« LA VIE S’APPREND DANS LA RUE »

Teofilo Gutiérrez a formé un duo fracassant, au Junior Barranquilla, avec Carlos Bacca, son grand ami. L’attaquant de Bruges et celui de Cruz Azul (Mexique) se considèrent comme de véritables frères.

Leur complicité s’est étalée au grand jour lors du deuxième semestre de l’année 2009. Carlos Bacca et Teofilo Gutiérrez donnent alors le tournis aux défenses de la première division colombienne. Sous le maillot du Junior Barranquilla, les deux comparses empilent les buts. Neuf pour Bacca, le cadet, et quatorze pour Gutiérrez, l’aîné.

Les deux ex-coéquipiers, qu’une seule petite année sépare, se considèrent comme de véritables frères. Leur origine sociale et géographique, mais aussi la religion, les rapprochent. Buteurs, ils ont aussi en commun un paradoxe : être fils de gardien, un poste auquel ont évolué leurs pères, même s’ils n’ont pas fait carrière.

L’amitié entre Carlos et Teo est née en 2005 quand l’actuel goleador du Club Bruges intègre les rangs du FC Barranquilla, sorte de filiale du Junior.  » On passait beaucoup de temps à discuter à la cantine du club « , se rappelle Teofilo, sereinement assis au sein des installations de Cruz Azul, le puissant club mexicain qu’il a rejoint en janvier dernier, rejetant au passage deux offres venues d’Espagne, et une autre, en provenance de Turquie.

L’exil de courte durée

Plus âgé, il a aujourd’hui 27 ans, Teofilo Gutiérrez a logiquement percé un poil plus tôt que Bacca. Dès 2007, il fait ses débuts avec le Junior Barranquilla, aidé par le soutien de Carlos Valderrama, alors entraîneur adjoint. Dans le même temps, Carlos Bacca fuit, lui, au Venezuela pour gagner du temps de jeu.

 » Ce choix de Carlos a pu surprendre « , estime Teofilo,  » mais il a parlé pour lui, il a marqué beaucoup de buts, et à son retour, le Barranquilla FC a compté sur lui.  » Au Junior, Teo, son diminutif, inscrit un but dès sa première titularisation, mais il tardera toutefois à s’imposer. C’est fin 2008 que son talent explose : onze buts. Le semestre suivant, cet attaquant tonique, doté d’une frappe sèche, remporte le titre de meilleur buteur du championnat colombien (seize réalisations). Mais plus qu’un goleador, Teofilo fait figure d’attaquant tout terrain, généreux et altruiste, une des raisons pour lesquelles José Pekerman, le sélectionneur de la Colombie, affectionne de l’associer à Falcao. Un profil plus complet que celui de Bacca.

 » Carlos a l’instinct du buteur, et cela ne s’apprend pas  » relativise Teofilo. Les chemins des deux  » frères  » vont se séparer au moment où ils parviennent enfin à partager un statut de titulaires au sein de l’élite. Direction la Turquie pour l’aîné. Gutiérrez, quatrième meilleur buteur de la planète en 2009 avec 30 réalisations, s’engage avec Trabzonspor. En Turquie, Teofilo a brillé, mais ne s’est pas adapté. Climat différent, langue non latine, régime alimentaire distinct. Quand le cafetero prend la décision de revenir au pays, il vient de marquer douze buts en dix matches, dont un contre Liverpool en Europa League. Son départ inattendu se fera sans préavis. Un comportement de fuyard qui nourrit sa réputation de joueur ingérable. D’autant qu’il le répétera une fois à Lanus, en Argentine (2012). Reste que l’escapade européenne de Teogol se révélera riche en enseignements pour Carlos Bacca.

 » Quand il a signé pour Bruges, on lui a dit de bien méditer l’expérience de Teo  » déclarait ainsi en octobre dernier, Gilberto Bacca, père de, dans les colonnes du quotidien colombien, El Heraldo.  » Avant qu’il ne parte en Europe, on a parlé « , se rappelle Gutiérrez.  » Je lui ai dit qu’il était un grand joueur, qu’il allait s’imposer, même si les premiers mois sont difficiles, car il faut s’adapter à la langue, au climat, aux terrains, mais aussi aux coéquipiers. Quand tu arrives tu ne fais pas que des heureux, tu viens prendre le poste d’un autre. Mais il a rapidement assimilé tous ces changements.  »

Coups de sang

Teofilo Gutiérrez a grandi au sein du quartier La Chinita, une zone malfamée de Barranquilla, où les gangs imposent leur loi.  » La vie s’apprend dans la rue, notamment la malice qu’elle requiert « , assène l’international colombien. Son ami Bacca s’est façonné dans un environnement tout aussi défavorisé, à Puerto Colombia, une commune qui appartient à l’aire métropolitaine de Barranquilla.

