Kets rouches ? Non peut-être !

Ils habitent à Jette, Schaerbeek, Saint-Gilles ou Evere mais leurs cours se transforment en  » Enfers de Sclessin  » contre Anderlecht.

Etre supporter du Standard à Bruxelles ? Faut pas être Devos ou Lemmens pour comprendre que la sauce rouge a aussi du succès dans toute la capitale, parfois même à 500 m du Stade Constant Vanden Stock. A table !

Ma première enseigne à l’université, mon second a réglé sa vie comme une montre suisse, mon troisième est jardinier, mon quatrième bosse à la maison communale de Saint-Gilles, mon cinquième est cadre dans une société multinationale française. Mon tout est une passion pour cinq amis du club des supporters des Red Champions de Bruxelles qui chanteront avec ferveur lors de leurs prochaines confrontations contre l’adversaire de toujours, Anderlecht. Que ce soit en championnat d’abord, en demi-finales de la Coupe de Belgique ensuite, ils ont l’ambition de se transformer en orpailleurs afin de trouver un bon filon d’or jaune dans les rivières anderlechtoises.

La prof d’unif :  » Anderlecht est un club hautain et suffisant  »

Fidèle parmi les fidèles des Red Champions, Nadine Descendre n’est pas aussi souple qu’ Alain Dassy à l’égard des Anderlechtois Chez elle, tout est décoré en rouge et blanc : cuisine, chambre à coucher, salle de bains, etc. L’élu de son c£ur a trouvé les mots justes afin de la séduire :  » Est-ce que je peux t’accompagner au Standard ? »

Pour elle, il n’y a pas d’alternative : le mauve est horrible. C’est ainsi et cela ne changera jamais.  » Je ne peux absolument pas sentir Anderlecht : tout oppose nos deux clubs « , avance Nadine.  » Je suis Belge et quand un de nos clubs joue en Coupe d’Europe, je le soutiens. Je ne fais qu’une exception : Anderlecht ! Je souhaite toujours la victoire de son adversaire. Anderlecht est un club hautain et suffisant qui n’a pas de supporters mais des spectateurs, c’est différent. Quand un Mauve évoque son club, il se souvient du palmarès. Nous, on parle des joueurs, des hommes, des caractères, des personnalités. La nuance est importante. Le Standard a une dimension humaine alors qu’Anderlecht est aussi chaleureux que le bilan d’une société anonyme. Même si notre tableau de chasse est plus maigre, je préfère vivre au coeur d’un club qui est une vraie et grande famille « .

Nadine Descendre n’est pas la première venue. Elle est professeur de comptabilité et d’analyse de bilan à l’ICHEC et en fera de même bientôt à l’Université de Genève. Elle a étudié tous les horaires d’avion afin de ne rater aucun match du Standard.

 » J’habite à Bruxelles et bien qu’originaire d’Auvelais, je ne pourrais plus vivre ailleurs que dans la capitale « , avoue-t-elle.  » J’avais 12 ans quand je suis tombée amoureuse du Standard. J’avais pris trois trains pour me rendre à Sclessin. Tout un stade était uni comme un seul homme derrière ses joueurs. J’ai tout de suite adoré Wilfried Van Moer. Sclessin, c’est 30.000 amis. A la limite, tout le monde connaît tout le monde. Le Standard a toujours été le club des ouvriers. Il y a un style forgé dans les années ’50 avec des joueurs allant au charbon comme les sidérurgistes ou les mineurs. Sclessin est un stade de football alors qu’Anderlecht ressemble plus au théâtre d’une grande ville européenne. Anderlecht est snob. Le Standard a toujours représenté la province. Anderlecht a des mérites mais, au centre du pays, ce club trouve plus facilement des recettes financières. Avec un budget qui n’est pas comparable à celui d’Anderlecht, le Standard a plus de mérites. Je n’espère qu’une chose pour les prochains duels entre le Standard et Anderlecht : avoir un arbitrage impartial. Je n’en dirai pas plus « .

A l’ICHEC, les étudiants connaissent sa passion pour le Standard. Au tableau, un chahuteur avait inscrit un jour : – Vive Anderlecht, anti-Standard « . Elle a soigneusement effacé quelques mots pour ne laisser que Standard. L’assemblée apprécia et attend avec impatience les prochains duels entre les deux ennemis héréditaires.

