Jo le taxi

Avec quatre coaches en deux ans, le médian connaît tous les itinéraires de l’entrejeu Blauw en Zwart.

Vendredi passé, la Flandre profonde s’est pourléchée les babines en suivant les aventures de la nouvelle bande de Cedomir Janevski au Jan Breydel avant de retrouver Mira sur le petit écran.  » Je m’appelle Mira, cela vient de… Mirabelle « , lance la magnifique Willeke van Ammelrooy dans un film culte de Fons Rademakers, récemment décédé, datant de 1971. Mira, c’est entre autres le choc des traditions et de la modernité : exactement ce qui se passe sur la plus prestigieuse pelouse de Bruges où le Club se cherche et peste contre la malchance en vivant la fin d’un cycle de son équipe fanion. Bref, il éprouve de la peine à recoller au peloton de tête de la D1 et s’énerve dans des révolutions de palais Heureusement, Jeanvion Yulu-Matondo a su corser le pousse-café contre Saint-Trond : sa tête victorieuse en vue de l’arrivée, c’était meilleur que de la mirabelle.

 » Bruges a beaucoup souffert et aurait pu se passer de ces moments d’angoisse en fin de match « , avance le médian Jonathan Blondel qui, blessé, avait tout vu des tribunes.  » Notre équipe a eu plus d’une fois l’occasion de tuer tout suspens. Le gardien de but de Saint-Trond a vécu la soirée de sa vie mais quand on hérite d’une telle quantité de ballons chauds, on doit l’emporter sans problème et ne pas vivre, comme ce fut notre cas, dans la hantise d’une contre-attaque qui pourrait aller jusqu’au bout. La peur de gagner nous a souvent paralysés cette saison. C’est ce problème mental, et rien d’autre, qui est à la base de nos soucis. Ceux qui estiment qu’Anderlecht, Genk et le Standard disposent chacun d’un effectif plus doué que le nôtre se trompent lourdement.  »

A 22 ans à peine, Blondel a le courage de ses opinions. Il s’exprime comme il joue et va droit au but. Sur une pelouse, ce petit format ne craint pas les armoires à glaces :  » Je regrette de ne pas avoir pris part à ce match contre les Limbourgeois. Trois jours plus tôt, je me suis occasionné une petite déchirure au-dessus de la hanche gauche. Les médecins m’ont prescrit trois semaines de soins mais cela va déjà mieux. J’espère rejouer dans quinze jours tout au plus.  »

Bruges, il est vrai, a grand besoin de lui. Jonathan Blondel a entamé la saison sur les chapeaux de roue. L’heure est à la confirmation et à l’avènement pour cet espoir du football belge :  » Je suis arrivé ici en janvier 2004 après mon passage à Tottenham. C’était le meilleur choix et je n’ai pas changé d’avis même si une plus grande stabilité du staff technique aurait été utile. En un peu plus de deux ans, j’ai travaillé avec quatre entraîneurs ( Trond Sollied, Jan Ceulemans, Emilio Ferrera, Cedomir Janevski) et le groupe a pratiqué des systèmes tactiques très différents l’un de l’autre et cela demande forcément un temps d’adaptation. J’ai passé six mois sous la direction de Sollied et il avait sa façon de voir le football. Tous les mécanismes étaient parfaitement huilés. La ligne médiane de Bruges avait la forme d’un losange. Timmy Simons organisait parfaitement tout le travail de récupération défensive. Il était en quelque sorte le guide de cette équipe. C’est une richesse et j’ai profité de ses conseils. Dans cette configuration tactique, Gaëtan Englebert bossait sur la droite de notre régisseur tandis que je me postais à gauche mais toujours dans l’axe du jeu. J’étais en concurrence avec Nastja Ceh. Ces six mois me firent le plus grand bien. Je m’étais fondu aussi bien dans un club que dans un système de jeu. J’ignorais évidemment que la suite serait moins drôle. Avec Jan Ceulemans, j’ai fait du surplace.  »

