Le drôle de destin de la nouvelle sensation d’Anderlecht.

Frank Acheampong n’a que 19 ans, est devenu le buteur attitré d’Anderlecht sur les assists de Silvio Proto, il en a un peu ras-le-bol qu’on le compare à LionelMessi, son modèle est Usain Bolt ( » Dieu m’a donné le talent foot, c’était à moi de bosser pour acquérir la vitesse et je m’entraînais en escaladant une petite montagne tous les jours « )… tout cela a été dit et répété depuis le début de la saison. Et quoi encore ? La bombe KingPong, c’est un parcours étonnant, des rencontres surprenantes, un destin fabuleux, des moments-clés, des lieux improbables. Des hommes qui ont beaucoup compté dans sa jeune carrière. Voici le portrait qui décoiffe !

Elève de Nii Lamptey aux Golden Lions d’Accra

Oliver König est l’agent allemand (de la société LionShare Players Management) qui est derrière le parcours de Frank Acheampong. Il travaille avec des footballeurs africains depuis une bonne quinzaine d’années et c’est comme cela qu’il a croisé l’ex-Mauve ghanéen NiiLamptey, aujourd’hui son associé.  » Nous nous sommes rencontrés quand il arrivait en fin de carrière. Pour lui, ça n’allait plus trop… Nous sommes devenus amis, et quand il a stoppé, il s’est mis à travailler avec moi. J’ai lancé des académies au Ghana, au Togo, au Cameroun et au Sénégal. Le nom de chaque centre fait référence aux lions…

Au Ghana, dans la capitale Accra, c’est Golden Lions. Au Togo, les Lions du Golfe. Lamptey s’occupe du centre d’Accra, c’est là qu’il a entraîné Acheampong. Nous prenons des joueurs à partir de 13 ans et le but ultime est de les emmener en dehors d’Afrique. Pas nécessairement en Europe. Lamptey a joué dans plus de dix pays, c’est un avantage parce qu’il a ainsi des contacts un peu partout. Pour nos joueurs, nous visons aussi bien l’Asie ou les pays du Golfe que les championnats européens. Nous en avons déjà placé en Chine, aux Emirats, au Qatar,…  »

Très vite, Acheampong devient trop grand pour la compétition ghanéenne, où les meilleurs clubs sont de toute façon incapables de payer le prix de son transfert, près de 300.000 euros. Le duo König – Lamptey lui déniche une ouverture à Al Jazeera, aux Emirats. Lamptey a joué dans ce pays et le club est détenu par le cheik qui est également propriétaire de Manchester City.  » En Europe aussi, on aurait eu du mal à le vendre « , explique König.  » Quel club européen donne un montant pareil pour un tout jeune joueur qui n’a encore évolué qu’au Ghana ? Al Jazeera était prêt à l’acheter mais nous savons par expérience que les footballeurs qui s’engagent là-bas ont des difficultés à partir plus tard dans un grand championnat. Et si un club des Emirats a un joueur qu’il veut absolument garder, il peut mettre un prix démesuré sur sa tête, style 4 ou 5 millions d’euros, ainsi il le bloque. Nous avons donc préféré la solution thaïlandaise. Dans notre esprit et aux yeux de Frank Acheampong, cette aventure en Asie ne devait pas durer trop longtemps, ça ne devait être qu’un tremplin vers l’Europe. Et il ne faut pas sous-estimer le foot en Thaïlande. Le niveau n’est pas mauvais, les infrastructures sont performantes et il y a régulièrement 30.000 personnes dans les stades.  »

D’autres joueurs du niveau d’Acheampong en Thaïlande

Bertrand Crasson, qui entraîne les Espoirs et dirige l’académie de BEC Tero, club de Bangkok, garde quelques souvenirs de Frank Acheampong.  » Je suis arrivé quelques mois avant son départ à Anderlecht. Il n’était pas toujours titulaire mais ce n’est pas une honte ici parce qu’on ne peut mettre que trois étrangers sur le terrain, et surtout parce qu’il y a quelques très bons joueurs dans les meilleures équipes. Le championnat thaï a des Espagnols, des Coréens, un international macédonien, quelques bons Brésiliens, des Japonais performants,… J’ai deux exemples frappants qui illustrent le niveau général : l’équipe des All Stars, formée avec les meilleurs joueurs de D1, a battu Manchester United cet été et n’a perdu que 1-0 contre Chelsea – des sponsors ont rassemblé près de 10 millions d’euros pour faire venir ces deux équipes, en plus de Barcelone et de Liverpool, ce qui illustre la nouvelle puissance financière du football dans ce pays.

