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LA QUANTITÉ À DÉFAUT DE LA QUALITÉ

Namur a beau être la cinquième province la plus représentée en termes de clubs, elle attend d’avoir un représentant en D1 depuis 1895. Plongée dans les coulisses d’une région qui peine également à envoyer ses joueurs au top du foot belge.

Les cheveux en bataille sur son front, Gaëtan Hendrickx ne quitte pas le ballon des yeux : il est concentré, appliqué… et certainement un peu craintif aussi. Devant lui, il a 9,15 mètres, Davy Roef et la qualification des Zèbres pour les quarts de finale de la Coupe de Belgique. Avant cette séance de tirs au but du 1er décembre dernier, il n’avait eu droit qu’à 23 minutes de jeu avec le Sporting Charleroi cette saison. Il a donc pas mal de poids sur les épaules au moment de botter le penalty décisif de la séance. Gaëtan s’élance, frappe à droite et prend le gardien d’Anderlecht à contre-pied. Charleroi est qualifié.

Peu de gens s’en doutent à ce moment-là mais ce coup de patte est un véritable événement pour le foot namurois : en propulsant le RCSC en quarts de finale, Hendrickx est devenu le premier joueur namurois à marquer un but sur une pelouse belge de D1A en 2016-2017. Le constat est dur pour une province qui n’a jamais beaucoup fleuri l’élite du football national de ses représentants.

Ces derniers temps, les réussites du football namurois se sont même résumées à un 1/16e de finale de Coupe de Belgique de l’UR Namur contre Gand en 2014 et, surtout, à l’accueil de matches de gala à Ciney (Ciney-Standard et Anderlecht-Metz notamment) et à Namur (Standard-OM en août dernier). Pour le reste, tout le Namurois tire une fameuse gueule de bois depuis environ 121 ans…

UNION ROYALE, UNION WALLONNE ET COUVIN-MARIEMBOURG

Il suffit d’évoquer la province de Namur pour que le nom de l’Union Royale vienne rapidement se fixer au bout des lèvres. Normal : avec six titres (en D3 et Promotion) et 14 saisons passées en D2, le matricule 156 est le club le plus prestigieux de l’entité. Las, l’UR a pourtant rarement navigué sur une Meuse tranquille ces derniers temps…

 » Il y a toujours eu des hauts et des bas dans ce club « , glisse Benoît Aerts, ancien journaliste sportif indépendant.  » Un jour, un journaliste de France 2 m’a même appelé parce qu’il voulait faire un sujet sur la situation rocambolesque du club.  »

Dettes, mise en faillite, salaires non payés, non-remise des déclarations d’impôts et des bilans du club, etc… : il y a en effet de quoi raconter sur ce club qui a perdu son aura en même temps que son stade et ses supporters en 2001 lorsqu’il a quitté le Michel Soulier, pourtant adoré des fans namurois.

 » L’identification au club a chuté ces derniers temps « , poursuit Aerts.  » Plus personne ne vient au stade…  » La descente aux enfers de l’UR ne s’arrête d’ailleurs pas là puisque suite à une cession de patrimoine fautive, le club sera rétrogradé d’une division en fin de saison. Or, les Namurois végètent actuellement en fond de tableau de la D2 amateurs (D2A) et pourraient donc directement retomber en P1 après 30 années en divisions nationales.

L’UR Namur ayant perdu son hégémonie, beaucoup estiment que c’est la RUW Ciney qui a repris le rôle de locomotive de la province avec son équipe en D2A et ses multiples équipes de jeunes.  » Mais depuis trois mois, le club est dans l’incertitude au niveau extra-sportif et peine en championnat alors qu’il avait pour objectif le top 2-3 « , nuance Jérôme Nellis, responsable des sports au journal La Meuse.

 » Ciney évolue avec le paradoxe d’avoir de l’ambition – le président a déjà affirmé vouloir construire une grosse équipe pour l’an prochain – et la volonté de jouer avec ses jeunes.  » Sans faire de bruit, c’est peut-être finalement Couvin-Mariembourg qui s’en sort le mieux, en trustant actuellement la colonne de gauche de la D2A.

