LA POUDRIÈRE de Skopje

Cedomir Janevski a donné de nouvelles couleurs au football de son pays natal, adversaire des Diables Rouges : les Lions Rouges ont un ballon dans le coeur.

La capitale de la Macédoine a inscrit une date en lettres et chiffres de sang dans sa mémoire : le 26 juillet 1963. Ce jour-là, il y a 50 ans, à 5 h 17, un terrible tremblement de terre réduit 80 % de la ville à l’état de ruines, de gravats et de poussière. Toute la vallée du Vardar est secouée mais c’est à Skopje que des milliers de personnes sont ensevelies, blessées ou tuées.

 » Je m’en souviens un peu « , affirme Cedo Janevski, le T1 de l’équipe nationale macédonienne.  » Mes parents m’ont raconté que nous avions passé la journée précédente à la campagne. Plus récente que d’autres, notre maison trembla sur ses bases mais resta debout.  »

L’ancien élégant arrière du Club Bruges (un titre et une Coupe de Belgique comme joueur, une Coupe en tant que coach), de Charleroi et de Lokeren se partage entre sa ville natale, Skopje, et la Venise du Nord de son épouse, Nadine. Le double duel entre la Belgique et la Macédoine aura un goût particulier pour lui. Janevski sait mieux que personne que la catastrophe de 1963 a profondément marqué l’histoire de ce petit pays de la péninsule balkanique, tendre et farouche, lointain et proche à la fois, profondément slave et orthodoxe mais respectueux de sa minorité et de l’héritage culturel et religieux laissé par une longue présence ottomane.

Là, une église chrétienne côtoie une mosquée et les cloches ne cherchent même pas à couvrir l’appel à la prière du muezzin. Skopje a longtemps gardé les cicatrices des colères de cette terre située près de la faille entre les plaques tectoniques eurasienne et africaine. Cette ville de 700.000 habitants s’est toujours relevée après des coups durs. Et elle assume son rôle de capitale d’un pays de 2.000.000 d’habitants, indépendant depuis 1991. Les touristes y reviennent, petit à petit, s’attardent dans le vieux quartier au pied de la forteresse de Skopje, se rendent à Bitola, une magnifique petite ville près de la frontière grecque, ou sur les rives du lac d’Ohrid, une autre perle d’un pays dépourvu d’accès à la mer. Tout cela danse dans les yeux de Janevski qui nous a invité dans le restaurant de sa soeur, le National, en plein centre de Skopje.

En ville, comme les Diables Rouges le constateront, les ouvriers se multiplient, érigent des buildings, enfoncent des piliers dans le Vardar, plantent d’immenses statues un peu partout, comme celle d’Alexandre le Grand qui trône sur la Place de la Macédoine. C’est impressionnant mais des promeneurs nous signalent que  » ces grands travaux coûtent cher et ne contribuent pas à réduire la pauvreté et le chômage : des usines nous donneraient plus de travail et de pain « . S’il y a quelques doutes à propos du gros lifting architectural de la capitale macédonienne, les progrès du football de ce coin des Balkans réunissent l’avis enthousiaste de tous.  » Il reste beaucoup de chemin à parcourir mais le travail commence à payer « , avance Janevski.  » Le stade national, la Philip II Arena, a fière allure, il me semble, et la modernisation va bon train autour de cette enceinte qui sera bourrée comme contre la Croatie et la Serbie, entre autres.  »

Janevski, tellement différent de Toskack

Cette arène a accueilli une foule immense lors d’une rencontre européenne entre Rabotnicki et Liverpool. Mais c’est l’équipe nationale qui rencontre le plus de succès dans la poudrière de Skopje. Les 36.400 places seront bien garnies pour assister à la visite des Diables Rouges ce 22 mars. Et cette foule adore le jeu offensif.  » L’ambiance sera très chaude car tout le monde veut voir nos internationaux aux prises avec les vedettes belges de Premier League « , intervient Zlatko Andonovski, PR de la fédération macédonienne de football et journaliste d’une chaîne de télévision.  » Ce stade a reçu le nom de Philip II, père d’Alexandre le Grand. La fédération a fait de fameux efforts et Michel Platini inaugurera notre nouveau centre d’entraînement. L’UEFA nous a soutenus dans cet effort de modernisation de notre outil de travail. L’apport de Janevski est décisif quant aux progrès de notre équipe nationale. Après l’indépendance du pays, notre formation représentative a d’abord été confiée à Andon Doncevski qui rencontra d’ailleurs deux fois la Belgique en 1994-95 : 1-1 à Bruxelles et 0-5 à Skopje. Janevski ; qui évoluait alors à Charleroi avait pris part aux deux rencontres qualificatives pour l’Euro 96. Tout a changé depuis lors car les internationaux de cette époque-là s’étaient fait un nom via le championnat de Yougoslavie. Des gars comme Ilija Najdoski et Darko Pancev avaient remporté la CE 1 en 1993 avec l’Etoile Rouge de Belgrade contre l’Olympique de Marseille, à Bari. La donne a totalement évolué. Les différents championnats de l’ex-Yougoslavie n’ont plus le même niveau. Janevski sait tout cela et il connaît parfaitement notre mentalité. Ce n’était pas le cas de John Toshack, son prédécesseur. Le Gallois a été un grand joueur et personne ne doute de ses qualités de coach comme on l’a vu au Sporting Portugal, au Real Madrid, etc. Mais Toshack débarquait à Skopje trois jours avant un match et rentrait chez lui assez rapidement. Il ne connaissait pas la D1 de notre pays. Son football était d’abord défensif. Avec Janevski, le 12e coach national de notre histoire, c’est autre chose. On le voit partout, il est attentif et a donné un esprit à cette équipe nationale.  »

