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 » Je veux que le match soit une aventure « 

Que ce soit enLigue des Champions ou sous le maillot orange, Frenkie de Jong (21) s’est imposé au niveau international. Il ne lui manque plus qu’un méga-transfert dans un grand club européen.

Décembre 2012, il fait froid et il y a du monde autour des terrains des jeunes de Willem II. Ali Dursun est présent. Avec son épouse, Carola, il regarder jouer son fils Mike. Après le match, il jette un oeil sur les autres terrains. Au fond du complexe, les juniors C1 affrontent le Sparta.

 » Ce que j’ai vu ce jour-là n’était pas normal « , se souvient encore Dursun.  » Un gamin aux cheveux blonds portait le numéro 10. Avant même que le gardien ne dégage, je l’ai vu regarder derrière lui. Puis il a contrôlé le ballon en l’air dans sa foulée, a pivoté à la Zidane et a délivré une passe incroyable du gauche. Son équipier, Bilal Ould-Chick, est rentré dans le jeu et a marqué. Un beau but mais le mérite en revenait à ce gamin aux cheveux bonds. Il s’appelait Frenkie. Je me suis dit : Wow, jamais vu ça. Je me souviens avoir donné mes clefs de voiture à Carola et lui avoir dit : Rentre à la maison, je reste ici. Je veux voir ce gamin.  »

Je me suis demandé si ma cheville guérirait un jour.  » Frenkie de Jong

Amis pour la vie

Six ans plus tard, par une journée pluvieuse de décembre, De Jong et Dursun sont réunis à Amsterdam. Les anecdotes ne manquent pas. Comme celle de leur première rencontre et de leur amitié, toujours plus forte. Après ce fameux match de jeunes de Willem II, Dursun avait rapidement pris contact avec John et Jan, le père et le grand-père de Frenkie, qui assistaient à tous les matches de De Jong.

Le Turc de Breda, qui combinait alors son rôle d’agent de joueur avec un boulot dans l’entreprise de courrier express de son frère, leur avait fait bonne impression.  » Nous avons évolué ensemble « , dit De Jong.  » Ali est un ami de la famille, une personne en qui j’ai entière confiance. Il était là quand j’étais gamin, quand je ne pensais même pas encore à devenir professionnel, quand personne ne me connaissait. Il sait comment je raisonne et inversement. C’est une très bonne chose. Nous partageons tout.  »

Les deux hommes passent en revue une année folle mais particulière.  » Il y a eu des hauts et des bas. Pour le moment, tout est beau mais regardez cette photo « , dit Dursun en nous montrant, sur son smartphone, l’image d’une cheville gonflée avec une bosse de la taille d’une balle de tennis. Elle date du 26 février.  » Frenkie m’a envoyé ça un jour à midi. Je travaillais sur mon ordinateur et j’ai pris peur, j’ai directement filé vers Amsterdam.  »

De Jong s’était tordu la cheville un peu plus tôt, sous les yeux de Ronald Koeman, qui assistait à un entraînement de l’Ajax avant de dévoiler sa première sélection en tant qu’entraîneur de l’équipe nationale. Du coup, le rêve de De Jong d’en faire partie s’envolait. Pour la première (et la seule) fois, son visage était grave.  » Je me suis même demandé si je guérirais « , dit-il.  » Je repensais à la cheville de Marco van Basten, je n’arrivais pas à me défaire de cette idée.  »

Catastrophique contre Anderlecht

L’Ajax, qui luttait pour le titre, tentait de le remettre en selle mais sa saison était terminée. À la lecture des nombreux éloges parus à son sujet au cours des derniers mois, on a du mal à imaginer combien la famille De Jong a douté pendant des mois.  » J’aime tellement jouer au football. Quand je ne peux pas le faire, je ressens comme un vide en moi. Je veux être sur le terrain, dribbler, toucher le ballon. Je n’ai besoin de rien d’autre mais, pendant très longtemps, j’ai été privé de ce bonheur. Heureusement, au fil du temps, j’ai senti la douleur diminuer petit à petit et, à partir du début de la période de préparation, j’ai pu faire de plus en plus de choses.  »

