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LA PEP-INIERE

À Manchester City, la rentrée des classes ne date pas de la semaine dernière. Les Citizens, qui ont réalisé un sans-faute avant le derby de Manchester, ont passé leurs vacances à l’université d’été du Profesor Guardiola.

Dans quelques instants, le Polonais Pawel Gil va donner le coup d’envoi d’une seconde période anecdotique. Le barrage retour face au Steaua Bucarest n’est qu’une formalité pour les Citizens, après leur large succès (0-5) en terres roumaines. Brassard de capitaine autour du bras, Joe Hart va s’installer dans son but, et les tribunes de l’Etihad Stadium s’éveillent et se lèvent.  » If you love Joe Hart stand up.  » Le gardien anglais sait qu’il s’apprête à disputer ses 45 dernières minutes sous le maillot de  » son  » club.

 » Je sais que Joe est une légende ici « , admet Pep Guardiola.  » Mais City n’est pas un club avec une histoire européenne et je dois faire des choix.  » Et le choix majeur du coach catalan, souvent classé dans l’absurde catégorie des  » entraîneurs offensifs « , est un changement de gardien. Car depuis l’annonce de l’arrivée de Guardiola chez les Skyblues, on parlait presque plus souvent des pieds de Joe Hart que de ses mains.

 » S’il pouvait jouer avec onze milieux de terrain, il le ferait « , explique Gaël Clichy lorsqu’il est amené à décrire son nouveau coach. Pas dix milieux de terrain : onze. Un football où même le gardien a les pieds d’un meneur de jeu. Guardiola n’a-t-il pas toujours maintenu entre les perches catalanes Victor Valdes, souvent moqué pour ses fautes de main mais capable de ridiculiser tout le noyau du Standard balle au pied dans un jeu de possession ?

Pour installer son football à Manchester, Pep demande donc un gardien à ses dirigeants. Et pas n’importe lequel. Claudio Bravo a joué deux saisons énormes entre les perches du Barça. À son arrivée en Catalogne, le légendaire Andoni Zubizarreta l’avait présenté comme un gardien  » excellent avec les pieds. Et pour moi, c’est un élément-clé.  »

Le Chilien, dont la liste des exploits sans les gants contient un coup franc marqué avec la Real Sociedad et une dernière saison barcelonaise à 84 % de passes réussies, racontait alors son rôle, qui semblait déjà avoir été écrit par Guardiola :  » Je sais que je devrai participer au jeu, pas seulement comme gardien mais aussi comme arrière central.  »

 » Avec mon équipe, on regarde si on peut construire à partir du gardien « , explique en conférence de presse un Guardiola qui préfère Willy Caballero à Hart pour commencer la saison.  » Peut-être qu’on joue avec un peu plus de risque à la construction mais si on le fait bien, on va produire du beau jeu « , explique le gardien argentin pour valider les idées de son nouveau mentor. À Manchester, l’ère Pep commence très bas sur le terrain, et avec un ballon entre les pieds.

DE BONS PIEDS À LA RELANCE

 » Le coach nous demande de faire des choses différentes, donc on commence à apprendre « , explique Jason Denayer au début de la préparation des Citizens.  » Avec Pep, tu apprends vraiment, parce qu’il explique vraiment bien les choses « , souligne Xavi dans les colonnes du Guardian.

Mais qu’apprennent vraiment les nouveaux élèves du Profesor Guardiola ? Le maître explique :  » Quand la balle passe du défenseur central à l’attaquant, elle revient aussi vite. On doit donc construire nos actions en phase initiale, avec l’aide des défenseurs ou des milieux.  »

Pour ce faire, le Catalan commence par placer de bons pieds à la relance. Privé d’un Vincent Kompany toujours convalescent, il insiste pour obtenir le transfert du jeune John Stones qui semble capable de jouer, à terme, le rôle campé par Gérard Piqué à Barcelone puis par Jérome Boateng à Munich. À ses côtés, c’est le latéral serbe Aleksandar Kolarov qui est choisi pour débuter le championnat en défense centrale, en grande partie grâce à la qualité hors-normes de son pied gauche.

Les latéraux, justement, voient leurs certitudes bouleversées. Le positionnement est radicalement différent de tout ce qu’ils ont connu auparavant.  » C’est vrai qu’on a l’habitude de voir les latéraux courir sur les flancs, mais nous allons avoir un rôle différent « , raconte Pablo Zabaleta.  » Parfois, on jouera plus à l’intérieur du jeu pour participer à la construction.  » Comme à Munich, où David Alaba était devenu une référence dans cette curiosité tactique, les latéraux des Citizens s’installent donc aux côtés de leur milieu défensif, à mi-chemin entre le flanc et le centre du terrain (dans cette zone que les analystes appellent le  » half-space « , le  » demi-espace « ).

Un schéma de relance qui permet à la fois de créer une incertitude de positionnement chez les ailiers adverses, mais surtout de masser des joueurs dans l’axe avec un double avantage : créer une supériorité numérique à la construction et être regroupé en cas de perte de balle.  » Je pense que le coach essaie que l’équipe soit aussi offensive que les années précédentes, mais tout en étant solide derrière « , analyse Gaël Clichy.  » Pour ça, il demande que les latéraux participent au jeu sans être battus en cas de perte de balle.  »

POSSESSION ET FERNANDINHO

Guardiola consacre une bonne partie de ses séances à apprendre à ses joueurs comment créer une supériorité numérique, tout en automatisant ces situations pour que ses hommes les gèrent du mieux possible.  » On a passé beaucoup de temps à jouer des deux contre un, des trois contre deux ou des quatre contre trois, en utilisant le gardien et en prenant son temps « , explique le coach des Skyblues après le match face à Sunderland.

