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LA REINE DES NEIGES

Elle n’a que 21 ans, est championne olympique et est bien partie pour remporter un troisième titre mondial en slalom. À la veille des Championnats du Monde de ski à Saint-Moritz (du 7 au 19 février), partons à la découverte de Mikaela Shiffrin, la blonde coryphée du Colorado.

En avril 2011, on l’avait baptisée la Mozart du ski. Mikaela Shiffrin venait de remporter son premier titre national en slalom aux Etats-Unis. Les championnats américains n’avaient jamais couronné une championne aussi jeune : elle n’avait que 16 ans à l’époque. Sa carrière ne faisait pourtant que commencer. Un an plus tard, elle a remporté son premier titre mondial, et à 18 ans, elle est devenue la plus jeune championne olympique de slalom de tous les temps. Les spécialistes n’étaient pas surpris.

 » Tout le monde pense que les résultats de Mikaela sont l’aboutissement d’un grand projet visant à faire d’elle une championne « , a déclaré sa mère Eileen au New York Times.  » La vérité, c’est que nous n’avons jamais élaboré le moindre plan de carrière pour elle. Je me souviens d’un été torride, lorsque Mikaela n’avait que 10 ans. On était en train de refaire la pelouse du jardin. Il y avait plus de 30°, mais Mikaela a passé plusieurs semaines avec un grand râteau à la main, sans se plaindre. Vous voyez : notre plan, c’était ça !  »

Dans toutes leurs interviews, les membres de la famille Shiffrin – y compris le père Jeff et le frère aîné Taylor – affirment que l’ascension de Mikaela vers les sommets est une succession de circonstances favorables. Lorsque Jeff, anesthésiste de profession, s’est vu proposer un nouvel emploi, toute la famille a quitté Vail, considérée comme la Mecque du ski dans le Colorado, pour emménager dans le New Hampshire, 3.000 kilomètres plus à l’est.  » Un endroit horrible. Les montagnes étaient beaucoup moins hautes que dans le Colorado et il pleuvait souvent, ce qui m’obligeait à skier sur de la glace.  »

La famille habitait au milieu de nulle part, dans une ancienne maison qui avait besoin de gros travaux de rénovation. Il fallait, par exemple, renouveler la pelouse. Ou peindre les murs, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Ce n’était pas très amusant, mais ça a finalement été très utile, a récemment admis Mikaela.  » C’est là qu’on a compris qu’à tout problème, il existait une solution, à condition de s’en donner la peine et de travailler.  »

Eileen, infirmière de profession, était chargée de veiller à l’éducation des deux enfants. Après que Taylor n’eut pas été sélectionné par le coach de l’équipe de football de son école pour une tournée estivale, elle a acheté dix DVD évoquant différentes Coupes du Monde, et a installé un grand terrain de football dans le jardin, y compris de hauts filets derrière le but.  » Maman a même organisé elle-même un stage de foot pendant l’été. Parfois, on passait huit heures par jour sur le terrain « , a raconté Mikaela, qui a dû apprendre à rouler en monocycle ce même été.

Pourquoi ? Tout simplement, parce que Maman avait lu que c’était bon pour l’équilibre. Pour améliorer la coordination, Mikaela devait en plus jongler avec des petites balles, sur un parcours de trois kilomètres. Taylor la suivait en dribblant avec un ballon de football.  » Les voisins ont dû nous prendre pour des fous « , rigole Eileen.

À CONTRE-COURANT

Mais le père et la mère n’ont jamais hésité à ramer à contre-courant. Ils estimaient qu’il valait mieux progresser sur le plan individuel qu’obtenir des résultats dans des compétitions collectives.  » Des entraîneurs nous ont parfois demandé quels étaient nos projets pour Mikaela, qui n’avait que 9 ans. Des projets ? Pour l’instant, ils se limitent à un petit rôle dans le spectacle de Noël de l’école qui sera présenté demain… « , a expliqué Jeff à Sports Illustrated.

