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LA TAILLE COMPTE

 » Il n’y a qu’un Marouane Fellaini dans le monde « , aimait répéter Marc Wilmots. Un joueur avec de grandes jambes à un poste où les coaches d’aujourd’hui veulent surtout des bons pieds. Pourtant, l’Air Force belge séduit toujours ses entraîneurs. Analyse d’un parcours à pas de géants.

Laisser le hasard avoir un rôle trop important dans une rencontre de son équipe, c’est loin d’être la tasse de thé de José Mourinho. C’est sans doute pour cela que le Special One n’a pas remplacé Marouane Fellaini, pourtant averti, lors du déplacement des Red Devils à Hull City dans les derniers jours du mois d’août. Explications du Portugais :  » J’envisageais de sortir Fellaini, mais j’avais un peu peur de leurs coups de pied arrêtés. Marouane est important pour notre travail défensif.  »

 » Le manager connaît mes qualités, il sait ce que je peux faire « , rétorque la touffe la plus célèbre du Royaume quand on le confronte aux louanges du Mou sur son début de saison. Une nouvelle fois, Felly est entré dans les plans de son entraîneur alors que beaucoup lui promettaient un départ de United cet été. Au coeur d’un football entré dans l’ère des Xavi et des Lionel Messi depuis près d’une décennie, les centimètres de Big Mo lui permettent de survivre à une sélection naturelle qui a écarté des terrains les plus prestigieux milieux de terrain qui brillent surtout quand le ballon s’envole.  » J’ai un jeu à part, peut-être. Mais il faut regarder les choses en face : j’arrive toujours à m’imposer dans une équipe « , détaille Fellaini dans une interview accordée à So Foot.

Marouane est un anachronisme, un basketteur en crampons à l’époque où le football a décidé de ressembler au handball. Axel Witsel connaît la recette de Felly :  » Parfois, il faut se connaître et miser à fond sur ses qualités. Marouane l’a très bien compris, et ça lui a réussi. « Pour tirer le meilleur de ses centimètres, Fellaini est devenu Big Mo et a traversé la Manche. Direction le pays du long ball.

UNPLAYABLE

Le Diable Rouge débarque à Goodison Park, et fait la rencontre de David Moyes. Fellaini se présente comme il l’a toujours fait :  » Un milieu de terrain présent dans les deux rectangles.  » Mais très vite, le manager d’Everton décide de le rapprocher de plus en plus du rectangle adverse. Le milieu défensif devient un neuf et demi d’une tout autre espèce.  » Marouane n’est pas le genre de joueur contre lequel vous aimez jouer « , justifie Moyes.  » Il a des qualités que les autres n’ont pas.  » Leon Osman, équipier de Felly chez les Toffees, surenchérit :  » Il n’était pas assez discipliné et pas assez bon passeur pour occuper le rôle de premier relanceur. Par contre, si vous lui adressez un long ballon dans le rectangle, il est quasiment injouable.  »

Toute la Premier League commence alors à se fasciner pour ce joueur unplayable. Les matches de Marouane tournent alors à la litanie : duel aérien défensif, passe sans risque pour amorcer la relance, avant cette traversée du terrain qui semble presque indépendante du jeu, comme s’il ne pensait pas au ballon, mais seulement à l’entrée de la surface adverse, à atteindre le plus vite possible. Vient ensuite la déviation, ou l’amorti de la poitrine, qui débouche presque systématiquement sur une occasion pour les Toffees.

 » Fellaini est un joueur qui nécessite une attention spéciale « , affirme alors Gary Neville. Comment peut-il en être autrement pour un homme qui a remporté 62 % des 1.054 duels aériens disputés depuis son arrivée en Premier League. Deux duels gagnés sur trois, quand on dispute presque exclusivement des duels offensifs (toujours plus difficiles à remporter), le chiffre est éloquent. Suffisamment impressionnant pour que le jeu d’Everton se concentre exclusivement autour de sa domination aérienne. Lors de sa dernière saison à Goodison Park, Felly tire 90 fois au but, dont 30 fois de la tête. Everton semble être devenu trop petit pour Marouane. Dans son style, il est le meilleur joueur du continent. Le problème, c’est que les meilleurs clubs d’Europe ne jouent pas à ce football-là.

L’ITINÉRAIRE BIS

Le choix de Sir Alex Ferguson pour David Moyes sera une main tendue à Fellaini dans sa route vers le sommet. Le manager écossais emmène son key player à Old Trafford. Les doutes apparaissent immédiatement, et sortent de la bouche d’un Michael Owen tout juste retraité :  » Fellaini peut bien faire les choses dans des équipes au jeu bien déterminé, mais je ne pense pas qu’il soit un joueur du niveau de Manchester United.  »

Le licenciement de Moyes et l’arrivée de Louis van Gaal avec son football hollandais sous le bras semblent sonner la fin de l’histoire mancunienne de Fellaini. Mais van Gaal reste un pragmatique. Au sein d’un Manchester qui souffre pour assimiler les principes du jeu de position, Marouane devient vite un recours inévitable.  » Louis van Gaal n’a pas peur de jouer sur les forces de Fellaini « , analyse Phil Neville sur la BBC.

