La formule Vercauteren

Le coach dit tout sur son équipe avant le clash Genk-Standard.

Octobre 2009. Le Genk de Hein Vanhaezebrouck se traîne : 11 points sur 30, seulement 13 buts marqués et autant de goals encaissés. C’est la crise. Octobre 2010. Le Racing à la sauce Frankie Vercauteren dégomme en D1, fait chaque semaine son festival : 26 sur 30, un average extra-terrestre de 31-8, pas une défaite. Et pourtant, l’équipe est pour ainsi dire la même qu’il y a un an. Il n’y a eu qu’un seul transfert entrant : Jelle Vossen, le gars qui transforme chaque ballon chaud en but…

Vous êtes surpris par votre début de saison supersonique ?

Frankie Vercauteren : Oui et non. Oui dans le sens où nous réussissons une série exceptionnelle grâce à l’équipe et Vossen. Non car je savais qu’il y avait du potentiel et de quoi nous étions capables et incapables. Genk n’était sans doute pas à sa place la saison dernière mais il ne faut pas rêver de l’impossible. Nous sommes actuellement dans un moment de grâce. Il y a eu des soirs où nous étions un peu moins constants mais nous ne sommes jamais passés complètement à travers. Jamais !

Cette équipe avait déjà commencé à bien progresser en deuxième partie de saison dernière.

Oui, et quand le championnat s’est terminé, les bases étaient là. Il y avait déjà quelque chose en place. Nous avons continué sur notre lancée.

Vous tournez en surrégime ?

Non. Une équipe tourne toujours selon ses qualités. Si nous gagnons quelque chose, cela voudra dire qu’il y avait vraiment beaucoup de potentiel. Mais il faut toujours tenir compte de la chance et de la forme du jour. Un adversaire a deux occasions et ne marque pas. Nous avons deux ballons de but et nous les mettons au fond. C’est du 100 % mais ça ne tombe pas du ciel, ça se force.

Genk a été champion en 1999 et en 2002, remporté la Coupe en 1998, 2000 et 2009. Que vaut l’équipe actuelle par rapport aux grosses cylindrées des époques Aimé Anthuenis ou Sef Vergoossen ?

La grande différence, c’est que nous n’avons encore rien gagné ( il rigole). S’il y a autant de talent dans l’équipe d’aujourd’hui, il manque seulement le rendement et le palmarès. Mais on retrouve doucement cet état d’esprit des années glorieuses. Sur le terrain et en dehors. Quand je venais jouer ici avec Anderlecht, l’ambiance était extraordinaire. Ça ne valait pas Sclessin mais c’était quand même impressionnant. Par contre, c’était mort quand je suis arrivé en décembre 2009. Nos matches contre le Standard et Anderlecht vont se jouer dans un stade en ébullition, comme à la grande époque du Racing.

 » Genk en tête, est-ce réaliste ? »

Porto a été LE mauvais moment du début de saison ?

Oui mais nous n’avons pas été gâtés par le tirage. Il y avait beaucoup d’équipes abordables et on nous a donné un adversaire un ou deux crans au-dessus. En plus, Porto reçoit un penalty cadeau après une demi-heure au match aller et il y a encore l’exclusion d’Eric Matoukou qui nous décapite. J’ai aussi relevé, dans mon équipe, trop de respect pour l’adversaire. Nous n’étions pas libérés et il y avait, en face, une équipe qui ne tolérait pas que Genk impose son jeu comme nous le faisons en championnat. Mentalement, nous n’étions pas tout à fait à niveau. Mais bon, est-ce que ce club pouvait se permettre de passer et de jouer six matches de haut niveau en plus ? Le noyau reste assez étroit, la qualité est là mais la quantité ne suit pas. Une compétition en plus, ça veut dire des blessés, des suspendus, de l’énergie qui se perd. Et donc moins de points en championnat.

Que vous inspire le redressement du Standard ?

Dès que ce club a transféré Mbaye Leye, Aloys Nong et Mémé Tchité, je me suis dit : -Oh oh, on va voir un autre Standard. Sans vouloir diminuer les mérites de Christian Benteke ou d’autres, il était clair que ce trio-là allait donner un boost à l’équipe. Quand tu as Steven Defour, Axel Witsel et Mehdi Carcela dans l’entrejeu, c’est déjà quelque chose. Mais dans n’importe quelle équipe, c’est la ligne d’attaque qui fait la différence. Tu peux encaisser un but : ce n’est pas grave si tes avants en marquent deux.

Octobre, c’est votre mois de vérité avec Malines, le Standard, Courtrai et Anderlecht ?

Non, pour moi, il n’y a pas de mois de vérité. La seule vérité, c’est le classement après 30 matches. Nous pouvons perdre contre le Standard, Courtrai et Anderlecht, ce ne sera pas dramatique ou décisif si nous gagnons les sept matches suivants. On verra. Actuellement, nous ne sommes peut-être pas à notre place. (Il réfléchit). Je dis bien : peut-être. Genk en tête, est-ce réaliste ? On peut se poser la question.