 » Avec Ceulemans, c’était  » bonjour  » et cela se limitait à cela  »

L’arrivée du grand Caje avait été précédée en été 2005 par des roulements de tambours. On avait prévu une kermesse à la Bruegel mais la bière tourna au vinaigre et le jeu eut vite un goût de mauvais boudin noir. Etait-ce uniquement la faute à Jan ? Ne lui avait-on pas imposé une modification de style de jeu trop radicale ? Pourquoi Marc Degryse voulait-il jeter à la poubelle tout ce qui avait bien tourné avec Sollied ? Les joueurs n’ont-ils pas payé la note de ce changement de cap trop brutal ? Toujours est-il que Blondel y a perdu son latin en étant promené d’une place à une autre.

 » Je n’ai rien dit car j’étais déjà heureux de jouer « , certifie Jonathan.  » Mais quand un joueur de mon type se retrouve à l’arrière gauche ou dans le couloir du même côté, il y a de quoi s’interroger. Je ne suis ni un défenseur pur jus ni un ailier. Je veux bien dépanner à ces endroits mais on ne peut pas me demander d’y passer ma vie. J’étais perplexe car, de plus, on ne demandait pas grand-chose et on ne m’expliquait rien. Je n’étais pas le patron, je n’ai rien exigé et j’ai joué où l’on m’installait, que ce soit en championnat ou en Ligue des Champions. Je n’ai jamais discuté avec Ceulemans. C’était  » bonjour  » et cela se limitait à cela. Il n’y avait pas de théorie et, logiquement, cela se voyait sur le terrain. Bruges n’avait plus de ligne de conduite. Le but était de passer de notre fameux losange à un 4-4-2 plus classique. Je me suis blessé et, comme cela ne collait pas, Bruges a retrouvé la formule tactique précédente. Tout le monde se cherchait dans le brouillard.  »

Jo s’est perdu et vécut même deux mois très difficiles avant l’arrivée aux affaires brugeoises de Ferrera :  » J’étais blessé, je ne jouais pas et j’ai aussi eu des problèmes personnels. Je le reconnais : ce fut une période un peu désordonnée. Je sortais plus qu’il ne le fallait et ce n’était pas le plus indiqué dans ma situation. Mes parents m’ont beaucoup parlé. Mon père m’a raisonné et j’ai compris la gravité de la situation. Je jouais avec ma carrière. Maintenant, j’habite à Bruges, c’est plus facile. De toute façon, Mouscron n’est pas loin. La venue d’Emilio Ferrera a aussi été décisive pour moi. Je lui dois beaucoup, presque tout, même. Jusqu’à présent, c’est le meilleur coach de ma carrière. Beaucoup de joueurs estiment la même chose à Bruges. Je marche à la confiance et au dialogue. Emilio Ferrera m’a toujours expliqué ce qu’il attendait de moi. Tout était détaillé avant et après les matches. En quelques semaines, il a redressé la barre et Bruges s’est qualifié pour la Coupe d’Europe de l’UEFA.  »

Pourtant, cette formation avait à nouveau changé de costume tactique. Ferrera dessina une épure avec deux médians récupérateurs postés devant les quatre chiens de bergers de Stijn Stijnen. Avec le temps, Sven Vermant est devenu le chef d’orchestre de la ligne médiane et le GPS de Jonathan. C’était son guide, son étoile polaire, son point de repère.