Un nouveau staff s’est organisé autour de Janevski avec Petar Milosevski (Directeur sportif), Nedjat Sabani (T2), Mane Manev (entraîneur des gardiens de but), etc. Les derniers résultats témoignent de la qualité de leur travail. La Macédoine a remporté ses trois derniers matches amicaux : 3-2 contre la Slovénie le 14 novembre 2012 à Skopje, 1-4 face à la Pologne le 14 décembre 2012 à Antalya en Turquie sans oublier le 3-0 de Macédoine-Danemark du 6 février 2013 au stade Philip II. Les Nordiques furent tout simplement balayés. Les Lions Rouges (Crveni Lavovi, surnom de l’équipe nationale macédonienne) ont inscrit 10 buts en trois prestations sans enjeu : c’est significatif quant à leur façon de voir le football. La formation de Janevski détient d’évidents arguments offensifs.

 » Avec un peu de chance, nous devrions compter quatre points de plus au classement du Groupe 4 « , avance Janevski.  » La Croatie a émergé 1-2 à Skopje alors que nous méritions largement un point, et peut-être plus à Zagreb (1-0). Nous avons dominé l’Ecosse à Glasgow mais cela ne nous a finalement remporté qu’un point. Avec huit points au lieu de quatre, les données seraient très différentes. L’objectif de départ ne résidait pas dans une qualification pour le Brésil en 2014. La Belgique et la Croatie bénéficient d’atouts autrement plus significatifs que les nôtres. L’ambition de notre équipe nationale passe par des progrès dans chaque match. Nous reconstruisons. Les Diables Rouges, c’est différent. Leur équipe est en place. Vincent Kompany, Eden Hazard, Thomas Vermaelen, Jan Vertonghen, Christian Benteke, Romelu Lukaku ou Moussa Dembele font la pluie et le beau temps en Premier League. Il n’y a pas encore de Macédoniens à ce niveau-là.  »

Pandev a tout gagné

 » Tous les internationaux belges sont titulaires dans leur club respectif. Les nôtres ne le sont pas toujours. A côté de cela, il y a des forces, bien entendu. Nikolce Novalski s’est élevé jusqu’au rôle de capitaine du FC Mayence 05 en Allemagne. Agim Ibraimi (Maribor) a été élu footballeur macédonien de l’année. Et puis il y a le phénomène Goran Pandev, 29 ans, 69 caps. Il est le meilleur ambassadeur de la Macédoine, un exemple à suivre pour tout le monde. Il a débuté dans un petit club (Belasica) avant de partir très jeune à l’étranger et de faire son trou en Italie : Inter, La Spezzia, Ancône, Lazio Rome, retour à l’Inter, Naples. Il a tout gagné là-bas dont la Ligue des Champions avec l’Inter en 2010. Quand Goran revient pour les besoins de l’équipe nationale, sa modestie et sa disponibilité sont remarquables : c’est comme cela qu’on réussit, pas autrement. Les jeunes savent ce qu’il leur reste à faire.  »

Janevski est très pointilleux et n’hésite pas à écarter ceux qui se permettent le moindre écart, ce qui n’est jamais le cas de Pandev.  » Il pose toujours beaucoup de problèmes à ses adversaires. « , affirme Milosevski, le DT de la Macédoine.  » Goran a forcément du métier à revendre. Rapide, puissant et courageux, il peut constituer une attaque à lui tout seul si c’est nécessaire. Mais il sait aussi tourner autour d’un attaquant ou surgir d’un peu plus bas. Pandev a aussi une belle force de frappe. A Zagreb, il avait été le meilleur joueur sur le terrain. Un de ses obus s’écrasa sur la latte, qui en tremble encore. Les Croates prétendent que ce fut leur rencontre la plus éprouvante jusqu’à présent.  » Janevski et Milosevski ne signalent pas tout de suite que Pandev, suspendu, ne fut pas présent contre la Serbie qui, battue 1-0 (Ibraimi sur penalty), abandonna ses ambitions de qualification à Skopje le 16 octobre 2012. Ce succès historique prouve forcément que les atouts offensifs de Janevski ne se résument pas au seul Pandev. Ils font preuve de modestie mais savent que Marc Wilmots ne s’emballe pas. Si les observateurs s’attendent à des promenades de santé, ce n’est pas le cas de Wilmots.  » Je le connais : il ne laisse rien au hasard « , lance Janevski.