Au grand désespoir de ses entraîneurs de jeunes. Mikaela était plus rapide et plus adroite que d’autres grands talents parfois beaucoup plus âgés, mais la recherche de la perfection avait toujours la priorité par rapport au classement en compétition. Lorsque Taylor Shiffrin s’est inscrit à la Burke Mountain Academy, un internat dans le nord du Vermont, sa soeur de 11 ans a suivi ses traces.

 » À l’époque, déjà, elle déclarait que les compétitions l’intéressaient peu « , a expliqué Kirk Dwyer, le directeur de l’académie de ski, à USA Today.  » Ils sont nombreux à affirmer qu’ils veulent courir en compétition comme ils s’entraînent, mais combien y parviennent ? Mikaela, elle, y parvient, car elle ne pense pas à gagner. Elle veut d’abord s’améliorer. C’est toujours le cas aujourd’hui.  »

Pure, sereine et imperturbable : c’est ainsi que Ted Ligety, quintuple champion du monde et double champion olympique, l’a décrite.  » Elle seule est capable de dévaler à toute vitesse une piste glacée comme si de rien n’était.  » Pourtant, ses premiers pas sur le circuit européen de la Coupe du Monde ont été compliqués. Elle était confrontée à la barrière de la langue, devait s’habituer à une nourriture différente et était encore très jeune : 16 ans à peine. Les contacts sociaux étaient donc limités. Les entraîneurs de l’équipe américaine se sont opposés à la venue de la mère, mais Eileen ne les a pas écoutés et a tout de même traversé l’Atlantique. Pendant trois ans, les Shiffrin ont dépensé une fortune pour suivre leur fille.  » Cela nous a probablement coûté une maison et une belle voiture, mais cela nous aurait-il rendu plus heureux ? Pour l’évolution de Mikaela, c’était la seule bonne décision à prendre « , a justifié le père.

Pendant que ses coéquipières plus âgées passaient leur temps dans les bars d’une station de ski, Mikaela regardait des comédies romantiques et des épisodes de Friends, confortablement installée dans un fauteuil aux côtés de sa maman. Et l’après-midi, elle était plongée dans les livres scolaires, avec Eileen comme professeur.  » Vivre dans un pays étranger, c’est comme descendre une piste de ski très difficile. On ne sait jamais à quoi s’attendre, mais on doit constamment essayer de s’adapter « , a-t-elle déclaré en 2013, lorsqu’elle a remporté son premier titre mondial et la Coupe du Monde de slalom à l’âge de 17 ans.  » Mentalement, elle est très forte. C’est comme si elle skiait dans son jardin « , a commenté l’ancienne championne du monde et championne olympique allemande, Maria Höfl-Riesch.

THE SKY IS THE LIMIT

A 21 ans, elle compte déjà deux titres mondiaux, un titre olympique et trois victoires finales dans la Coupe du Monde de slalom à son palmarès. Et encore, elle a loupé une grande partie de la saison 2016 à cause d’une blessure au genou. Qui dit mieux ?  » C’est une vraie championne comme on n’en découvre qu’une fois tous les 20 ans « , a déclaré son ancien entraîneur autrichien Roland Pfeifer.  » Un jour, elle battra tout le monde, dans toutes les disciplines.  »

En slalom, elle est déjà imbattable, mais après ses deux victoires en Coupe du Monde de slalom géant cette saison, tout laisse penser qu’elle pourrait réaliser le doublé olympique, l’an prochain à Pyeongchang. Elle est de plus en plus à l’aise dans des épreuves comme le Super G et la descente, la peur des grandes vitesses disparaît progressivement.  » Enfant, j’ai beaucoup admiré des skieuses polyvalentes comme TinaMaze et Maria Höfl-Riesch. Ce serait stupide de ma part de me limiter à deux disciplines. Je veux voler.  »

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » C’est une championne comme on n’en découvre qu’une fois tous les 20 ans. Un jour, elle battra tout le monde, dans toutes les disciplines.  » – SON ANCIEN ENTRAÎNEUR ROLAND PFEIFER

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