Et à la fin du mois, ce sera le bon moment pour prendre Anderlecht s’il ne s’est pas relevé entre-temps ?

Tout cela ne m’intéresse pas, ce sont des matches qu’il faut quand même jouer à un moment ou à un autre. Bon, c’est peut-être mieux de prendre un Anderlecht dans le doute qu’un Sporting en pleine spirale positive comme la saison dernière, parce qu’à ce moment-là, il me paraissait imbattable.

 » Jamais content ? C’est normal « 

Même après votre très bon départ, vous avez continué à réclamer des nouveaux joueurs…

(Ferme). Je continue encore maintenant…

Parce que vous n’êtes jamais content !

C’est normal. En début de saison, la direction parlait des play-offs 1. Maintenant, certaines personnes dans le club évoquent la quatrième place. Et à l’extérieur, il y en a qui parlent de la troisième. Voire du titre. Si des gens déplacent la barre vers le haut, j’ai le droit de faire la même chose, non ? Et je préfère le faire à l’avance plutôt qu’en retard. Je n’ai pas envie qu’on dise après la saison : -On aurait dû faire ceci ou cela.

Vous avez râlé fin août, quand aucun nouveau joueur n’arrivait ?

J’étais déçu. Surtout que je n’avais pas demandé grand-chose. Je voulais un back droit : je ne l’ai pas eu puisque celui qui est arrivé, Anthony Vanden Borre, ne pourra pas jouer avant janvier. Je voulais aussi un attaquant. Et un stand-in pour le flanc gauche. Pas un gars qui aurait dû être titulaire immédiatement mais un renfort en cas d’indisponibilité de Daniel Pudil ou de Kevin De Bruyne. Je leur cherchais un remplaçant en cas de coup dur. On dit d’ailleurs que le flanc gauche n’est pas la meilleure place de De Bruyne, qu’il est fait pour jouer dans l’axe. On le dit… et je ne suis pas obligé d’être d’accord.

Les arguments de la direction étaient purement financiers ?

En partie. On m’a proposé des joueurs mais je n’en voulais pas car j’estimais qu’ils ne nous apporteraient aucune plus-value.

Et Genk est un des seuls clubs qui n’a rien transféré entre le début du championnat et la fin du mois d’août !

Tout à fait, et nous avons laissé partir plusieurs joueurs : Balazs Toth, Stein Huysegems, Samuel Yeboah, Istvan Bakx, Davino Verhulst, Moussa Koita.

Vanden Borre, l’affaire du siècle

Le transfert de Vanden Borre est étonnant : il a tellement peu joué depuis son départ d’Anderlecht !

Je cherchais un back droit mais il n’avait jamais été question de lui. Le dernier jour du mercato, le manager du club m’a appelé et m’a dit que Vanden Borre avait envie de venir chez nous. J’ai cru qu’il me faisait une blague. Pour moi, c’était impensable, sportivement et financièrement. Mais à partir du moment où ça pouvait effectivement se faire, évidemment qu’il fallait foncer. Pour ce prix-là, Genk ne pourra plus jamais transférer un joueur pareil.

Vous n’êtes pas surpris qu’il ait aussi peu joué ces dernières années ?

Non. Il a beaucoup joué ! Allez… beaucoup… Il a joué, en Italie et en Angleterre. Combien de Belges peuvent en dire autant ? La saison passée, il affrontait encore Manchester United et Chelsea, hein ! Ce n’est pas toujours un déshonneur de ne pas être titulaire à l’étranger. Jelle Van Damme et Milan Jovanovic ne jouent pas beaucoup en Angleterre : il faut en conclure qu’ils sont mauvais ? Non ! Je pense plutôt qu’ils sont sur le banc parce que d’autres sont meilleurs. (Ironique). Ou peut-être que notre championnat est un peu moins fort ?

On dit que vous avez déjà le meilleur back droit du championnat : Anele !

C’est un des joueurs les plus doués de mon groupe, point à la ligne. Anele, je ne sais pas quelle est sa meilleure place. Back droit ? Back gauche ? Défenseur central ? Médian défensif ? Il peut jouer partout et je le mets là où j’en ai le plus besoin. C’est le sparadrap que je colle là où ça fait mal.

Genk, c’est un 4-4-2 chaque semaine et une composition qui ne varie pratiquement jamais.

J’aimerais bien changer certains joueurs de temps en temps… Mais les solutions de remplacement ne sont pas nombreuses.

Quand avez-vous décidé que l’équipe jouerait systématiquement en 4-4-2 ?

Déjà la saison dernière. J’ai essayé un 4-3-3 cet été en préparation mais ça ne marchait pas bien parce que je n’avais pas le profil que je réclamais pour jouer en pointe : un grand remiseur, fort de la tête. Yeboah et Huysegems avant, Elyaniv Barda et Marvin Ogunjimi maintenant : ils ont tous presque le même profil. L’un est un peu plus rapide, l’autre un rien plus mobile, mais aucun n’est à la fois costaud et très présent dans le trafic aérien et les duels.

Qu’avez-vous dit à De Bruyne pour le convaincre de rester alors que des grands clubs le voulaient ?

