
KOH-LANTA SUR MEUSE
Des clés pour mieux comprendre le pourrissement des rapports entre Yannick Ferrera et la direction du Standard.
« Je suis fier de mes joueurs. » Quand il débriefe le point pris à Bruges, Yannick Ferrera ne sait pourtant pas s’il sera toujours sur le banc du Standard pour le prochain match. Il semble y croire, comme quand il dit : » Il faut continuer à travailler là-dessus, avec cet état d’esprit. On a congé demain, rendez-vous mardi. Je suis déjà focus sur le prochain rendez-vous, dans deux semaines contre Genk. »
On sait que ce n’est pas si simple. Parce que, comme il l’affirme lui-même, » Je ne travaille pas de semaine en semaine mais au jour le jour. Toutes ces rumeurs, ce n’est pas évident, surtout pour ma famille. Mais sachez que ma motivation et ma combativité sont intactes. » Et ça s’est encore bien vu à son explosion de joie sur le but d’Edmilson, qu’on croyait être le but de la victoire. Au même moment, toute la direction tirait une tête d’enterrement. Etonnant.
En public, le coach ne veut pas trop s’épancher sur son mal-être. Il n’est pas idiot, il sait que chaque mot négatif envers le club pourrait être le dernier clou de son cercueil. En privé, il est plus bavard, il avoue à des proches qu’il sait depuis plusieurs semaines qu’il peut » tomber à tout moment « , il dit qu’il vit » une situation très compliquée, pourrie « , et aussi ceci : » Toutes les vérités finissent par se savoir un jour et tout ce que tu fais dans la vie finit par te retomber sur la gueule. »
Qu’est-ce qui coince entre l’entraîneur et ses patrons ? Que lui reproche-t-on ? Pourquoi ne le soutient-on plus ? Pourquoi ne sont-ils plus sur la même longueur d’onde depuis plusieurs mois ? Les explications sont nombreuses.
LES REPROCHES
Yannick Ferrera a récemment récupéré des joueurs qu’il avait envoyés dans le noyau A’, comme Renaud Emond et Mohamed Yattara. Il voulait travailler avec un noyau restreint et estimait qu’il n’avait plus besoin d’eux. Il a changé d’avis en constatant que le Standard n’arrivait pas à marquer dans les premiers matches. Daniel Van Buyten lui a reproché la manoeuvre, lui a fait remarquer qu’il avait été joueur et qu’il savait ce que ressentait un footballeur mis au trou puis repêché.
La direction pense qu’elle doit maintenant travailler pour recoller les morceaux, pour regonfler ces joueurs, alors qu’elle a autre chose à faire. Autre reproche : la titularisation de Benjamin Tetteh à Zulte Waregem, le fait de l’avoir laissé sur le terrain pendant tout le match alors qu’il avait très peu joué avant ça. Tetteh s’est occasionné une blessure musculaire dans les dernières minutes et est hors service pour plusieurs semaines. Le club pense que Yannick Ferrera a pris un gros risque. Perdant.
LES TRANSFERTS
Il y a six mois, l’entraîneur a remis une liste de profils à la direction. Mais il n’a pas été consulté sur les transferts entrants de cet été. Les patrons du Standard partent du principe que le coach est simplement de passage, qu’il doit se débrouiller avec les joueurs qu’on met à sa disposition. Il est arrivé que la direction dise à Yannick Ferrera : » On va signer X et Y dans les prochains jours, tu en penses quoi ? » Il donne alors son avis mais constate que ça n’a aucune incidence sur la décision finale. Il peut comprendre le raisonnement des dirigeants, il sait qu’un coach est toujours en sursis, mais on sent clairement une frustration par rapport à son manque de poids dans le recrutement.
On ne lui a pas non plus demandé son avis au moment de vendre Ivan Santini à Caen. A propos du départ de Santini… Les quatre joueurs qui avaient retweeté un extrait de l’interview qu’il nous a donnée, avec le fameux passage » Le Standard veut gagner des trophées ou faire du business ? « , ont été immédiatement convoqués et sermonnés par la direction. Les patrons ont expliqué aux mutins RéginalGoreux, Adrien Trebel, Mathieu Dossevi et Jean-Luc Dompé qu’ils avaient commis une faute professionnelle. Lors de la même réunion, on les a rassurés sur la politique sportive à court terme, on leur a promis que plusieurs gros renforts allaient débarquer dans les derniers jours de ce mercato.
LA COMPOSITION DU STAFF
Quand Yannick Ferrera est arrivé de Saint-Trond il y a un an, on lui a fait plaisir en engageant deux personnes qu’il avait conseillées : l’analyste vidéo William Still, qui bossait avec lui au Stayen et l’adjoint français YannDaniélou qu’il avait côtoyé dans le staff de Michel Preud’homme en Arabie saoudite. Le Bruxellois estime qu’il n’a pas demandé la lune. C’est clair. Le contrat de Still doit tourner autour de 1.500 euros par mois. Pour le reste, il n’a pas été consulté dans le renouvellement du staff. On ne lui a par exemple pas demandé s’il souhaitait travailler avec Eric Deflandre et PhilippeVande Walle.
