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La nourriture était bonne

Sur le plan footballistique, Gand a quitté Bordeaux et l’Europe avec un goût amer. La qualité du vin et de la nourriture n’est pas en cause. C’est plutôt sur le terrain que des carences ont été constatées.

Sur la majestueuse Place de la Bourse, au coeur de Bordeaux, quelques supporters de Gand trempent leurs pieds dans les jets d’eau pris d’assaut, durant l’après-midi, par des enfants en maillot de bain. D’autres ont investi les terrasses, certains habillés aux couleurs de leur club, dans ce centre-ville superbement rénové.

Les Gantois sont 519 à avoir effectué le déplacement. Ils n’étaient que 38 à avoir accompagné leur équipe en Pologne, lors du tour précédent, mais on est loin des 8.000 qui étaient partis à l’assaut de Wembley lors du match contre Tottenham, il y a deux ans.

Le soir, ils ont bien du mal à se faire entendre au milieu des 35.000 spectateurs bordelais qui ont profité de l’offre de billets à cinq euros (valable pour toutes les tribunes) dans ce Stade Matmut Atlantique construit en prévision de l’EURO 2016.

Ce prix promotionnel témoigne de la volonté du club français d’accueillir un maximum de spectateurs et reflète donc l’importance qu’il accorde à une qualification pour les poules de l’Europa League.

Car les temps sont durs pour les Girondins, qui ont raté leur début de championnat et qui se sont heurtés au refus de Thierry Henry de reprendre l’équipe malgré l’intérêt du groupe américain GACP qui, selon les sources, investirait 70 ou 100 millions dans le club.

Ce club de tradition n’est plus capable de s’en sortir seul. Du côté de Gand, on trouve cela étrange. Si la ville de Bordeaux compte 250.000 habitants (c’est la neuvième ville de France), ce qui est comparable à Gand, elle s’appuie également sur une agglomération de 800.000 habitants supplémentaires.

En outre, le quotidien local Sud-Ouest a révélé le jour du match que, parmi les 500 Français les plus riches, 80 proviennent du secteur viticole, dont 50 de la région de Bordeaux. Mais aucun d’entre eux ne souhaite apparemment investir dans un club dont le budget annuel tourne autour de 70 millions d’euros (c’est le septième budget de France), dont la moitié provient des droits TV.

L’ancien club de Raymond Goethals, Martin Lippens, Enzo Scifo, Marc Wilmots, Patrick Vervoort et Gilbert Bodart, qui doit payer quatre millions d’euros annuels de location pour le nouveau stade, a accusé la saison dernière un déficit de 15 millions d’euros.

Lorsqu’il pénètre dans la salle de presse, la veille du match, on peut déceler la tension sur le visage de l’entraîneur gantois.

Rendez-vous gastronomique

Cette évolution dans le football moderne préoccupe le président des Buffalos, Ivan De Witte, comme il l’a expliqué lors du magnifique dîner de presse offert au Grand Hôtel de Bordeaux. Cet accueil, c’est devenu la marque de fabrique du club gantois. Quoi qu’il arrive, on n’a jamais tout perdu. Si le match ne répond pas à l’attente, on aura au moins au droit à un superbe séjour gastronomique.

Lorsque De Witte est arrivé à Gand à la fin des années 80, le club alors dirigé par le président Jean Van Milders tournait avec un budget de 5 millions d’euros. Aujourd’hui, ce budget est monté à 45 millions d’euros, dont 7 millions de droits TV, surtout grâce à la participation à la Ligue des Champions il y a quatre ans.

Mais le club refuse de dépenser un euro qu’il n’a pas, et essaie, comme le KRC Genk, de ne pas dépendre d’un seul homme, comme c’est le cas des autres membres du G5 belge. Pour respecter ces principes, il faut continuellement vendre et acheter. Il y a quelques années, le club avait essayé d’autres méthodes, mais a échoué dans sa tentative d’acheter plus cher et de vendre encore plus cher.

Deux des trois principaux transferts d’il y a un an sont déjà repartis : l’attaquant Mamadou Sylla qui avait été acheté à Eupen pour 3,85 millions mais n’a pas réussi à s’imposer, a été prêté à Zulte Waregem tandis que Damien Marcq, acheté à Charleroi pour 2,5 millions d’euros, avait déjà quitté le club en janvier. La troisième acquisition, le Croate Franko Andrijasevic qui est le transfert entrant le plus cher de l’histoire de Gand avec 4 millions d’euros, semble devoir se contenter d’une place sur le banc.