Le bijoutier :  » On leur a donné le dernier titre  »

 » Nous n’envions pas les Mauves mais, eux, nous jalousent un peu « , raconte Alain Dassy en servant les clients de son horlogerie-bijouterie au c£ur de Jette. Il y a belle lurette désormais que ce personnage haut en couleurs préside les Red Champions, fondé en 1980 à Steenokkerzeel avant de s’installer à Zaventem puis définitivement à Bruxelles.  » Nous comptons 150 membres « , dit-il.  » Vous ne pouvez pas imaginer la sympathie dont nous bénéficions dans la capitale. Anderlecht est installé à Bruxelles mais n’y compte pas le gros de ses partisans. Le c£ur des Bruxellois chavire plus pour le Brussels ou l’Union. Beaucoup nous disent même : -Rien que pour vous, les supporters, le Standard mériterait d’être champion. Quand cela arrivera, le signe indien sera vaincu et notre club collectionnera les trophées. La saison passée, le Standard a offert le titre à Anderlecht en perdant des bêtes matches ou en n’allant pas au bout de ses ambitions au Stade Constant Vanden Stock « .

Son accent fleure la gueuze et les caricoles mais cela ne l’empêche pas de dire :  » Oui, leur palmarès est nettement plus étoffé que le nôtre. Je leur tire mon chapeau. Mais il y a des choses que les Anderlechtois n’égaleront pas : ils peuvent construire ce qu’ils veulent et où ils veulent, leur stade ne sera jamais un enfer. Sclessin est unique en Belgique. Notre équipe a signé les premiers succès belges en Coupe d’Europe. Le Standard est aussi le seul club qui n’a jamais connu la déception d’une relégation en D1. Son grand problème est d’avoir souvent eu des patrons dirigeants qui étaient aussi des supporters. Roger Petit a dit un jour : – Je dirige le Standard mais je ne suis pas un supporter du Standard. Quand l’amour de son club passe avant tout, on perd sa lucidité. Anderlecht vit les choses plus froidement. C’est son point faible et sa richesse en même temps. Quand on est acquis à la cause du Standard, c’est à vie. Certains s’éloignent parfois du football mais ils ne soutiendront jamais un autre club et certainement pas Anderlecht. Par contre, le contraire peut être vrai. D’anciens fans mauves se sont par contre convertis à la religion rouche…  »

Alain Dassy sourit. Tous les membres de son club vivent la même passion que lui. Ce sont des fans qui font penser aux admirateurs d’un ancien groupe de rock psychédélique américain récemment remis à l’honneur par Classic 21, une des radios de la RTBF : Grateful Dead. Leurs nombreux inconditionnels ne vivaient qu’en fonction de leurs idoles, les suivant en masse partout, exerçant mille petits métiers entre deux concerts. Jerry Garcia était leader de ce band comme Roger Claessen est à jamais la vedette la plus mythique du Standard.  » On ne trouve pas une telle idole dans l’histoire d’Anderlecht « , avance Alain Dassy.  » J’ai découvert l’ambiance de Sclessin en 1958. C’était un cadeau de mon parrain. J’ai eu le virus tout de suite. J’adorais Marcel Paesschen, un extérieur de très haut vol. A la radio, Luc Varenne, unique en son genre, avait un penchant évident pour le Standard. J’étais conquis. J’ai adoré Erwin Kostedde, Asgeir Sigurvinsson, Théo Poel, Simon Tahamata, etc. Ce sont des icônes. Dans notre club, il y a notamment un ancien marin au long cours. Le jour des grands matches, il arrêtait son navire en pleine mer afin d’écouter le commentaire radio sur les ondes courtes. A Kigali, au Rwanda, j’ai trouvé de supporters du Standard. Anderlecht ne jouit pas de la même popularité. Mais, vous savez, malgré une rivalité souvent folklorique, il m’est arrivé de rendre service à des Mauves. Nous sommes tous des amateurs de football. Je me souviens avoir permis à des sympathisants anderlechtois de revenir à Bruxelles. Ils ne retrouvaient plus leur autocar à Sclessin après un Standard-Anderlecht « .