 » Ils sont placés dans une région éloignée et sans beaucoup d’habitants « , poursuit Nellis.  » Mais ils tiennent le haut du pavé et peuvent également compter sur l’un ou l’autre sponsor.  »

UNE AIDE FINANCIÈRE DES PLUS LIMITÉES

Quoi qu’il en soit, les clubs namurois sont loin de tenir la dragée haute au niveau national et les raisons de ces échecs collectifs sont nombreuses. Une de celles-ci semble liée au paysage entrepreneurial de la Province, majoritairement tertiaire là où les régions carolorégienne et liégeoise possèdent des entreprises du secteur primaire.

 » Le tissu économique n’est pas suffisant, il n’y a pas d’investisseur potentiel pour suivre un club « , analyse ainsi Benoît Aerts.  » Et puis, sans aucun jugement, beaucoup de grands clubs sont nés de l’initiative et de la ferveur ouvrière, moins représentée par ici « , ajoute Jérôme Nellis.

Le chef des sports de La Meuse cite ensuite une raison psychologique pouvant expliquer le manque de réussite des clubs namurois.  » On a souvent eu cette image de petits bourgeois, fiers de leur citadelle, mais qui ne sont pas les premiers à mettre les mains dans le cambouis. Donc quand il s’agit de se salir sur un terrain de foot…  »

Et quand bien même un Namurois serait fan de foot, où peut-il vivre sa passion puisque jamais aucun club de la province n’a été professionnel ?  » Pour voir un match de D1, il faut d’office faire 50-60 kilomètres « , déplore Jérôme Colinet, Cinacien notamment passé par Roda JC et Eupen.  » Ça n’aide pas à en vouloir plus.  »

Du coup, les Namurois se sont depuis longtemps tournés vers des clubs de D1 comme Charleroi, le Standard et Anderlecht auxquels ils s’identifient désormais.  » Rien ne dit que les Namurois s’attacheraient de nouveau à un club du coin au cas où un investisseur relancerait une dynamique « , estime Benoît Aerts.

Autre point central souligné par la plupart des intervenants : la non-intervention du pouvoir politique.  » Les clubs namurois ont beaucoup moins de subsides que les autres : pour un sponsoring de 1500 ? par an de la ville de Ciney à son club, ça monte parfois à 150 000 en Flandre, c’est incomparable « , tonne Jérôme Nellis, bientôt complété par Jérôme Colinet.

 » Dans les années 90, l’ACHE a atteint la D3 mais a eu des problèmes financiers, Ciney n’a pas pu rejoindre la D1A pour les mêmes raisons et on connaît les soucis de Namur… Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’aide ?  » C’est Benoît Aerts, récemment débarqué au sein du cabinet des Sports de la Ville de Namur,qui donne la réponse.

 » Il n’y a jamais eu de volonté de la ville de mettre un club en D1, contrairement à ce qui a été mis en place du côté de Mouscron par exemple. La ville soutient les clubs namurois de la même manière avec un octroi supplémentaire de subsides pour les jeunes. Le plan « Sport pour tous » mis en place n’a pas pour objectif de tout réserver à un seul club…  »

GÉOGRAPHIE, RURALITÉ ET 2E SALAIRE

En sus de l’absence de clubs namurois dans l’élite nationale, on ne peut pas dire que les joueurs issus de la contrée de Benoît Poelvoorde ont historiquement marqué la D1 belge de leur empreinte. Unique Diable Rouge namurois de l’histoire, Guy Dardenne (ex Standard et Bruges) est pourtant persuadé qu’il y a autant de bons joueurs dans sa Province qu’ailleurs, le problème serait d’après lui d’ordre géographique.