 » Tout à fait exact « , approuve-t-il.  » Il m’a beaucoup aidé et je le trouvais les yeux fermés. Quand l’un montait, l’autre veillait au grain. C’était la bonne combinaison mais Bruges n’a jamais eu de chance cette saison. Je n’ai jamais vécu cela. A la fin, c’est vrai, cela a pesé dans les têtes et c’est devenu un problème mental. Quand les résultats ne suivent pas, c’est souvent le coach qui paye la note. C’est triste et j’en reviens au manque de stabilité qui constitue désormais un problème à Bruges. Si on ne retrouve pas la continuité, il sera impossible de travailler sereinement. La défenestration d’Emilio Ferrera m’a secoué car elle s’explique par la poisse.  »

Bruges est rentré dans le rang et c’est ce qui effraya probablement Michel D’Hooghe. Le président médecin n’a pas prescrit une opération mais opta pour un remède de cheval : dehors Ferrera et son staff technique, au revoir Degryse, le directeur technique. Cette éruption volcanique avait-elle puisé sa lave dans le fameux 4-4 qui sanctionna Bruges-Standard ? Emilio Ferrera serait-il toujours là si les Rouches avait mordu la poussière ?

 » Je pense que oui « , estime Jonathan.  » Ce retournement de situation a ébranlé l’équipe. Il y avait de quoi. Bruges a donné une leçon de football au Standard durant plus d’une heure. Les Liégeois étaient balayés. Ce n’était pas la première fois de la saison que Bruges dominait de la sorte un des grands de la D1. A Genk, nous avons obtenu un nul blanc à 10 contre 11 après avoir eu pas mal d’occasions. Gand a été balayé 5-0 à Bruges. A 4-1 contre le Standard, il suffisait d’assurer mais l’énormité de la performance a paralysé le groupe, plus particulièrement la défense qui a paniqué dans le trafic aérien. C’était incompréhensible car nos arrières ne manquent pas de taille. Cela s’est répété plus tard contre Anderlecht. Au total, cela fait quatre points jetés par la fenêtre. Si on avait gagné contre le Standard, le Cercle n’aurait jamais gagné le derby brugeois. C’est râlant car Bruges n’a rien à envier à personne en D1.  »

 » Je ne changerai jamais ma façon de jouer  »

Au cours de ce match au sommet, Blondel signa une intervention très controversée sur Steven Dufour. Son tackle figura à la  » une  » de tous les médias. Le Brugeois est-il devenu un molosse ?  » C’est de la folie de dire cela et j’aimerais qu’on mette un terme à une polémique qui ne me concerne pas « , lance-t-il.  » Je m’engage sur un terrain mais je ne suis pas brutal. Je veux me faire respecter, c’est tout. Si ne c’était pas le cas, on me balayerait. A ce que je sache, j’ai tacklé proprement. Je n’ai touché que le ballon. Et Steven a été tellement gravement blessé qu’il a même pu jouer quatre jours plus tard. C’est le Standard qui a fait du foin pour rien. Par contre quand Steven joue au lama contre Genk, on ne dit rien. Or, cracher vers un adversaire, c’est dégradant et bien plus grave qu’un tacle dans le feu de l’action. On peut dire ce qu’on veut : je ne changerai jamais ma façon de jouer. Pour rien au monde…  »

Janevski, le successeur de Ferrera apprécie le tempérament de Jo. Mais il y a un problème : le coach est revenu à la ligne médiane en diamant avec Vermant dans le rôle d’aspirateur devant la défense. Jojo n’est pas assez athlétique pour assumer ce rôle tout seul. Il devra jouer au taxi de la Marne, apporter des munitions au front, être actif plus à gauche (où il y a déjà Ivan Leko et Koen Daerden) ou derrière les deux attaquants, un secteur occupé pour le moment par Elrio van Heerden. Tous ces joueurs sont des éléments de nature offensive.  » Tout cela est exact « , conclut Jonathan.  » Janevski place son équipe un peu plus haut sure le terrain que Ferrera. Notre problème de base reste le même : Bruges doit enchaîner les bons matches. Or, notre équipe est capable de bien jouer avant d’être méconnaissable huit jours plus tard comme ce fut le cas à Mons. Je n’ai pas peur de la concurrence. Au contraire, elle me bonifie. Je dois me battre, je le sais et je le ferai. Si je pense à l’équipe nationale en pleine phase de rajeunissement ? Non, pour le moment, je ne songe qu’à Bruges.  »

par pierre bilic – photos: reporters

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