L'autre Géorgien de Gand, Giorgi Kvilitaia, y va d'un vigoureux coup de tête contre Bordeaux. Sans succès.
L’autre Géorgien de Gand, Giorgi Kvilitaia, y va d’un vigoureux coup de tête contre Bordeaux. Sans succès.© BELGAIMAGE

Le revers de la médaille

C’est une leçon que les Gantois veulent retenir. Ils ne dépensent plus autant d’argent que ces deux dernières années pour acquérir des joueurs, et refusent de céder à leurs caprices salariaux en les retenant coûte que coûte s’ils peuvent gagner davantage ailleurs. C’est la raison pour laquelle le club s’est séparé, l’été dernier, de certains joueurs qui souhaitaient une revalorisation de leur contrat.

Gand ne veut pas s’engager dans la spirale de l’augmentation des salaires actuellement en vogue dans le football belge. Ses dirigeants, le manager général Michel Louwagie en tête, s’étonnent que d’autres clubs de Jupiler Pro League peuvent offrir jusqu’à deux ou trois millions d’euros brut.

C’est, selon Louwagie, la raison pour laquelle Gand a réalisé tellement de transferts entrants et sortants, durant l’été. 15 nouveaux joueurs sont arrivés, 22 autres sont partis. Sur les 30 joueurs qui figurent sur la photo d’équipe du Spécial Compétition paru trois jours avant la reprise du championnat, sept ne sont plus là.

Derrière ce chaos apparent se cache une logique économique. Certains joueurs ont laissé la place à des jeunes promesses. Gand a prêté le Japonais Yuya Kubo au FC Nuremberg, parce que le Géorgien Giorgi Chakvetadze a été promu au rang de titulaire. Lorsqu’on voit à l’oeuvre le jeune milieu de terrain, qui a fêté ses 19 ans lors du match aller contre Bordeaux, on comprend mieux pourquoi il n’y a plus de place pour Kubo.

D’autres joueurs partis ont reçu une proposition tellement attrayante de l’étranger que les Buffalos ne pouvaient pas s’aligner. C’est le cas de Thomas Foket (Reims a payé plus de trois millions), de Samuel Gigot (Gand a reçu huit millions pour lui) et de Samuel Kalu. Un grand talent, mais trop irrégulier.

Lorsque Bordeaux a offert 8,5 millions d’euros pour lui, Gand n’a pas hésité une seconde. Le revers de la médaille, c’est que Kalu était dans un grand jour lorsqu’il a affronté son ancien employeur et a grandement contribué à l’élimination des Buffalos en Europa League. Il est déjà le chouchou des supporters girondins. Au total, le mercato a rapporté 40 millions à Gand, tandis que les 15 nouveaux arrivés ont coûté, ensemble, 12 millions.

Quatre survivants à peine

Mais, bien sûr, l’équipe ne ressemble plus du tout à ce qu’elle était il y a quelques années. De celle qui a remporté le titre et a disputé une campagne mémorable en Ligue des Champions, il ne restait jeudi passé à Bordeaux que trois joueurs : Nana Asare, Thomas Foket (qui est parti à Reims entre-temps) et Brecht Dejaegere, monté au jeu après le repos. Le quatrième survivant de l’équipe championne, Renato Neto est blessé depuis un an et on se demande s’il récupérera un jour sa place en équipe Première.

Gand ne verse pas de salaire d’un million d’euros.  » – Michel Louwagie

Gand présente donc un nouveau visage, avec beaucoup de jeunes talents. La tâche d’ Yves Vanderhaeghe est donc conséquente : il doit reconstruire une toute nouvelle équipe, et surtout, la rendre performante. Lorsqu’il pénètre dans la salle de presse, la veille du match, on peut déceler la tension sur son visage.

L’ampleur de la tâche qui l’attend le lendemain est perceptible. Plus tôt dans la journée, des collègues qui lui avaient demandé quelques réactions pour le journal télévisé de VTM avaient remarqué à quel point il était tendu. Lorsqu’on lui a demandé quelles seraient les conséquences d’une éventuelle élimination sur le processus de développement de son équipe, il a répondu :  » Je m’attendais à cette question. C’est le négativisme qui entoure Gand « .