 » Les Flamands ont des clubs partout autour de chez eux alors qu’ici, si un jeune Beaurinois veut progresser, il doit parfois faire 70 kilomètres pour trouver un endroit où évoluer, le foot en devient un sport de riches ! Et puis c’est plutôt fermé : les Carolos ont des portes ouvertes à Charleroi et les Liégeois au Standard. Mais si mon fils avait été repéré par un de ces clubs, je ne suis pas sûr que je l’y aurais mis, c’est plus difficile pour les « extérieurs » de s’imposer là-bas.  »

Dans le même ordre d’idées, la province de Namur n’est pas toujours servie par sa démographie inégale.  » La zone urbaine namuroise n’est pas comparable à celle de Charleroi, Liège ou Bruxelles où il y a de gros viviers de jeunes ayant des capacités qui font qu’on peut plus vite s’occuper d’eux « , place FrédéricDelooz, responsable (namurois) de l’académie du Sporting d’Anderlecht.

 » La Province de Namur est plus rurale, ce qui donne une densité de population moins importante, une multiculturalité moins développée, moins d’infrastructures… Et puis les Namurois sont historiquement plus culturels que sportifs : seul le basket namurois possède une équipe professionnelle chez les dames.  »

Mais pour Guy Dardenne, ce problème de la sous-représentation n’est plus « l’apanage » des Namurois :  » Regardez tout simplement combien il y a de Wallons en D1 actuellement !  » L’ancien attaquant du Standard et du Club Bruges tient ainsi à souligner la difficulté de plus en plus grande pour les Belges de s’imposer en D1, notamment barrés par les clubs qui donnent plus facilement leur chance aux transferts étrangers.

 » Sans vouloir snober les autres provinces, j’ai l’impression que les Namurois pensent plus rapidement à leur vie en dehors du foot, ce qui les freine parfois à se lancer à fond dans le professionnalisme « , lance Jérôme Nellis.  » Pas mal de Namurois ont cependant déjà eu l’opportunité d’atteindre la D1, mais beaucoup d’entre eux l’ont refusée… Il est en effet parfois plus intéressant pour eux d’avoir un job, 3-4 entraînements par semaine et un deuxième salaire en jouant en D2A que d’avoir un petit contrat à Saint-Trond.  »

 » Un jour, alors que Tamines se déplaçait à Coxyde, l’entraîneur des gardiens du Club Bruges de l’époque, PhilippeVande Walle, avait proposé au gardien taminois un poste de troisième keeper au Club « , se souvient Benoît Aerts.  » Mais est-ce que je vais abandonner ma famille pour aller faire troisième gardien au bout du pays ? Non ! « , m’avait-il confié.

LA DÉTECTION EN QUESTION

Autres éléments régulièrement pointés du doigt comme étant en partie responsable de la non-réussite des Namurois : la formation et la détection.  » Comme il n’y a jamais eu de club namurois professionnel dans l’histoire du football belge, c’est difficile d’avoir une vision qui tend vers l’élitisme « , regrette Frédéric Delooz.

 » Puis, au niveau de la détection, la Province de Namur a toujours eu du retard : jusqu’il y a deux ans, on ne visionnait les joueurs qu’à partir des U12-U13… c’est trop tard !  » Sur ce point, Guy Dardenne n’est pas tout à fait d’accord avec le formateur anderlechtois. Il a en effet trop souvent vu des parents conduire leurs enfants sur des centaines de kilomètres pour se faire dire après 3-4 ans qu’il n’a pas le niveau.

 » Je ne suis donc pas sûr qu’il soit conseillé de quitter les (bons) clubs de village trop tôt. Être repéré à 14-15 ans est encore suffisant : si un jeune est vraiment bon, il parviendra toujours à jouer plus haut !  » En fait, la vérité se situe entre ces deux points de vue : même si un joueur a du talent ou qu’il bénéficie d’un bon encadrement, personne ne peut prévoir la suite de sa carrière.

 » Maintenant, un enfant avec un parcours local plus important a plus de chances d’avoir des manquements par rapport à ceux qui ont tout fait dans un club du top « , confie Delooz, qui prend pour exemple Antoine Bernier, débarqué au Sporting d’Anderlecht à presque 17 ans alors qu’il évoluait en Promotion à Onhaye.