Pour participer à cette élaboration du jeu, Pep devait encore choisir son mediocentro. Sans Sergio Busquets ou Xabi Alonso à sa disposition, Guardiola a opté pour Fernandinho, installé devant la défense. Un profil dynamique et intelligent, capable de  » jouer à dix positions « , selon son nouvel entraîneur. Capable, surtout, de récupérer le ballon et de le garder, pour répondre aux exigences de son coach. Et que veut Guardiola ?  » C’est simple. Je veux récupérer la balle le plus vite possible. Je veux le ballon pendant nonante minutes. Et si je ne l’ai pas, je presse haut parce que je veux le récupérer.  »

La sécurisation de la possession n’est évidemment pas encore au point. City est déjà l’équipe qui a le plus souvent le ballon (62,2 % de moyenne après trois journées) et qui effectue le plus de passes (587 par match) en Premier League, mais les 71 passes par match de Fernandinho sont loin de la centaine régulièrement atteinte par Busquets et Alonso.

 » On peut jouer mieux, je n’ai aucun doute là-dessus « , affirme d’ailleurs Guardiola après une prestation pourtant aboutie face à West Ham. Dès les premiers matches amicaux, le coach avait prévenu :  » Nous sommes très loin du niveau que j’attends, mais les gens n’imaginent pas à quel point c’est difficile. […] J’ai besoin de temps. Et je sais que je n’en ai pas. Les gens n’attendent pas de voir à quel point nous serons bons en janvier ou en février. Ils attendent seulement le prochain match amical.  »

L’ÂME DE STERLING

Puisque agir sur les pieds prend du temps, Pep insiste sur les coeurs. À plusieurs reprises, dans les conférences de presse qui précèdent le coup d’envoi de la Premier League, il parle de  » l’âme  » qu’il souhaite voir sur le pré.  » Peut-être qu’on ne jouera pas bien contre Sunderland, mais la passion ne se négocie pas.  »

Là, Pep Guardiola a un avantage indéniable : il donne à son club un pouvoir d’attraction hors du commun. Plus encore que le triplé réalisé sous la houlette de Jupp Heynckes, c’est son arrivée en Bavière qui a permis au Bayern Munich de s’installer à la hauteur du Barça et du Real parmi les clubs les plus attirants du Vieux Continent pour les stars.

Les joueurs de l’élite mondiale ne sont pas aveugles et ont bien remarqué que la plupart des hommes qui passaient sous les ordres du Catalan réalisaient des progrès spectaculaires, à l’image d’un Boateng devenu l’un des meilleurs défenseurs centraux de la planète. À son arrivée chez les Skyblues, le jeune talent allemand Leroy Sané reconnaît d’ailleurs que  » Pep Guardiola est l’une des raisons principales pour laquelle j’ai décidé de rejoindre Manchester City.  »

Le coach des Citizens exerce un véritable pouvoir sur la plupart de ses joueurs. Comme si le simple fait de voir Guardiola expliquer un atelier à l’entraînement rendait l’exercice bien meilleur que tout ce qu’ils ont connu auparavant.  » J’ai appris plus de choses en trois semaines avec Pep Guardiola que dans toute ma carrière « , déclarait par exemple Fabian Delph en début de saison. Le Catalan convainc ses joueurs par son discours, et semble décidé à faire de Raheem Sterling le joueur fantastique que ses capacités physiques hors-normes permettent d’imaginer.

Moqué pendant l’EURO pour ses mauvais choix à répétition et ses débordements aveugles, l’ailier anglais semble déjà avoir été métamorphosé par son nouvel entraîneur, après une première saison morose à l’Etihad Stadium. L’histoire d’un discours étonnant, raconté par Sterling à la presse anglaise :  » Le manager est arrivé, et il m’a donné beaucoup de pouvoir pour attaquer. Il m’a même dit que je ne dribblais pas assez.  » Une phrase folle, tant tout le monde semblait avoir envie de dire à Raheem qu’il dribblait trop.

PAROLE AUX JOUEURS

Mais les choses sont claires dans l’esprit de Pep : Sterling doit devenir son Douglas Costa mancunien, soit l’homme qui profite des décalages créés par la possession pour disputer – et remporter – ses un-contre-un face au latéral adverse.  » On a bien joué avec le ballon en première période « , racontait le coach après la rencontre face à Stoke.  » On s’est mis dans les bonnes conditions et on a créé des situations de un-contre-un face aux latéraux et aux centraux adverses.  »

 » Tu as le ballon d’un côté pour finir l’action de l’autre « , explique souvent Guardiola, qui insiste sur les changements d’aile bien calibrés au moment où son ailier est en situation propice.  » Si Raheem reste excentré, il recevra le ballon plus rapidement et plus souvent « , explique le coach de City.  » Et après, quand il reçoit le ballon, c’est son talent…  »

Parce qu’avec la modestie qui caractérise son discours, Pep reconnaîtra toujours que ce sont les joueurs qui ont le dernier mot. Quand son club le salue déjà comme le premier manager à avoir remporté ses cinq premiers matches sur le banc des Citizens, le Catalan préfère rappeler une évidence :  » Les entraîneurs qui gagnent beaucoup de titres le font parce qu’ils ont de bons joueurs.  »

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » J’ai appris plus de choses en trois semaines avec Pep Guardiola que dans toute ma carrière.  » – FABIAN DELPH

Après trois journées, Manchester City est déjà l’équipe qui a le plus souvent le ballon (62,2 % de moyenne) et qui effectue le plus de passes (587 par match) en Premier League.

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