Le club s’est rabattu sur lui, en cours de saison passée. L’homme était alors libre de tout contrat après avoir été licencié par Ostende. La première exigence de Louwagie a directement fait comprendre à l’entraîneur qu’il entrait dans un autre monde que Courtrai, où il avait fait ses débuts comme coach, et Ostende.

On attendait de lui, en effet, qu’il qualifie les Buffalos pour une coupe européenne, alors que le bilan chiffré du club (6 points sur 27) était plutôt celui d’un candidat à la relégation. Mais Vanderhaeghe a retroussé ses manches et a surpris tous les observateurs. Il a sorti Gand du marasme en un minimum de temps et a bel et bien qualifié les Buffalos pour l’Europa League. Mission accomplie. Ou pas ?

Doutes et méfiance

Malgré cet exploit, les doutes gantois n’avaient pas disparu cet été. Le club s’est demandé s’il avait intérêt à poursuivre avec le même entraîneur. La direction aime les fortes personnalités sur le banc, du style de Michel Preud’homme, Francky Dury, Trond Sollied ou HeinVanhaezebrouck.

Des hommes prêts à discuter avec la direction lors des réunions hebdomadaires à propos du football, mais pas seulement. C’est une méthode de travail à laquelle Vanderhaeghe, qui n’estime pas indispensable de s’attabler chaque semaine avec ses supérieurs pour bien travailler, a dû s’habituer.

L’entraîneur des Buffalos est très bon dans certains domaines, la direction en est consciente. Elle connaît parfaitement ses points forts et ses points faibles. Vanderhaeghe est une bonne personne. Il se méfie de la presse, mais gère parfaitement son effectif et est apprécié par le vestiaire. Il est aussi capable de composer une bonne équipe.

Le problème, c’est qu’en 2018, on attend avantage d’un entraîneur dans un club de haut niveau. Il doit également faire office d’ambassadeur, et être capable de se vendre et de donner une bonne image du club vis-à-vis de l’extérieur. C’est un domaine dans lequel Vanderhaeghe doit encore progresser. S’il s’était qualifié à Bordeaux, il aurait fait un grand pas dans la bonne direction.

On le sait, il a donc échoué. Et les paroles élogieuses de l’entraîneur bordelais, qui a parlé de Gand comme d’une  » très, très belle et bonne équipe, très bien organisée et dirigée par un très bon entraîneur « , n’y changeront rien.

Avant même que la délégation ne quitte Bordeaux le lendemain, une question se posait déjà sur les réseaux sociaux : qui sera le nouvel entraîneur ? Une polémique à laquelle les dirigeants gantois ont coupé court, à l’aéroport. Le président De Witte s’est montré très clair :  » Ce n’est pas le moment de rechercher des coupables.  » Dont acte.

La nourriture était bonne
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Un sept en Europe

IvanDeWitte, le président des Buffalos, est préoccupé par la tendance actuelle qui veut que les clubs, tant belges qu’étrangers, soient repris par des investisseurs étrangers. Surtout maintenant, quatre ans après le titre, alors que son club est sur le point de rejoindre le cercle fermé des grands clubs belges et de se faire une place sur la carte européenne.

Mais, depuis l’an passé, cela coince. Une deuxième élimination européenne en deux ans ne serait pas une catastrophe sur le plan financier, a-t-il assuré avant le match à Bordeaux. Même si les cinq ou six millions que rapporterait une campagne européenne réussie seraient les bienvenus dans les caisses de la trésorerie. De fait, il accorde plus d’importance au prestige que deux campagnes européennes réussies ont conféré aux Buffalos.

À l’étranger, la confusion entre  » Gent et Genk  » disparaît progressivement, et Gand est traité avec respect.  » À un certain moment, au-delà des frontières, nous étions cotés 9 sur 10 « , affirme-t-il lors du décollage sur le petit aéroport de Wevelgem, près de Courtrai.  » Aujourd’hui, nous sommes cotés 7 sur 10. Mais il faut faire attention de ne pas redescendre à 4 ou 5 sur 10. « 

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