« La vedette, c’est le Partizan ! »

Visite à Belgrade avant le double bras de fer des Mauves contre le champion de Serbie.

« Il fut un temps, pas si lointain, où même le grand José Mourinho avait peur de se mesurer au Partizan Belgrade « , lance Albert Nadj, le patron sportif des Noir et Blanc. A 36 ans, Nadj dégage une belle énergie en nous accueillant dans le stade. L’homme a gardé sa silhouette de footballeur. Quarante-cinq fois international, il a collectionné six titres et une Coupe en Serbie, pris part à l’Euro 2000 et au Mondial 2006.

 » En 2003-2004, Porto a souffert de la première à la dernière minute de jeu chez nous, dans le Groupe F de la Ligue des Champions « , se souvient l’ancien, titulaire au long cours du Partizan (1992-1996, 2002-2007).  » Mourinho m’a dit après la rencontre chez nous (1-1 ) : – Je savais que ce serait dur mais pas à ce point-là. J’étais encore joueur et notre équipe était décidée, organisée, ambitieuse, désireuse de vendre chèrement sa peau. Nous méritions largement le succès. Et qui a finalement remporté la Ligue des Champions cette année-là ? Porto…  »

Nadj observe, amusé, son ami Neba Malbasa qui nous a permis d’entrer dans le saint des saints et dont le neveu, Nikola, fut à cette époque l’équipier du patron sportif du Partizan.  » J’ai un énorme respect pour Anderlecht, son prestige, son palmarès « , continue Nadj.  » Mais je vois plus loin. Je veux voir le Real Madrid et l’Inter Milan à Belgrade. Il faut que le Partizan devienne la référence, le club en vue de cette partie de l’Europe, des Balkans.  »

Nadj déborde d’ambition mais il sait, mieux que personne, que le club qu’il porte dans son c£ur ne remportera jamais la coupe aux grandes-z-oreilles. Le capitaine du Partizan, Mladen Krstajic doit partager le même point de vue, lui qui a répété à la presse :  » Sur l’ensemble des deux matches, j’accepte aisément qu’Anderlecht soit favori. Mais cela s’arrête là. Je serrerai la main des Bruxellois en signe de considération pour leur histoire et les valeurs de leur équipe actuelle. Mais après, je dis stop, je n’ai pas peur et il faudra jouer pour la gagne. Nous désirons continuer en Ligue des Champions. Nous avons déjà franchi deux obstacles (Pyunik et HJK Helsinki) et, tant pour le club que pour nous, si on gagne ce troisième défi, ce sera formidable. Maintenant, il y a plus important que les paroles : le terrain. Il faudra travailler comme nous le faisons depuis le début de notre aventure. Il ne faut rien lâcher, même quand c’est dur. Je ne suis pas un rêveur et je ne connais pas d’autres méthodes.  »

Le roc Krstajic

Dans l’idée probablement de le préserver avant les missions mauves, samedi passé, Mladen Krstajic avait été mis au repos pour la reprise du championnat (succès 2-1 contre le promu Indjija, buts de Cléo et de Radosav Petrovic, match disputé dans une chaleur accablante avec un Partizan disposé en 4-1-3-2). Krstajic est la pièce maîtresse et la tour de la défense (1,90m) mais il a déjà 36 ans. Son métier constitue un atout important. Avec ses 59 sélections nationales, ses succès en Serbie (4 titres, 1 Coupe), à Brême (titre et Coupe) et à Schalke 04 (Coupe de la Ligue), l’arrière connaît la musique et est tout autant une référence qu’un point d’appui pour un effectif qui n’a jamais été spécialement stable.

La semaine passée, il avait été question du transfert de l’attaquant Dragan Mrdja (ex-Lierse, Zulte-Waregem, Khimki, Vojvodina Novi Sad), qui a finalement signé au FC Sion. Les Suisses ont payé un million d’euros. Un autre nom circulait, celui de StevanBabovic, l’ex-médian défensif de Nantes et de Feyenoord.