Les Thaïlandais sont un niveau en dessous, ils ont un côté un peu fainéant parce que la vie est belle ici, ils n’ont pas envie de se faire mal, ils ont d’ailleurs pris sept buts récemment contre le Barça. Mais dans les étrangers, il y a du lourd. Je viens d’envoyer deux Ivoiriens de mon club en Europe. Mais pas en Belgique parce qu’on ne croit apparemment pas du tout aux joueurs du championnat thaï, je pense que ça fait même rigoler. Je les avais d’abord proposés à Zulte Waregem et à Malines, je n’ai même pas reçu de réponse. Des Acheampong, il y en a quelques-uns ici. Je l’ai vu plus d’une fois faire la différence quand il montait en cours de match. C’était bien vu de la part de son coach. Quand on joue sous 35 ou 40 degrés, les organismes sont épuisés après une heure, et à ce moment-là, lancer un joueur aussi rapide que lui peut être une arme fatale.  »

Acheampong a passé moins de deux ans en Asie, à Buriram United, de février 2011 à janvier 2013. Carton plein avec un titre, deux Coupes de Thaïlande et deux Coupes de la Ligue. Il a aussi fait fureur en Ligue des Champions asiatique. Sur une coupure de presse de l’époque, on découvre un portrait élogieux. Le journaliste explique que l’équipe nationale est dans le creux mais que ce malheur est en partie compensé par le niveau de Buriram dans l’épreuve internationale et par les exploits du Ghanéen. Son équipe s’effondrera lors des matches suivants mais il vient encore de marquer des points sur la route qui le consacrera meilleur joueur étranger du championnat.

Le transfert sortant le plus cher de l’histoire du foot thaï

König souligne l’efficacité du réseau de scouting mauve avec ses ramifications dans le monde entier. Anderlecht a sauté sur la balle après l’échec des négociations entre Buriram United et le Celtic Glasgow.  » Herman Van Holsbeeck n’est pas allé voir lui-même Acheampong en Thaïlande mais il a reçu de bons échos. Anderlecht n’a pas demandé de test, l’a pris directement en prêt pour une demi-saison en janvier dernier, avec une option d’achat.  » Fixée à un million d’euros et levée en avril, ce qui a fait d’Acheampong le transfert sortant le plus cher de l’histoire du foot thaï. Sans que ça ait fait les gros titres là-bas.  » Les gens s’en foutent complètement « , lâche Crasson.  » Pour les bouddhistes, tout ce qui est purement matériel passe inaperçu. Le business, c’est un kilomètre au-dessus de leurs têtes. Ici, il n’y a pas de secret sur les salaires. Les meilleurs joueurs du championnat gagnent plus de 35.000 euros nets par mois, les amateurs de foot le savent mais ça ne fait sursauter personne.  »

Le tournoi toscan de Viareggio, c’est la référence mondiale pour les grands ados. Le record de victoires pour l’AC Milan, la Juventus et la Fiorentina. Seulement deux vainqueurs étrangers depuis le début des années 80 : les Uruguayens de la Juventud, et Anderlecht cette année. 48 clubs au départ et beaucoup de beau monde : Sampdoria, Genoa, Parme, Atalanta, Fiorentina, Inter, AC Milan, Naples, Roma, Lazio, Newcastle, Spartak Moscou, Club Bruges,… Les Mauves enlèvent le morceau en battant la Reggina, la Lazio, Torino, Sienne, et Milan en finale : 3-0 avec deux buts de Frank Acheampong.

 » C’est là que je l’ai vraiment découvert, comme homme et comme footballeur « , explique René Peeters, coach des Espoirs bruxellois.  » Je l’ai trouvé sympa et spontané, un gars qui n’a pas la grosse tête. Il m’a dit : -C’est vous le coach, vous me mettez où vous voulez, je n’ai rien à réclamer.  » Le Ghanéen commence brillamment le tournoi comme ailier gauche dans un 4-3-3, ensuite Peeters passe en 4-4-2 et l’aligne comme deuxième attaquant. Il reste très performant.  » Plus les matches passaient, plus je constatais qu’on le tenait à l’oeil et qu’on parlait de lui. Les adversaires, les scouts et les journalistes. Sa petite taille, son toucher de balle, sa technique en mouvement et son style explosif impressionnaient beaucoup de monde. Les dirigeants m’ont consulté au moment où il fallait lever l’option et le transférer définitivement. Je n’ai pas hésité, mon avis était favorable. Je me demandais seulement s’il serait capable de faire en équipe Première ce qu’il faisait avec les Espoirs.