Le jardinier :  » Nous, on a le sens de l’accueil  »

Sébastien Imhoff est un phénomène. Ce jardinier communal de Schaerbeek a largement dépassé le cap des 1.000 matches à enjeu dans la roue du Standard.  » Je ne rate rien « , raconte-t-il.  » J’ai été partout avec le Standard. Il m’est arrivé de rentrer à Bruxelles en stop, de dormir à belle étoile dans des granges, de revenir de Louvain à pied le long de l’autoroute. J’ai le Standard dans le sang alors que je vis entouré de Mauves. L’oncle de ma femme m’est très cher. Il est Mauve de la tête au pied. Pas évident. Enfin, ça va et il n’y a jamais de dispute entre nous. Et pour compenser, les parrains de mes enfants sont des Standardmen. Je reconnais que Pär Zetterberg est un grand monsieur, un exemple mais les Anderlechtois éprouvent plus de difficultés à reconnaître nos mérites. J’ai adoré Alex Czerniatynski. C’est mon dieu, mon préféré car il mouillait son maillot. Il venait d’Anderlecht mais cela ne m’a pas posé de problèmes. Chez nous, on sait accueillir les gens. C’est inimaginable. Quand le Standard a rendu hommage à ma fidélité, j’ai pleuré dans les bras de Dominique D’Onofrio. Je ne crois pas que le coach d’Anderlecht m’aurait réconforté comme Dominique l’a fait. J’étais ému et il m’a compris. Il méritait plus d’estime. Mon gamin, Romain Christophe, est diablotin à la RUSAS. C’est un surdoué qui marque comme il respire. Avec ce club de Schaerbeek, ils ont gagné 6-9 au Standard. J’étais heureux mais un peu mal à l’aise aussi… Anderlecht est intéressé par Romain Christophe. Non, non, non : il est trop jeune et préfère rester à la RUSAS. Lui en Mauve, il ne faut ne faut pas rire avec cela « .

L’ouvrier communal :  » Ils n’ont pas de joueurs charismatiques  »

Michel Recoquillon, ouvrier communal à Saint-Gilles :  » Ma passion est née le jour de la finale de la Coupe de Belgique Standard-Anderlecht en 1965. Un but parfaitement valable de Roger Claessen avait été annulé par l’arbitre Frans Geluck. C’était une injustice flagrante. Le plus grand avant-centre de tous les temps se rua vers le juge de touche. Ce dernier a prétendu que Claessen l’avait frappé : totalement faux. Notre vedette fut exclue et Anderlecht empocha la Coupe en imposant sa loi durant les prolongations. J’en ai été malade de rage et je suis devenu supporter du Standard pour la vie. J’ai toujours adoré les joueurs ayant du talent, certes, mais aussi du caractère. C’est le cas de notre capitaine. Anderlecht a des vedettes mais pas une star comme Sergio Conceiçao. Lui, il renverse le cours d’un match, captive comme personne l’attention de tout un stade. Personne ne possède un tel charisme à Anderlecht « .

Le cadre :  » Sclessin, c’est un vrai melting pot  »

Richard Claro est né à Liège mais s’est installé à Bruxelles il y a de nombreuses années :  » Je me souviens parfaitement du premier match auquel j’ai assisté à Sclessin. C’était le 29 octobre 1961 et le Standard a pris la mesure du Lierse (4-1) et c’est Roger Claessen qui ouvrit la marque. Sclessin était encore plus un enfer que de nos jours. Les spectateurs étaient serrés comme des sardines et j’arrivais au stade près de deux heures avant le coup d’envoi pour être certain d’avoir une bonne place. A cette époque, il n’y avait pas de sono mais cela ne posait aucun problème. La furia liégeoise état redoutée. Mais nos grandes équipes, comme celles de René Hauss et de Raymond Goethals, étaient très techniques aussi avec des stratèges canalisant bien l’énergie de ceux qui mettaient le fer sur le terrain. Arie Haan, par exemple, distribuait intelligemment le jeu et Eric Gerets lui offrait son énergie. Le temps a passé et, une fois de plus, nous jouerons gros à Anderlecht. Je me souviens de succès là-bas mais aussi de défaites comme celle de 1994-1995. C’était un choc décisif. Anderlecht a rapidement perdu Filip De Wilde exclu pour carte rouge. Malgré cela, nous avons été battus 2-1 et j’en ai longtemps voulu à Robert Waseige car il avait été incapable de profiter de notre supériorité numérique et de réduire Marc Degryse au silence, lui qui signait un des meilleurs matches de sa carrière. J’espère ne plus jamais revivre cela.

Au Standard, il y a un véritable melting pot positif, amical, familial, antiraciste. Avant chaque match, je me rends à la Cosa afin de retrouver les Ultras dont je suis sympathisant. Là, tout le monde partage simplement la même passion pour le Standard : des ouvriers, des universitaires, des chômeurs, des cadres de multinationales comme moi, des médecins, des riches, des moins bien lotis : c’est unique. On ne vit cela qu’au Standard, pas à Anderlecht « .

par pierre bilic – photos : reporters/hamers

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