Nadj ouvre l’£il et le bon :  » Il ne faut pas nécessairement avancer des fortunes pour avoir une bonne équipe. Tout le monde le sait : le Partizan avait dépensé pas mal d’argent il y a quelques années. Cela n’a pas marché et cela a laissé des traces. Nous avons changé la politique du club. Notre avenir passe par des prêts, des retours d’anciens éléments, des trouvailles, etc. Sans tenir compte des contrats, je n’ai dépensé que 30.000 euros pour mon recrutement. Le Partizan a toujours été un club formateur. Nous avons beaucoup de magnifiques jeunes. L’Europe est une vitrine pour eux et pour le club. La vente des joueurs est une importante source de rentrées financières. Les matches européens sont évidemment de belles cartes de visite. « 

La Ligue des Champions est forcément plus intéressante que le championnat de Serbie. Et pourtant on oublie que ce club a failli devenir le maître de l’Europe. Sa chance est passée le 11 mai 1966 quand le Partizan fut battu 2-1 en finale par le Real Madrid au Heysel. Ses supporters transformèrent cependant cette déception en fait de gloire. Et, durant des années, ils chambrèrent leur ennemis de l’Etoile Rouge : -Nous, nous avons disputé une finale… L’adversaire de toujours retint sa rancoeur jusqu’au 29 mai 1991 et le succès à Bari en finale de la C1 contre Marseille (0-0, 5-3 lors des tirs au but) et les mélopées s’élevèrent au-dessus du stade Maracana de Belgrade : – Vous avez pris part à une finale mais nous, on a gagné une finale…

Les derbies entre le Partizan et l’Etoile Rouge ont fait le plein dans les deux stades durant des dizaines d’années. Belgrade était divisée entre deux camps.  » C’était surtout vrai au temps de la splendeur du foot yougoslave « , note Zdravko Cakalo, journaliste retraité du quotidien Sport et qui joua comme back droit en D1, à Osijek.  » Cette D1-là était, qualitativement parlant, dans le top 5 des meilleurs championnats européens. Les joueurs ne quittaient pas le pays avant 28 ans. La guerre et l’arrêt Bosman ont tout à fait modifié la donne. Désormais, dès qu’un jeune montre le bout du nez, il se retrouve à l’étranger. Pour le meilleur et pour le pire : certains réussissent mais d’autres, trop jeunes, ne se réalisent pas dans un autre environnement. Les championnats des pays qui composèrent autrefois la Yougoslavie n’atteignent plus du tout le même niveau. En Croatie, la rivalité entre le Dinamo Zagreb et Hajduk Split était très chaud. Belgrade avait son vrai derby comme Glasgow, Rome, Milan, Madrid, Barcelone, etc. C’était terrible et cette opposition a certainement suscité la jalousie mais aussi le progrès. Je pense aussi que les derbies étaient plus sains avant. L’argent a quand même bouleversé les choses…  »

Cette tension sportive arrangea probablement les autorités politiques yougoslaves après la Deuxième Guerre mondiale. Cela permettait d’oublier d’autres problèmes. Ainsi, en Serbie notamment, deux mouvements de résistance s’opposèrent à l’occupant nazi : l’armée royale et les forces communistes qui s’emparèrent finalement du pouvoir en Yougoslavie. On peut imaginer que le nouveau régime utilisa le football comme vecteur de communication et de propagande. Comme Franco l’avait fait en Espagne, au point de favoriser le Real Madrid au détriment du Barça. Les Titistes ont-ils aussi agi dans les coulisses du football à Belgrade ? Un supporter nous a dit qu’une huile de l’Etoile Rouge, proche des services secrets yougoslaves, avait été éliminée violemment pour ne pas avoir obéi aux ordres du sommet de l’Etat au cours des années 60 ? Réalité ou roman ? On se pose souvent la question dans les Balkans. Le nom des deux clubs était en tout cas politisé : Partizan, Etoile Rouge…

Partisan-Etoile Rouge : rivalité extrême

 » Ces institutions ont été fondées après la Deuxième Guerre mondiale. L’Etoile Rouge le 5 mars 1945 et le Partizan le 4 octobre de la même année « , explique notre confrère, Cakalo.  » Ils n’ont pas changé de nom après la chute du communisme. Et cela s’explique : il s’agissait de deux nouveaux clubs. Ils n’ont pris la place de personne.  » Certains estiment que ces deux entités, surtout le Partizan, ont longtemps été favorisés par l’ancien régime communiste. Au départ, le Partizan était le club de l’armée et d’une partie de la police et avait une connotation plus yougoslave. A Belgrade et dans la diaspora serbe, l’Etoile Rouge, plus populaire, a rapidement été considérée comme le grand club de la ville, de la région et, globalement, de la Serbie.