Je lui ai expliqué mon point de vue, mais je ne m’opposerai plus jamais à l’ambition d’un joueur qui veut aller voir ailleurs. J’ai rencontré une fois cette situation, à Anderlecht : avec Aruna Dindane et on a vu ce que ça a donné. Si on te propose 10 fois plus d’argent ailleurs pendant cinq ans, est-ce que moi, comme père ou comme entraîneur, je peux t’obliger à rester ? C’est une grosse responsabilité. Imagine que De Bruyne suive mon raisonnement, qu’il reste et qu’il se blesse gravement. Qu’est-ce qu’il n’aura pas perdu comme argent.

Et il vous a suivi…

Je lui ai surtout conseillé de ne partir que s’il avait l’opportunité de signer dans un meilleur club où on lui permettrait de poursuivre son éducation footballistique. Parce qu’il est encore dans une phase où il lui reste plein de choses à apprendre, et parce qu’il doit encore évoluer physiquement. Il risquait d’aller dans une équipe où le rythme des matches l’aurait empêché de bien travailler en semaine, alors qu’il n’est pas prêt pour faire trois matches tous les huit jours. Ou dans un club où il n’aurait pas été titulaire.

Ramadan, Yom Kippour et tolérance totale

Vossen avait marqué huit buts en trois saisons à Genk. Il suffit de partir un an au Cercle pour se métamorphoser ?

C’est parfois bien de changer d’air. Quand on est depuis longtemps dans un club, on finit par faire partie des meubles, on ne remet plus rien en question. J’ai connu cela à Anderlecht. Maintenant, attention, c’est clair que Vossen va connaître un creux. Au rythme où il tourne, il mettrait 50 buts sur la saison. Personne ne peut faire ça.

Vous avez connu beaucoup de grands buteurs : à qui vous fait penser Vossen ?

A personne de mon époque. Les buteurs que j’ai connus pouvaient se permettre de jouer aux statues ou aux campeurs dans le rectangle. Ils n’auraient plus leur place dans le football moderne. Vossen fait beaucoup d’autres choses, il travaille énormément, son volume défensif est impressionnant.

Pourquoi avez-vous choisi João Carlos comme capitaine ?

C’est celui qui a le plus de flair, de rayonnement, de personnalité. Sans beaucoup parler pour autant. Etre capitaine, ça se construit. On franchit lentement des échelons et on est rarement capitaine à 20 ans. Evidemment, il y a des exceptions. J’ai connu Defour à Malines : en Préminimes, c’était déjà un vrai capitaine ! Et quand je vais voir les matches de mon fils, je vois des gosses de 12 ou 13 ans qui ont ça en eux. Chez certains, c’est inné. Mais ça reste relativement rare.

Où situez-vous Thibaut Courtois par rapport aux meilleurs gardiens de l’histoire de Genk, comme Istvan Brockhauser ou Logan Bailly ?

Très haut. Son potentiel est énorme. Idem pour Koen Casteels. J’ai aussi Laszlo Köteles. J’estime qu’un club comme Genk doit avoir non pas deux, mais trois très bons gardiens.

Ogunjimi chez les Diables, qu’est-ce que ça vous inspire ?

Je ne suis pas surpris. Et c’est une bonne chose pour le club et pour moi. Il y a un an, De Bruyne et Vossen n’étaient pas chez les Diables. Et Thomas Buffel ne touchait plus un cuir. Aujourd’hui, j’ai 11 internationaux dans mon noyau. Sur 22 joueurs ! La saison dernière, il fallait aller voir les -17 ou les -19 pour voir des internationaux belges de Genk.

Vous n’avez pas un problème quand Barda vous demande pour ne pas jouer le week-end du Yom Kippour ?

J’étais derrière sa décision à 200 %. Suivre le ramadan pour un musulman ou ne pas jouer le week-end du Yom Kippour pour un juif, c’est un droit humain. Je ne veux plus perdre d’énergie à essayer de convaincre des joueurs de faire certaines choses contre leur gré. Chacun fait comme il le sent. J’exige simplement qu’ils aient du rendement sur le terrain. Si je vois qu’ils ne sont pas capables de jouer à leur niveau, ou si je constate qu’ils deviennent agressifs parce qu’ils ne sont pas bien physiquement ou mentalement, je me passe d’eux.

Vous êtes donc pour une tolérance totale…

Oui, même si c’est parfois ennuyeux dans la pratique. A Anderlecht, Ahmed Hassan exigeait que je le laisse aller à la mosquée le vendredi en début d’après-midi. J’avais deux solutions : lui permettre de brosser l’entraînement ou décaler la séance. J’avais choisi la deuxième. On s’entraînait le matin, ou on ne commençait qu’un peu plus tard l’après-midi. Mais personne ne s’est jamais plaint.

Vous prolongez quand ?

Nous avons déjà parlé mais pas encore évoqué les détails. En tout cas, l’envie de continuer ensemble est réciproque.

par pierre danvoye – photos: reporters/gouverneur

« Genk ne pourra plus jamais transférer un joueur comme Vanden Borre pour un prix pareil. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire