La Vuelta traverse à nouveau le Pays Basque : tant mieux car aucun autre peuple ne s’identifie autant à son équipe cycliste.
Trente-trois ans ! De 1978 à 2011, la Vuelta a España n’avait plus fait étape au Pays Basque. Pourtant, on a vu l’an dernier que le succès était au rendez-vous. Lundi et mardi prochain, la 67e édition du Tour d’Espagne passera donc à nouveau par la région la plus favorable au cyclisme de toute la péninsule Ibérique. Ceux qui ont déjà suivi une étape du Tour de France dans les Pyrénées peuvent en témoigner : les Basques adorent le vélo. Que ce soit dans l’Aubisque, le Soulor, le Pla d’Adet ou le Peyresourde, on les entend partout. Tout d’orange vêtus ou équipés d’ ikurriñas, les drapeaux rouge, vert et blanc aux couleurs de leur région, ils envahissent littéralement la région frontalière.
Javier Bodegas, journaliste espagnol et historien du cyclisme (il est notamment l’auteur du livre Historia del Ciclismo Vasco) nous a un jour confié que le cyclisme a toujours été plus populaire dans cette région d’Espagne que n’importe où ailleurs dans le pays. Moins que le football, certes, mais plus que la pelote basque.
Le berceau du cyclisme espagnol
C’est un compatriote de l’actuel président de l’UCI, Pat MacQuaid qui, à la fin du 19e siècle, a introduit le cyclisme au Pays Basque. Juan Moser, un Irlandais à moustache, y organisa en 1885 la première course cycliste espagnole. Au printemps 1904, il réunit quelques amis au Café Murga de Bilbao afin de fonder la première association basque de cyclisme, la Sociedad Ciclista Bilbaína. Aujourd’hui, le Café Murga n’existe plus mais la Sociedad Ciclista Bilbaína ou plutôt Bilboko Txirrindulari Elkartea, comme disent les Basques, est toujours bien vivante.
Le Pays Basque est donc l’incontestable berceau du cyclisme espagnol et il n’est dès lors pas étonnant que la première édition du Tour du Pays Basque (1/8/1924) ait eu lieu onze ans plus tôt que celle du Tour d’Espagne. Sponsorisés par les fabricants de vélo locaux, les meilleurs coureurs étrangers sont venus avec plaisir rouler en Euskadi, traduction officielle de Pays Basque.
Le premier héros local s’appelait Ricardo Montero. En 1927, il remporte 24 des 31 courses auxquelles il participe. Son frère cadet, Luciano, lui succède ensuite dans le c£ur des Basques. Il connaît encore un plus grand succès au niveau international et décroche notamment une médaille d’argent au championnat du monde 1935. Après la Deuxième Guerre mondiale, les Basques vibrent au rythme des exploits de Jesús Loroño, dont le principal rival est Federico Bahamontes. Pour le spectateur neutre, le palmarès de l’ Aigle de Tolède est certes plus impressionnant mais n’allez jamais dire cela dans un bar à tapas basque.
Les commerçants et les entreprises ne sont pas les seuls à soutenir financièrement les courses : dès le début, les autorités basques puisent dans les deniers publics. On n’hésite même pas à demander à la population locale de mettre la main au portefeuille. Les organisateurs de la Subida a Arrate font même du porte-à-porte. » C’est la seule façon d’avoir Jacques Anquetil et Rudy Altig « , racontent-ils. Et les Basques s’exécutent, car ils aiment voir les meilleurs coureurs à l’£uvre.
Aujourd’hui encore, bien que certains organisateurs ont du mal à nouer les deux bouts, aucune région d’Espagne n’organise autant d’épreuves que le Pays Basque. Et l’organisation y est toujours meilleure que partout ailleurs dans la péninsule Ibérique. La plupart des courses pour Espoirs et Elites sans contrat comptent pour le Trofeo Euskaldun ou le Trofeo Lehendakari. Depuis sa création en 1988, tous les vainqueurs du Trofeo Euskaldun, le plus prestigieux des deux, sont devenus professionnels.