La cheville a guéri et le joueur a refait surface. Les deux hommes n’oublieront pas de sitôt la rentrée de De Jong, à la mi-juillet, au Stade Olympique, à l’occasion d’un match amical contre Anderlecht. Et pas seulement parce que c’était le retour du jeune homme.  » J’ai été tellement mauvais ce jour-là « , dit De Jong, qui fait dans l’auto-dérision.  » Je ne me rappelle pas avoir été aussi mauvais. Et pourtant, je me réjouissais de rejouer. Mais pour faire ça ! Je n’arrivais pas à faire une bonne passe, j’étais à chaque fois mal placé, mes dribbles étaient dramatiques. Je voulais trop en faire. Avant ce match, les entraînements s’étaient très bien passés mais, pour la première fois de ma vie, j’ai compris ce que manquer de rythme voulait dire.  »

Par la suite, tout s’est bien passé et De Jong est revenu sans problème. Il a pratiquement tout joué et, à mi-saison, son compteur indique déjà plus de trente matches officiels. Son meilleur moment en 2018 ?  » Mes débuts en équipe nationale « , dit-il. Avec cinq mois de retard sur la date prévue, il est entré au jeu à l’occasion du match de gala de Wesley Sneijder, début septembre face au Pérou, à l’Amsterdam Arena. Et il a fait étalage de son talent. Un rêve se réalisait, et pas seulement le sien.  » J’avais toujours voulu voir Wesley Sneijder et Frenkie sous le même maillot « , dit Dursun, ami de la famille Sneijder depuis très longtemps.  » C’est arrivé : ils ont joué côte-à-côte pendant un quart d’heure. C’était formidable.  » C’était le début d’une percée fulgurante au niveau international. De Jong a ensuite confirmé face à la France et à l’Allemagne. Désormais, le monde entier le connaît.

En action face à la France. Un bel avenir en perspective.
En action face à la France. Un bel avenir en perspective.© BELGAIMAGE

Comparé à Johan Cruijff

Frenkie de Jong parle comme il joue au football : sans retenue. L’écouter est un plaisir. L’année écoulée a été chargée. Il a percé en équipe première de l’Ajax, a été blessé pendant plusieurs mois puis est redevenu un pion incontournable de l’équipe amstellodamoise et s’est imposé en équipe nationale. Il est à présent considéré comme le joueur peut-être le plus talentueux au monde. Depuis des mois, il ne se passe pas une semaine sans qu’il fasse la une d’un grand quotidien sportif.

 » Au début, ça m’étonnait « , dit De Jong en dégustant un morceau de tarte au pomme.  » Voir ma photo en grand à la première page d’un journal espagnol, c’était chouette. Je me souviens que, comme chaque année, mon grand-père faisait du camping à la Costa Brava. Il est passé devant un kiosque et a vu son petit-fils à la une de plusieurs journaux. Il était si fier, j’étais content pour lui. C’est quand même spécial de voir son petit-fils comme ça, non ?  »

De Jong ne lit et ne voit pas tout mais on lui rapporte beaucoup de choses. Voici peu, on l’a comparé à Johan Cruijff. Son sourire en dit long.  » Allons, ça n’a aucun sens. C’est d’ailleurs la seule fois jusqu’ici où je me suis dit : Vous déconnez les gars, faites-en un peu moins. Cruijff est le plus grand de tous les footballeurs. Les comparaisons en soi n’ont déjà aucun sens mais là, encore moins. Je suis Frenkie et c’est très bien ainsi.  »

Aujourd’hui, tout le monde a un avis à son sujet. Certains abusent des superlatifs, d’autres sont sceptiques.  » Chacun a le droit de commenter, de donner son avis, même si c’est négatif, je n’ai aucun problème avec ça « , dit-il.  » La seule chose qui me dérange, ce sont les erreurs factuelles. Quand j’entends dire à la télévision que je ne sais pas défendre ou que je ne suis pas rapide, c’est faux. Aux tests de vitesse, je suis le deuxième de toute la sélection. Et en match, personne ne me dépasse. Je pense même que je récupère plus de ballons que la moyenne.  »

