethals l’a posté à l’arrière droit. Van der Elst avait déjà occupé ce poste dans un match de Coupe contre le Standard, quand Georges Heylens s’était brisé le tibia après trois minutes de jeu. Anderlecht avait gagné 2-1 et Van der Elst s’était très bien tiré d’affaire mais il convenait nettement mieux au compartiment offensif. Cette mutation était donc étrange mais Swat n’en a pas fait une affaire d’Etat. Van der Elst, qui avait joué à l’avant-centre à ses débuts, était victime de sa polyvalence. Qu’on l’aligne en défense, dans l’entrejeu, sur l’aile droite ou en pointe, peu lui importait. Il n’a d’ailleurs pas considéré son changement de poste comme une rétrogradation. Il s’est accommodé de l’explication de l’entraîneur : celui-ci voulait plus de pression depuis la dernière ligne.

Goethals et Van der Elst entretenaient d’excellentes relations. Il avait débuté en équipe nationale sous les ordres du Bruxellois. D’abord sur le banc. Il devait prendre place à ses côtés et après le match, il était couvert de bleus, à cause des coups de coude de Goethals, qui ne cessait de sauter de son banc puis de se rasseoir, généralement sur les genoux de Van der Elst. Chaque fois qu’il perdait sa cigarette, Swat devait la lui ramasser.

SYLVESTER STALLONE

François Van der Elst a passé sept saisons à Anderlecht. Ses buts étaient davantage admirés à l’étranger qu’en Belgique. Le fameux Hennes Weisweiler avait déjà tenté de l’enrôler au FC Cologne et en 1989, il l’a convaincu de tenter sa chance au Cosmos New York. Van der Elst semblait initier l’exode des footballeurs européens aux States. Il avait alors 25 ans et il aurait dû jouer huit saisons sous le maillot mauve pour la somme qu’on lui proposait.

Pourtant, plus tard, il a considéré ce transfert comme la pire erreur de sa carrière. Il subissait un seul entraînement, monotone, par jour, il dînait avec Henry Kissinger ou Sylvester Stallone, logeait dans des hôtels impressionnants mais passait aussi beaucoup de temps en avion : 170 heures en neuf mois, avait-il calculé au terme de sa première saison. Il vivait dans le New Jersey et c’était pour le moins spécial pour un homme issu de la campagne, de Mazenzele, un village au nord du Pajottenland. Pelé, qui était alors relations publiques du Cosmos, était venu l’accueillir à l’aéroport en limousine puis l’avait emmené dans un grand hôtel, pour sa conférence de presse.

Le conte de fées n’a pas duré. Quand il s’est retrouvé sur le banc, durant sa deuxième saison, il a arrêté les frais. Il sentait qu’il régressait, qu’il perdait sa vitesse et sa condition physique.

20 PINTES

Ça s’est remarqué quand François Van der Elst, le frère aîné de Leo Van der Elst, a poursuivi sa carrière à West Ham United. Le club londonien se souvenait des deux buts qu’il avait inscrits en finale de Coupe d’Europe en 1976. A l’issue du premier entraînement, Van der Elst était vanné en rejoignant le vestiaire. Il a dû jouer homme contre homme contre un gamin de 17 ans, dans une salle. Celui-ci l’expédiait dans tous les coins du petit terrain. Van der Elst avait beau essayer de le tacler, il avait toujours un pas de retard. Après trois minutes, il était mené 1-4.

Son deuxième entraînement consistait en une course sur route de quinze kilomètres. Quand il est arrivé, les autres étaient déjà rentrés chez eux. Durant ses premiers matches, il a surtout vu les ballons voler autour de lui. West Ham United procédait par longs ballons qui surplombaient l’entrejeu. Il a quand même fini par s’adapter au championnat anglais et il est devenu le meilleur buteur de l’équipe en 1982-1983. Il appréciait l’ambiance détendue qui régnait au club. Les joueurs arrivaient une heure avant le match, les enfants des joueurs couraient dans le vestiaire et parfois, une femme y pénétrait pour prendre des billets. Quelques minutes avant le coup d’envoi, les joueurs se précipitaient sur le terrain, sans le moindre échauffement. Et après, la plupart avalaient facilement vingt pintes.

Quand ses enfants ont été en âge de fréquenter l’école, il n’a pu résister à l’envie de revenir au pays. Le Club Bruges souhaitait l’embaucher, à la demande de… George Kessler, qui avait compris son erreur. Le transfert a capoté, à cause du montant requis par West Ham. Le Standard, entraîné par Raymond Goethals, s’est manifesté mais n’a pas trouvé d’accord avec le club anglais. Van der Elst s’est finalement retrouvé à Lokeren l’été 1983 mais il s’est senti boycotté par Preben Larsen qui ne lui passait jamais le ballon quand il s’élançait en avant. Il n’a jamais rien dit. En outre, Van der Elst avait le sentiment que les supporters le considéraient comme un mercenaire. Le sensible Van der Elst ne pouvait pas s’épanouir dans ce contexte. En août 1983, il s’est fracturé le tibia et déchiré les ligaments, en match. Il n’a pas eu le courage de revenir. Il a mis un terme à sa carrière, ne serait-ce que parce qu’après cette blessure, il s’est senti maltraité par le club : il lui envoyait une lettre pour qu’il vienne chercher son salaire. Il y était mentionné : zéro franc de salaire, zéro franc de primes. C’en était trop, même pour le gentil Swat. Il a accroché l’extrait de compte dans le vestiaire et a souvent raconté, par la suite, l’amertume qu’il éprouvait depuis cet incident.

LA VOIX MESURÉE

François Van der Elst a connu beaucoup de contrecoups au terme de sa carrière. Son fils s’est suicidé, sa fille a eu un cancer, son mariage est parti à vau-l’eau et il a eu des problèmes financiers. Il s’est de plus en plus replié sur lui-même, digérant en silence tous les coups du sort. Il n’allait plus guère voir des matches. Tout au plus a-t-il donné le coup d’envoi d’un match entre Anderlecht et le Club Bruges à l’occasion de ses 60 ans. Avec son petit-fils Yarne, la prunelle de ses yeux. Van der Elst s’est consacré à la salle de snooker qu’il avait ouverte à Opwijk.

Il a mené une vie loin des feux de la rampe. Comme il le souhaitait. Même pendant sa carrière, François Van der Elst avait été étonnamment transparent. Il a toujours été une anti-vedette. Il ne s’est jamais disputé avec personne, il n’a jamais balancé de déclarations fracassantes dans la presse, il s’exprimait avec une voix mesurée et jamais il n’a plané.

Le 1er janvier, François a été victime d’un arrêt cardiaque tout à fait inattendu. La semaine précédente, il avait encore ravivé de vieux souvenirs avec Gille Van Binst. Il semblait aller bien. François Van der Elst est décédé mercredi dernier. Il avait 62 ans.

PAR JACQUES SYS – PHOTOS BELGAIMAGE

Georges Kessler appelait François Van der Elst le nouveau Johan Cruyff. Puis, à Anderlecht, il l’a mis sur le banc… des réserves.

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