Socios et formation des jeunes
Et ces courses sont loin d’être les seules réservées aux non-pros. Trois épreuves pour Espoirs font ainsi partie de la Copa de España, un critérium de régularité qui couvre tout le pays. Chaque semaine, il y a des courses dans toutes les catégories. Et les plus intéressantes en terme de prestige ou de tradition ont lieu dans le Pays Basque. C’est pour cela que de nombreux jeunes d’autres régions mettent le cap sur le nord de l’Espagne. Ce fut le cas de Juan Antonio Flecha qui, le vendredi après l’école, venait en bus de Castelldefels en Catalogne, près de Barcelone, pour se mesurer aux meilleurs de son âge.
Il n’est donc pas étonnant que les meilleures équipes espagnoles aient toujours été basques : Kas, le limonadier de Vitoria ; ou Reynolds, le fabricant d’aluminium de Navarre, une région frontalière .
Actuellement, l’équipe Euskaltel-Euskadi est le porte-drapeau du cyclisme basque. Elle a son siège à la Fundación Ciclista Euskadi (en Basque, Euskadiko Txirrindularitza Iraskundea), qui voit le jour à l’été 1993. L’équipe Orbea Continental et la formation pour espoirs Naturgas Energia font également partie de cette fondation dont le président et co-fondateur Miguel Madariaga dit souvent qu’elle a un côté pédagogique. Une école de cyclisme a ainsi été installée à quatre kilomètres de l’aéroport de Bilbao, dans un bâtiment qui, auparavant, accueillait des séminaires pour prêtres. Des milliers de petits cyclistes de sept à quatorze ans y ont déjà été formés gratuitement. La fondation soutient également des moins valides qui veulent faire du vélo en leur fournissant des équipements et du matériel.
Depuis le début, une partie de la formation Euskaltel-Euskadi appartient à des socios, n’importe qui pouvant devenir membre de la fondation pour 102,17 euros (adultes) ou 72,12 (-18 ans) par an. Autrement dit, les supporters font en sorte que leur équipe subsiste, ce qui est unique en cyclisme.
Ces rentrées d’argent ne constituent cependant pas la source principale de revenus d’Euskaltel-Euskadi. Comme son nom l’indique, Euskadi, les autorités basques, apportent un soutien financier important à l’équipe. Jusqu’à l’an dernier, près de la moitié du budget de fonctionnement était assuré par le gouvernement et les trois provinces basques (Viscaya, Guipúzcoa et Álava).
Les instigateurs de l’équipe ont estimé que l’argent des socios et des autorités locales devait suffire à arriver et à rester au sommet mais cette vision s’est avérée utopique. L’idéalisme a donc fait place au réalisme et, il y a quatre ans, Madariaga a trouvé en Euskaltel, une entreprise privée désireuse d’investir dans une équipe cycliste. Privée, certes, mais tout de même fortement liée aux autorités basques puisque jusqu’au lancement de la marque Viva Mobile en 2008, Euskaltel n’offrait ses services qu’aux habitants du Pays Basque et de Navarre. De plus, jusqu’à l’an dernier, le patron de l’entreprise était José Antonio Ardanza, ex-Premier ministre du gouvernement basque.
Incertitude financière
En attendant, cela fait dix-neuf ans qu’Euskadi sponsorise une équipe cycliste pro – seul Lotto fait mieux – et quinze ans que celle-ci porte le même nom, Euskaltel-Euskadi, ce qui constitue un record. Ces derniers mois, de sombres nuages se sont cependant formés dans le ciel basque.
Avant le début de la saison, le gouvernement basque a déjà fait savoir qu’il ramènerait son apport financier à 600.000 euros, soit 48 % de l’année précédente. Et en pleine saison, l’équipe a même failli perdre ce montant parce que les autorités exigeaient que le mot Euskadi apparaisse dans une couleur différente sur les maillots des coureurs. Depuis le tout début, il est écrit en vert à côté du logo de la fondation mais avec le lancement de la campagne de promotion touristique Euskadi saboréala (profitez du Pays Basque), le gouvernement voulait que le nom de l’équipe soit désormais écrit en blanc.