L’INGÉRENCE DANS LES COMPOS D’ÉQUIPE
Une ingérence de la direction, c’est une de trop. Une fois, au moins, on lui a demandé d’aligner un joueur. Avant la finale de Coupe de Belgique, Bruno Venanzi et Daniel Van Buyten ont estimé que Victor Valdès devait jouer.
L’ISOLEMENT
Yannick Ferrera reconnaît qu’il n’a (pratiquement) plus de contacts avec sa direction. Et donc, » aussi longtemps qu’on ne me dit pas que je suis menacé, je ne peux pas le savoir. » Il se dit simplement que c’est un choix du club de ne pas entretenir une relation quotidienne avec son entraîneur. Il le respecte. Il lui arrive encore de tailler une bavette avec Daniel Van Buyten à l’Académie mais il leur arrive aussi, régulièrement, de se croiser sans rien se dire. Ça peut étonner quand on se souvient qu’il y a quelques mois, ils passaient parfois de longues heures à échanger. Une des explications est l’investissement de Big Dan au niveau du centre de formation. Il a commencé à consacrer moins de temps à l’équipe Première, et donc à Yannick Ferrera, quand le Standard a enfin repris des couleurs en championnat la saison dernière (avec notamment la victoire convaincante contre Bruges) et s’est qualifié pour la finale de la Coupe. Van Buyten a alors estimé qu’il pouvait mettre son énergie dans les équipes de jeunes.
LES ALLIANCES
Difficile, donc, pour Yannick Ferrera, de savoir si ses patrons sont toujours derrière lui. Il y a peut-être une partie de la direction qui le soutient encore. Il n’en sait rien. Et il semble ne plus faire confiance à grand monde. Ce qu’il a confié à un proche est très fort et résume son état d’esprit : » Le Standard, aujourd’hui, c’est Koh-Lanta, avec des alliances secrètes. Ça discute, on ne sait pas qui tient avec qui, qui soutient qui. Je suis dans une situation où j’ai l’impression que je dois me méfier de tout le monde. Je sais évidemment que tous les gens du Standard ne sont pas derrière moi. C’est malsain à mort. Mais je suis obligé de fonctionner comme ça. »
Sur le terrain d’entraînement, des joueurs lui ont déjà confié plus d’une fois leur dégoût par rapport à ce qu’on lui fait vivre, aux rumeurs de licenciement, au manque de confiance et au silence de la direction, à sa non-implication dans le recrutement. Adrien Trebel a dit ce week-end, après le match à Bruges : » S’il y a des gens qui veulent l’entraîneur dehors, ce ne sont pas les joueurs. » Mais l’atmosphère est tellement viciée que Ferrera se demande si ses joueurs, quand ils parlent avec la direction, ne tiennent pas un discours complètement différent.
LA COMMUNICATION
Geert De Vlieger et Ariel Jacobs étaient invités à la télé flamande pour analyser Bruges – Standard. Après le match, ils se rejoignaient sur un point : » Le Standard doit maintenant communiquer par rapport à son entraîneur. Soit il ne convient plus et ils prennent quelqu’un d’autre, soit il reçoit publiquement leur confiance. Mais il faut que toutes ces rumeurs cessent. »
On touche là un point qui gonfle particulièrement Yannick Ferrera. La presse a tartiné pendant plusieurs jours après le match contre Charleroi, quand le coach portugais Vitor Pereira était en tribune. Il devenait, logiquement, le prochain entraîneur du Standard. Ce qui dérange Ferrera n’est pas cette présence, il dit lui-même qu’il risque aussi de se pointer prochainement dans un stade où l’entraîneur est menacé, s’il est sans boulot à ce moment-là. Il ne reproche pas non plus aux journaux d’en avoir fait de gros titres, il sait que ça fait partie du jeu. Par contre, il n’accepte pas que la direction n’ait pas communiqué » pour éteindre immédiatement l’incendie « .
Il en a parlé au service communication du club qui nous explique : » On ne peut pas faire un démenti chaque fois qu’une rumeur sort. Yannick Ferrera nous a effectivement dit qu’il aurait voulu qu’on fasse quelque chose. Mais si on fait un communiqué chaque fois qu’on cite par exemple Sergio Conceiçao chez nous, ça fera beaucoup de communiqués au bout du compte… Si on le fait pour Conceiçao et pas pour Pereira, les gens pourront penser qu’il n’y a rien avec l’un mais qu’il y a peut-être quelque chose avec l’autre. Et puis, communiquer publiquement que la direction est toujours à fond derrière son entraîneur, on sait très bien ce que ça veut dire. Bien souvent, ça se termine quand même mal. » Le club a donc pris le parti de ne pas s’exprimer, de laisser courir les rumeurs.
PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE
» Toutes ces rumeurs, ce n’est pas évident, surtout pour ma famille. » YANNICK FERRERA
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