 » Je ne connais personne avec ses caractéristiques et son profil. C’est un joueur exclusif « , reconnaît le manager néerlandais.  » Il nous permet toujours de sortir du pressing quand on ne peut pas en sortir proprement. C’est une qualité.  » Wayne Rooney confirme :  » À United, nous aimons jouer en partant de nos latéraux. Et si une équipe nous met sous pression, nous avons toujours Marouane comme option.  »

Le plan A de Goodison Park devient alors la sortie de secours d’Old Trafford. Louis van Gaal utilise Fellaini quand le circuit traditionnel ne fonctionne pas. Felly est son itinéraire bis. Un raisonnement que le manager pousse à l’absurde quand il garde son Belge sur le banc pour lui offrir quelques minutes dans les fins de rencontres insolubles. Fellaini monte alors en pointe, ou derrière l’attaquant comme à Everton, et régule le trafic aérien pour régaler ses équipiers de deuxièmes ballons dans la zone de vérité. 44 % des 36 tirs de la saison de Big Mo sont des coups de tête.

MOU ET LA SÉCURITÉ

Vient alors le tour de José Mourinho. Avec l’arrivée de Paul Pogba, Fellaini semble déjà inscrit dans le rôle de la victime au script du nouveau Manchester. Mais plusieurs paramètres font à nouveau pencher la balance en faveur de la touffe bruxelloise. L’amour du Special One pour les profils particuliers, d’abord.  » Je suis un manager qui aime les spécialistes, pas les joueurs multi-fonctions « , affirme le Mou lors de son arrivée à Old Trafford. En revenant à Chelsea, déjà, le Portugais s’était étonné du départ de Nemanja Matic pour Benfica (finalement racheté par les Blues) :  » Je n’aurais jamais approuvé le départ d’un milieu de terrain gaucher d’un mètre 95.  »

Mourinho installe les centimètres de Fellaini devant sa défense, avec une double mission : protéger la charnière et le ballon.  » Une fois, Van Gaal m’a dit : ‘Tu sais pourquoi tu joues ? Parce que tu ne perds pas la balle, toi’ « , confiait Felly à So Foot. Une vertu qui plaît aussi au Special One, surtout quand le Belge est associé à un Pogba abonné à la prise de risques dans le double pivot mancunien. Depuis le coup d’envoi de la saison, Marouane enchaîne les ballons latéraux et les passes en retrait pour tourner à une moyenne de 90 % de passes réussies. Un chiffre qui le place parmi les dix milieux de terrain les plus  » propres  » du Royaume.

En plus, sa présence offre une sécurité aérienne – qu’on présente toujours comme indispensable pour déjouer le jeu long des  » petites équipes  » anglaises – à la colonne vertébrale de Mourinho, puisque Daley Blind et Eric Bailly sont loin d’être des monstres dans les airs. D’ailleurs, la titularisation de Chris Smalling en défense centrale face à Leicester a indirectement envoyé Fellaini sur le banc, comme si la taille du défenseur anglais rendait les centimètres de Marouane superflus.

LE HOQUET

Il faut dire qu’après les défaites face à Manchester City et Watford, les critiques avaient fait leur retour. C’est Peter Schmeichel qui a ouvert le feu après le derby perdu par les Red Devils :  » Fellaini ralentit le jeu.  » Le Danois met le doigt sur le revers de la médaille du gigantisme. Les grands sont plus lents. Felly s’applique sur chaque contrôle et chaque passe, mais son enchaînement semble prendre une éternité. Comme un hoquet permanent dans la fluidité respiratoire d’une belle possession. Des limites qui s’observent aussi chez les Diables, quand le manque de vitesse de la circulation du ballon au milieu de terrain empêche l’équipe nationale de créer des brèches dans un bloc regroupé.

Paul Scholes, ancien propriétaire du rond central d’Old Trafford, en a remis une couche après la défaite face à Watford :  » Fellaini a été correct aujourd’hui, il a fait son job. Mais je pense que si tu es Manchester United, tu as besoin de plus que ça. Tu as aussi besoin de quelqu’un qui peut contrôler le match, jouer vers l’avant. Je pense que tu as besoin d’un playmaker. Au final, tu es Man U et tu vas à Watford, pas à Arsenal !  »

L’histoire de Fellaini est celle d’un éternel compromis entre l’importance du gabarit et le handicap qu’il représente à l’heure de dominer une rencontre. Antonio Conte, lors de ses derniers mois à la Juventus, avait réclamé  » plus de kilos et plus de centimètres  » dans son noyau, parce que les finales européennes se jouaient souvent sur une phase arrêtée. Pep Guardiola lui aurait sans doute répondu que l’éventualité d’un coup franc ne faisait pas le poids face à l’importance d’une circulation de balle cohérente. Le débat a le mérite de poser une question : à l’heure des Toni Kroos et des Xabi Alonso, quelle grande équipe européenne aligne aujourd’hui un milieu de terrain pour sa taille ?

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » À United, nous aimons jouer en partant de nos latéraux. Et si une équipe nous met sous pression, nous avons toujours Marouane comme option.  » – WAYNE ROONEY

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