 » Carlos et moi sommes des caribéens, on est joyeux, on aime s’amuser avec nos amis, jouer aux dominos.  » Une autre pratique les rapproche : la religion.  » On va à la même église « , précise ce fervent évangéliste. Gutiérrez ne cesse de remercier Dieu pour être devenu footballeur professionnel et pouvoir faire vivre confortablement sa famille, lui qui a vécu une enfance marquée par les privations. La foi de Teo l’a même conduit à mettre la main à la poche en créant deux temples au sein de son quartier.  » J’apporte mon grain de sable, je sais que de nombreuses personnes, des amis, à la recherche de Dieu, s’y rendront.  »

Fervent croyant, Gutiérrez n’a toutefois rien d’un enfant de choeur, très loin du pro-fil sans histoire de son pote Bacca. En Argentine, où il a poursuivi sa carrière après son épisode turc, le Colombien a multiplié les buts comme les coups de sang. Son premier tournoi sous les couleurs du Racing Avellanada fut toutefois idyllique. Co-meilleur buteur du championnat : onze buts, quatre doublés. Au terme de cette saison, le Racing cherche même à attirer Bacca pour reconstituer le duo de choc du Junior Barranquilla. Sans succès.

Lors du semestre suivant, le climat va sensiblement se dégrader pour Teofilo. Son rendement baisse (six buts), mais surtout son comportement choque. L’attaquant se fait expulser à deux reprises. Lors d’un match décisif pour le titre face à Boca Juniors, Teofilo se permet même de pousser l’arbitre. Mais l’incident de trop se déroulera le 14 avril 2012. Ce jour-là, le Colombien pénalise à nouveau son équipe en se faisant expulser lors du clasico d’Avellaneda, qui oppose le Racing à Independiente.

Au terme de la rencontre, le gardien, SebastianSaja, lui reproche avec véhémence son comportement. La version donnée par le Colombien veut que Saja l’ait frappé et que d’autres coéquipiers aient voulu l’imiter. Pour se défendre, Teofilo sort alors une arme de son sac. Scandale en Argentine. Teogol assurera qu’il ne s’agissait que d’un pistolet de paint-ball. Reste que le Racing le déclare indésirable.

L’attaque cafetero

En sélection, le talentueux joueur de Cruz Azul a pris quelques encablures d’avance sur son ami Bacca. L’enfant de la Chinita a ainsi reçu sa première convocation en 2009. Trois ans avant l’attaquant des Bleu et Noir ! Mieux, en juin 2012, l’ex-meilleur buteur du championnat argentin a été appelé en sélection alors qu’il venait de s’enfuir de Lanus, et qu’il se retrouvait sans employeur. Gutiérrez se contente alors de s’entraîner de manière informelle avec son cher Junior Barranquilla.

Mettant de côté son dossier disciplinaire trop chargé, José Pekerman, le savant argentin qui a révolutionné la sélection cafetera, a décelé en Teo le partenaire idéal de Falcao sur le front de l’attaque. Pari gagnant. En sept matches éliminatoires pour la Coupe du Monde, Gutierrez, assagi depuis son arrivée au Mexique (aucune expulsion), a inscrit quatre buts. Chez les cafeteros, seul l’imparable Falcao dit mieux. Ironie de la vie, cette réussite condamne son ami Bacca, sélectionné pour la première fois en octobre dernier, à un rôle de faire-valoir avec la Colombie. Pour le moment, tout du moins.

 » La rivalité sportive existe car on veut tous être titulaires, mais quel que soit le choix de l’entraîneur, l’amitié perdure « , assure Teofilo, qui fait d’ailleurs chambre commune avec Bacca. Le goleador du Club Bruges assure, pour sa part, qu’il s’agit d’un  » orgueil  » de se retrouver avec son pote Teo en sélection. D’autant que les matches à domicile de la sélection se jouent à Barranquilla. Autrement dit, à la maison.

 » Quand on joue à Barranquilla, ne pas être titulaire fait d’autant plus mal car on y est né, que notre famille se trouve sur place « ,estime l’attaquant de Cruz Azul,  » mais on doit accepter les décisions de Pekerman, et quand on est titularisé prouver qu’on le mérite « . Les familles Bacca et Gutiérrez sont amies. Elles partagent le même rêve : voir Teo et Carlos former le duo d’attaque cafetero, comme au bon vieux temps du Junior Barranquilla. Au-delà des rassemblements de la sélection, Teofilo souhaite, pour sa part, croiser prochainement Bacca sur les terrains. En Europe ou… au Mexique.

Selon la presse aztèque, l’America Mexico aurait fait du goleador du Club Bruges sa priorité. Vu de Belgique, l’option mexicaine peut paraître improbable. Reste que nombre de clubs du pays d’Hugo Sanchez rétribuent plus généreusement le talent qu’en Espagne, en Italie, ou en France. Mais l’Europe reste l’Europe.  » C’est un ton au-dessus « , estime Teofilo Gutiérrez. En sélection, le buteur de Cruz Azul a d’ailleurs retrouvé une version perfectionnée de Bacca.  » En Belgique, il a notamment gagné en condition physico-athlétique.  » Alors, un club du Vieux Continent volontaire et assez prospère pour reconstituer le duo du Junior Barranquilla dès la saison prochaine ?

THOMAS GOUBIN À MEXICO (MEXIQUE)

 » Carlos a l’instinct du buteur et cela ne s’apprend pas. « 

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