En Macédoine, il est beaucoup question d’Ivan Trickovski, toujours excellent en équipe nationale.  » A mon avis, le Club Bruges n’a pas encore découvert le vrai Trickovski « , lance Sabani, le T2 de Janevski.  » Il a été blessé et cela a probablement compliqué son intégration dans son nouveau club. Le football de Georges Leekens lui convient moins que celui de Juan Carlos Garrido, plus technique. Trickovski vit de jeu au pied, d’une bonne circulation du ballon. En équipe nationale, il prend généralement le flanc gauche à son compte, décroche pour accomplir sa part de travail défensif. Il a du métier et prévoit les coups, sait déborder en zone de vérité : c’est un joueur important.  »

Janevski approuve et revient sur les grandes lignes de sa philosophie :  » C’est un fait que la plupart de nos internationaux évoluent à l’étranger « , avance-t-il.  » Nous avons fait le tour de l’Europe pour voir s’il n’y avait pas à gauche et à droite des joueurs d’origine macédonienne. Tout le monde est fier de nos progrès mais on ne peut pas en rester là. J’estime que mon rôle consiste aussi à bien surveiller ce qui se passe dans le cadre du championnat macédonien. Je suis de nombreux matches et mon staff en fait de même : aucun bon joueur en devenir ne peut nous échapper.  »

Un pays pauvre

La Macédoine se réveille petit à petit mais reste un pays pauvre des Balkans. Les salaires y sont extrêmement bas. Le commun des travailleurs doit se débrouiller avec 500 euros par mois. Les footballeurs sont un peu mieux lotis mais ce n’est pas Byzance.  » S’ils ont un fixe mensuel de 1500 euros en moyenne, jusqu’à 3.000 euros pour les vedettes, c’est pas mal « , précise Manev, le coach des gardiens de but. Quand ils sont payés à heure et à temps… Si la Philip II Arena est désormais moderne, on ne peut en dire autant des autres stades et services administratifs d’autres clubs

La gentillesse est la même partout, comme à Rabotnicki Skopje où le directeur général regrette que nous n’ayons pas le temps d’accepter son invitation.  » J’ai pourtant d’excellents tchevapcici « , dit-il avec regret. Ces rouleaux de viande hachée constituent un des mets les plus typiques de la gastronomie des Balkans et de Macédoine. Les salades y ont la cote et il faut goûter le burek, pâte fourrée à la viande ou au fromage. Le vin macédonien, le verre d’eau de vie (rakija) et la bière ne sont jamais loin. Les Macédoniens ont le sens de la fête. Des bus à impériale parcourent Skopje dans tous les sens. Cela donne un côté occidental à la capitale de ce petit pays. Les Macédoniens ont cependant des bleus au coeur. Leurs voisins grecs ne veulent toujours pas entendre parler du nom de leur pays mais de FYROM, Former Yugoslav Republic of Macedonia. Les Grecs estiment que le nom Macédoine fait partie de leur patrimoine.

Longtemps isolée, la République de Macédoine rêve d’intégrer au plus vite l’Union européenne pour dynamiser son économie. Le football peut l’aider à atteindre cet objectif. L’équipe nationale fait parler d’elle à travers toute l’Europe. Place de Macédoine au centre de Skopje, près du Vardar, qui prend la direction de la mer Egée, les promeneurs se reposent au pied de la statue d’Alexandre le Grand en regardant de la publicité projetée sur d’immenses écrans. Elle évoque les atouts d’une chaîne de télévision qui transmet les matches de la Premier League. Les compagnies de télécommunication sont présentes dans la lutte des réclames. Les fast-food ont fait leur apparition, tout comme des tavernes irlandaises. Alexandre le Grand sera cependant bien seul lors du double duel entre la Macédoine et la Belgique. Skopje croit Janevski quand il dit que  » son équipe fera tout pour gagner même si les Diables Rouges forment, et de loin, la meilleure équipe du groupe.  »

PAR PIERRE BILIC À SKOPJE

 » Goran Pandev est le meilleur ambassadeur de la Macédoine.  »

La Macédoine reste un pays pauvre : les joueurs touchent grosso modo 1.500 euros par mois.

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