Plus grave : Euskaltel est resté longtemps indécis quant à savoir s’il allait ou non poursuivre son sponsoring. Ce qui est compréhensible puisque, en avril, la firme a été condamnée par la Cour suprême basque à payer un dédommagement de 222 millions d’euros à Orange (France Telecom) suite à un conflit datant de 2006. Payer 222 millions cash quand on affiche un bénéfice net de 38,4 millions d’euros en 2011, c’est énorme et il faut donc réduire les coûts. Cette incertitude a semé le doute dans l’esprit des coureurs et le leader Samuel Sánchez a déclaré au quotidien sportif Marca qu’il » aimerait bien rester » mais qu’il avait » d’autres propositions » et qu’il voulait savoir avant le début du Tour si son employeur actuel pouvait encore lui offrir des perspectives.
Les premiers signaux positifs ont été perçus avant même le départ de la Grande Boucle. Et ils sont évidemment venus du monde politique. L’actionnaire principal d’Euskaltel (67,93 %) est en effet la banque Kutxabank, issue de la collaboration de trois institutions d’épargne basques et dont on peut dire qu’elle est la banque nationale du Pays Basque. De plus, Euskaltel investit dans la région et donne du travail à ses habitants. Une raison suffisante pour pouvoir compter sur le soutien du lehendakari (Premier ministre basque) Patxi López.
Ouverture aux non Basques
Et à la fin du mois dernier, au grand soulagement de tous, le nouveau président d’Euskaltel Alberto García Erauzkin a annoncé dans une conférence de presse que » le premier janvier 2013 verrait le lancement du deuxième grand cycle de l’équipe cycliste basque. Euskaltel s’engage pour au moins trois ans à garantir un budget de 9 millions d’euros dans le but de faire partie du World Tour et de poursuivre le principe de base du projet, à savoir le soutien à la base du cyclisme et la formation. Dans son genre, Euskaltel-Euskadi est unique au monde. Nous sommes bien plus qu’une équipe cycliste, nous représentons un pays, une philosophie et des valeurs dont les Basques sont fiers. »
De beaux mots que nuance cependant Igor González de Galdeano, le directeur sportif qui, après une très belle saison 2011, a subitement disparu de la circulation mais reviendra par la grande porte pour diriger le nouveau projet. Dans les statuts précédents, il était écrit que seuls les Basques ou les coureurs ayant été formés au Pays Basque pouvaient faire partie de l’équipe Euskaltel-Euskadi. Désormais, » ce n’est plus valable que pour les leaders mais nous devons évoluer et nous adapter à la réalité et à la globalisation du sport cycliste « .
Un accord de principe a été conclu avec les leaders Samuel Sánchez et Igor Antón mais, pour mettre sur pied une équipe de 28 coureurs, il va falloir faire des transferts. Deux d’entre eux ont déjà été annoncés : Carlos Barredo et Daniel Navarro, deux non Basques qui n’ont pas été formés au Pays Basque non plus…
La nouvelle structure s’appellera Basque Cycling Pro Team. Après vingt ans, on pourrait donc ne plus entendre parler de Fundación Ciclista Euskadi, même si Garcia Erauzkin dément. » Nous devons encore déterminer le rôle exact de la fondation mais nous continuerons à collaborer avec elle. Ce projet repose sur les bases qu’ont jetées la fondation et Miguel Madriaga. Pour nous, leur expérience est indispensable. «
PAR ROEL VAN DEN BROECK
» Euskaltel-Euskadi est bien plus qu’une équipe cycliste, nous représentons un pays, une philosophie et des valeurs dont les Basques sont fiers » (Alberto García Erauzkin)
» Nous devons nous adapter à la réalité et à la globalisation du sport cycliste. » (Igor González de Galdeano)
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