 » Il faut quand même nuancer : en 1991, l’Etoile Rouge a été sacrée championne d’Europe puis du monde avec de joueurs venus de tous les horizons : Serbie, Monténégro, Croatie, Macédoine, Roumanie « , avance Cakalo.

Zvonko Varga (ex-Liège, Seraing, désormais coach de Teleoptik, le club satellite du Partizan) partage ce point de vue et précise :  » Moi, j’ai tout de suite été un supporter acharné du Partizan. Enfant, je traçais moi-même de lignes noires sur mon t-shirt pour ressembler à mes idoles. J’aimais tout : les joueurs, le style de jeu au Partizan, Je rêvais de jouer dans ce club. Quelle fierté quand j’y suis parvenu.  »

La rivalité entre les deux clubs a été éclatante dès le premier jour : les derbies ont tout de suite été très chauds entre le Partizan et l’Etoile Rouge.  » On ne passait pas sans soucis d’un club à l’autre « , affirme Cakalo. Cléo en a fait l’expérience en quittant l’Etoile Rouge pour le Partizan en 2009. Cela n’était plus arrivé depuis 23 ans et le buteur brésilien aurait même reçu des menaces de mort. Cakalo en a entendu parler et ajoute :  » Mais ce n’est rien à côté du choc que constitua l’arrivée de Velibor Vasovic à l’Etoile Rouge en 1963. Il n’a pu tenir qu’un an : en 1964, il était déjà de retour au Partizan. C’était intenable pour lui…  »

Le noyau dur des supporters du Partizan (les Grobaris : croque-morts en serbe) a acquis une réputation épouvantable, surtout après la mort violente de Brice Taton, supporter de Toulouse le 17 septembre 2009 au centre de Belgrade.  » Le Partizan n’est pas du tout concerné par ce drame qui s’est déroulé loin de notre stade « , souligne Nadj évidemment opposé à toute forme de violence. Le stade du Partizan se transforme souvent en enfer.  » L’ambiance est alors magnifique « , avance Nadj.  » Je m’entretiens souvent avec les représentants de nos clubs de supporters. Ils savent ce que j’attends d’eux : un comportement sportif. La saison passée, nous avons reçu l’Etoile Rouge pour un derby décisif dans la lutte pour le titre. C’était un choc et nous avons accueilli des supporters des deux camps venus de tout le pays et même de l’étranger. Je n’ai pas eu à déplorer le moindre incident. Notre stade vibre toujours à l’occasion des grandes affiches et des rendez-vous européens.  »

L’aura du Partizan est née à la fin des années 50.  » Son style a été façonné par un entraîneur hongrois : Spic Iljes « , précise Cakalo.  » Il avait ses idées à propos du jeu, de la formation. Ce coach lança une flopée de jeunes, les bébés du Partizan ( Milutin Soskic, Fahrudin Jusufi, Vasovic, Milan Galic, etc.), qui firent la fortune et la réputation de ce club. Jusufi et Galic joueraient sans problème à l’heure actuelle : ils avaient la classe mondiale.  » Au fil du temps, il a souvent été dit que l’Etoile Rouge évoluait généralement en 4-3-3 et prônait un jeu plus offensif que celui d’un Partizan à la philosophie tactique plus prudente.  » Je ne suis pas de cet avis « , nuance Cakalo.  » Le Partizan et l’Etoile Rouge sont avant tout des équipes offensives. Leur style de jeu est finalement assez comparable. Il a fluctué au fil des transferts de leurs meilleurs joueurs. Les grandes équipes du Partizan et de l’Etoile Rouge ont régulièrement été dévalisées. Et il faut souvent recommencer à zéro.  »