Il prouve maintenant que c’est le cas. Il refait aujourd’hui des actions qu’il réussissait avec mon équipe. Des raids interminables dans lesquels il y a tout : un démarrage fulgurant, une grande vitesse de course, l’art de ne pas perdre la maîtrise du ballon tout en courant vite, la faculté de débloquer un match fermé par une action géniale. En finale à Viareggio, il reçoit le ballon sur le flanc droit, il démarre en trombe, il prend toute la défense de vitesse, puis boum, il met la balle dans le but. Il fait tout cela tout seul ! Tous les joueurs qui se lancent dans des actions pareilles n’ont plus nécessairement la lucidité nécessaire au moment de conclure. Chez lui, ce n’est pas un problème. C’est aussi le signe qu’il a une excellente condition physique alors qu’on pourrait en douter dans le cas d’un joueur qui arrive du championnat de Thaïlande. Moi-même, j’avais de sérieux doutes ! »

Il préfère aller dormir que réceptionner son trophée

Après Viareggio, Milan se renseigne sur Acheampong. Son manager confirme l’approche.  » Mais il n’est pas idiot, il savait qu’il avait peu de chances d’être rapidement dans le onze d’un club pareil. Il trouvait plus sage de s’affirmer d’abord dans le championnat de Belgique.  » Aujourd’hui, il savoure la confiance de John van den Brom :  » Il me dit que je peux prendre des risques dès que je suis dans le camp adverse. Même si j’ai cinq adversaires à passer.  »

Les Espoirs d’Anderlecht ont remporté un autre tournoi (U19) en fin de saison passée : à Stemwede, en Allemagne. Andreas Brehme et Alan Shearer y avaient autrefois explosé. Victoire mauve donc, et Hambourg écrabouillé 3-0 en finale. Lu sur le site de l’organisation : Zum Besten Spieler wurde die Nummer 10 des RSC Anderlecht gewählt : Frank Acheampong. On a compris : il est élu meilleur joueur du tournoi. Et il froisse un peu les officiels quand il brosse la remise des prix. Il pense à ses échéances à venir avec l’équipe du Ghana U20 et il envoie un coéquipier pour réceptionner son trophée.  » Il a dit qu’il préférait aller dormir « , se souvient René Peeters.  » J’ai pris ça comme une marque supplémentaire de son professionnalisme poussé à l’extrême.  »

L’été 2013 restera éternellement sur la feuille de route d’Acheampong. Il est le capitaine et la star des Black Satellites, l’équipe ghanéenne U20 qui participe au Mondial en Turquie – remporté par la France. Des actions de feu, des buts (4 en 7 matches), il éclabousse le tournoi. Le site FIFA.com lui consacre un portrait élogieux :  » Acheampong, la jeunesse formée au voyage (….) Peu de joueurs peuvent se targuer, à 19 ans, d’avoir un CV aussi fourni que le Ghanéen Frank Acheampong. Malgré son jeune âge, l’attaquant d’Anderlecht a déjà évolué sur trois continents différents, a disputé la Ligue des Champions asiatique et joué en sélection A.  » Dans cette interview, il lance :  » On ne sait pas vraiment à quoi ressemble le monde tant qu’on n’a pas voyagé.  » Imparable.

Décisif avec le Ghana face à la Zambie, vendredi ?

Acheampong a été appelé une première fois en équipe A du Ghana durant l’été 2012 pour un match amical en Chine – après avoir refusé poliment mais fermement la demande de naturalisation de la fédé thaïe. Tout récemment, il a de nouveau été convoqué, pour un match décisif en éliminatoires de Coupe du Monde, ce vendredi face à la Zambie. Un nul suffira aux Black Stars pour aller au Brésil. Il enchaînera peut-être par un déplacement amical au Japon, mardi prochain – certains joueurs convoqués pour le duel contre les Zambiens seront conservés, d’autres seront renvoyés dans leur club.

Mais pourquoi a-t-il dû attendre un an pour fêter son deuxième appel chez les grands ?  » Nii Lamptey connaît toutes les personnes influentes de la Fédération, et le coach national, KwesiAppiah, est un ami proche « , dit König.  » Il leur a demandé de ne pas solliciter Acheampong inutilement. La priorité était qu’il s’adapte à Anderlecht. Cela aurait été plus compliqué s’il avait enchaîné les longs déplacements. Aujourd’hui, c’est normal qu’il ait rejoint le groupe pour le match contre la Zambie. Celui qui est appelé et refuse de se déplacer pour un choc capital n’est pas un pro. Par contre, nous espérons que la Fédération ne le conservera pas pour le match au Japon. Faire une quinzaine d’heures de vol en plus n’est pas souhaitable, surtout que les premières échéances d’Anderlecht en Ligue des Champions sont pour bientôt. Je n’en ai pas parlé avec les gens du club mais je sais qu’ils sont de mon avis.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » A Viareggio, plus les matches passaient, plus on le tenait à l’oeil : les adversaires, les scouts, les journalistes.  » René Peeters, coach des Espoirs d’Anderlecht

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