 » Au niveau technique, c’est clair que j’ai senti la différence « , témoigne-t-il.  » Dans les clubs régionaux, on n’apprend pas spécialement la technique de base, il m’a donc fallu beaucoup de travail, notamment en solo, pour combler ce manque et me mettre au niveau des autres. La mentalité de chez moi fait aussi primer le côté « amusement » sur le reste, l’adaptation à la compétition et à la pression fut donc un autre travail.  »

Point positif : il semblerait qu’un travail de plus en plus intéressant soit réalisé au sein des sélections provinciales namuroises…  » Et cela se ressent au niveau des confrontations interprovinciales « , place Jérôme Nellis.  » Les Namurois sont plus performants notamment grâce à l’apport d’anciens joueurs de qualité.  »

À l’instar notamment des clubs de l’Arquet, de Tamines et de Fosses, Ciney a ainsi lancé récemment l’option foot-élite dans une école secondaire en plaçant Jérôme Colinet à sa tête.  » Notre objectif ? Si quelques-uns de ces jeunes pouvaient pointer le bout de leur nez en équipe première à Ciney, ce serait déjà parfait. Et pour les plus jeunes, l’idéal serait qu’ils se fassent repérer par d’autres écuries.  »

SORTIR DU VENTRE MOU

Au niveau des espoirs, rares sont les personnes qui se font des illusions sur la probabilité de voir un club namurois atteindre le top du foot belge dans les prochaines années.  » Objectivement, je pense que jouer le haut de la D2A serait déjà superbe « , entame Jérôme Nellis.

 » Mais certains dirigeants préfèrent désormais que leur club évolue en P1 où il disputera beaucoup de derbys plutôt que d’affronter des équipes luxembourgeoises ou liégeoises qui n’attireront aucun spectateur local « , enchérit Benoît Aerts.

Malgré ces ambitions plutôt mesurées et parfois freinées par l’état d’esprit de certains acteurs du foot provincial, Namur a des raisons de croire en un avenir meilleur car des solutions existent. Au niveau des infrastructures, déjà.  » Les clubs ont commencé à comprendre qu’avoir un meilleur cadre d’entraînement amenait de meilleures performances « , pense Jérôme Nellis.  » Les installations de Tamines, Aische et Meux ont clairement joué un rôle dans la récente ascension de ces clubs.  »

Dans le même ordre d’idées, les terrains synthétiques commencent à germer dans la Province… avec cependant un peu de retard :  » Dans certaines provinces, les clubs passent déjà aux technologies suivantes « , narre Frédéric Delooz.  » Et puis ils n’ont pas toujours été installés avec justesse : comment expliquer que des clubs de P3 en possèdent un… et pas Tamines, qui évolue en D2A ? !  »

Mais le formateur tient à rester positif et constructif avec sa région d’origine, en laquelle il croit.  » Mais pour ça, il faut faire confiance aux jeunes en n’hésitant pas à les surclasser très tôt pour qu’ils se frottent rapidement au jeu des adultes, par exemple. Si des clubs comme Anderlecht et le Standard offrent chaque année leur chance à 2-3 jeunes et qu’au moins un de ceux-ci parvient à s’inscrire dans une certaine durée, des clubs comme Ciney ou Namur peuvent également le faire !  »

En ce sens, l’ACFF et le Comité Provincial ont un rôle primordial à jouer en s’adaptant au football moderne et en transférant les compétences nécessaires pour que les détections soient plus efficaces.  » Je comprends tout à fait que conduire son enfant à des centaines de kilomètres n’est pas évident, pas plus que d’accepter qu’il s’en aille dans une famille d’accueil à 13-14 ans  » conclut Frédéric Delooz.

 » C’est donc pour ça qu’il faut mettre l’accent sur la formation et l’augmentation de la qualité des joueurs entre 8 et 12 ans. Ça ne sera que bénéfique pour tout le monde.  » Et Namur sortira peut-être de ce ventre mou du football belge…

PAR ÉMILIEN HOFMAN – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il n’y a jamais eu de volonté de la ville de Namur de mettre un club en D1 comme à Mouscron.  » – BENOÎT AERTS, ANCIEN JOURNALISTE SPORTIF

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