Couler de nouvelles fondations, c’est exactement ce que Nadj s’est fixé comme mission :  » Je suis arrivé à mon poste en janvier 2010. Le Partizan, c’est le club de mon c£ur, celui de ma vie. Dès le début, je n’ai eu qu’un seul objectif : remporter le titre. Et je le dis ouvertement, la qualité du jeu n’était pas le plus important pour moi. C’était se-condaire à cet instant-là. C’était un souci pour plus tard. Je voulais secouer l’effectif, changer les habitudes et… gagner. Nos joueurs étaient trop gâtés. Moi, je veux admirer des battants sur un terrain. Et ceux qui ne sont pas capables de se dépasser n’ont pas leur place au Partizan. Je ne veux surtout pas entendre parler de fatigue. Je l’ai dit aux joueurs en m’adressant à eux pour la première fois. Les footballeurs des grands championnats peuvent avoir un coup de mou, pas nous. L’éventuel manque de rythme est une fausse excuse : c’est purement psychologique. En 2003, nous avons été chercher notre qualification pour les poules de la Ligue des Champions à Newcastle. Après le 1-1 de l’aller, tout le monde s’attendait à ce que nous en prenions cinq en Angleterre. « 

L’effet Matthäus

 » C’était sans compter sur Lothar Matthäus, notre coach qui nous a transmis sa rage de vaincre. Et on a arraché la qualification avec nos tripes, au bout des prolongations et des tirs au but. Il faut toujours y croire. Cette saison, je vise le doublé en Serbie et une longue aventure européenne. Nous sommes déjà certains de figurer en Ligue des Champions ou en Europa League jusqu’à la fin de l’année. Si on peut faire mieux, il ne faut pas passer à côté de la montre en or. La vedette de notre équipe, c’est le Partizan. Quand un collectif comprend cela, il a avancé dans le bon sens. Notre entraîneur est jeune mais il partage entièrement notre façon de voir les choses. Le Partizan a tourné une page de son histoire. Plus rien ne sera jamais comme avant mais ce club peut encore vivre de très beaux moments : c’est une question de volonté. Je prépare déjà la prochaine saison et j’ai mes idées au cas où le Partizan devra être actif lors du prochain mercato d’hiver.  »

Une partie de la presse serbe estime que le Partizan est moins fort que la saison passée.  » Je ne le pense absolument pas et nous le prouverons « , lance Nadj. Ljubisa Rankovic, le secrétaire de l’équipe première, reçoit beaucoup de demande d’interviews pour les joueurs. Ancien de Caen, où il a connu Gregory Dufer et FranckBerrier, Rankovic garde son calme. La semaine passée, Almani Moreira (le joueur le mieux payé de Serbie : salaire de 400.000 euros par an) avait décidé de ne plus s’adresser à la presse par peur d’être mal compris. Il y avait donc bel et bien un mystère à propos de l’ancien Standardman : ne s’entraînait-il pas à cause d’une blessure ou en raison, selon des journalistes proches de… l’Etoile Rouge, de retards dans le payement (un mois de salaire et prime de 50.000 euros pour le titre de la saison passée) ? Avant qu’il ne soit pas aligné contre Indjija, le médecin du club l’avait déclaré bon pour le service. Moreira s’était entraîné presque normalement. Etait-ce sa façon d’exprimer son mécontentement et son désir de quitter le Partizan ? Le coach serbe ne croyait pas à ce genre de man£uvre dans le chef de Moreira, très populaire à Belgrade. Selon un journal de Belgrade, les derniers soucis financiers ont été réglés. Rumeurs ou pas : le Partizan ne sera jamais un fleuve tranquille…l

Par Pierre Bilic – Photos: Reporters

Je n’ai dépensé que 30.000 euros pour mon recrutement. (Albert Nadj, directeur sportif)

Les joueurs des grands championnats peuvent avoir un coup de mou, pas nous. (Nadj)

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