Perfectible sur les balles à suivre

De Jong aime analyser son jeu. Il fait preuve d’auto-critique et sait à quels niveaux il doit encore progresser.  » Je dois apprendre à mieux tirer de loin. Je m’entraîne beaucoup mais je dois le faire plus souvent et mieux en match. Je dois être plus calme dans les seize mètres adverses. J’ai une bonne vision du jeu partout ailleurs sur le terrain mais là, je peux faire mieux. Je dois également mettre plus de profondeur dans mon jeu. Mes longues passes ne sont pas mauvaises mais elles doivent être plus tranchantes. Je joue souvent court mais je dois mieux maîtriser les longs ballons.  »

La liste des points a améliorer est déjà longue. De Jong prouve ainsi que les jeunes aussi sont capables de faire leur auto-critique. Par contre, il ne trouve pas qu’il prend trop de risques dans son jeu, au contraire.  » Je ne perds pas beaucoup de ballons. Je sais qu’on dit cela de moi mais, pour moi, je ne prends pas beaucoup de risques, je joue normalement. Ça fait partie de mon jeu, j’ai toujours joué comme ça. Mieux : c’est grâce à ça que je suis devenu professionnel. Pourquoi devrais-je changer mon ADN et jouer simple ? Pour moi, ce que je fais est déjà simple. Si je m’adapte, je vais devenir un joueur banal. Il faut jouer sur ses qualités. Et une de mes qualités, c’est l’intuition.  »

Le nombre d’agents qui ont déjà appelé Frenkie… Ce n’est pas normal.  » Ali Dursun, son ami

Dursun écoute attentivement et approuve.  » Avant chaque match, j’envoie le même message à Frenkie : Joue ton jeu, mec. Fais ce que tu sais faire. Rien de plus. Il doit avant tout rester lui-même, c’est sa force.  » Il a la même vision du football que De Jong, qui ne se laisse pas influencer et a toujours eu sa façon de penser. Il n’écoutait pas les entraîneurs qui lui demandaient de ne pas prendre de risques.  » Très souvent, les entraîneurs de jeunes disent : Joue simple, ne prends pas de risque. Je disais souvent à l’entraîneur que je le comprenais mais, sur le terrain, je faisais ce que j’avais envie. Quand ça se passait bien, et c’était souvent le cas, on n’entendait plus l’entraîneur. Beaucoup de coaches de jeunes compliquent les choses et privent les joueurs de liberté. Toucher deux fois le ballon, jouer la sécurité… Je ne me laissais jamais dire des choses pareilles, je jouais le plus possible à l’instinct. Aux Pays-Bas, le placement est sacré mais, pour moi, on exagère : une passe latérale, une passe en retrait… Juste pour le plaisir de garder le ballon. J’aime le risque, j’aime jouer vers l’avant et je veux que le match soit une aventure. C’est mon style de jeu.  »

Willem II, un bon écolage

De Jong est originaire d’Arkel, un village de moins de 4000 habitants à la limite des provinces de Zuid-Holland et de Noord-Brabant. Bien que le village soit entouré de prairies, De Jong jouait beaucoup dans la rue. Quand on évoque ce souvenir, ses yeux pétillent.  » Je prenais mon pied. À huit ans, j’ai quitté ASV pour Willem II. Là, je m’entraînais beaucoup mais je jouais aussi beaucoup avec les amis. Je suis sûr que ça a joué un rôle dans ma formation. Nous n’avions pas de terrain synthétique ou d’agora mais une rue au revêtement inégal. C’étaient des obstacles supplémentaires. Les buts, c’étaient des pierres ou nos vestes. Plus tard, avec notre argent de poche, nous avons acheté de petits buts dans un magasin de jouets et nous les avons montés nous-mêmes. C’était du foot à l’état pur.  »

Après dix ans au centre de formation de Willem II, De Jong est passé à l’Ajax. Le PSV pensait l’avoir transféré mais il a opté pour Amsterdam, qui a versé 300.000 euros d’indemnité de transfert.  » Tout le mérite en revient à Marc Overmars, qui a négocié et a su nous convaincre très vite « , dit Dursun.  » Au cours des années précédentes, beaucoup de clubs étaient venus aux nouvelles, même des clubs d’autres pays. Mais j’ai toujours conseillé à Frenkie de ne pas partir trop vite à l’étranger et il était d’accord. Il voulait jouer et atteindre le plus haut niveau grâce à l’équipe nationale. On n’a donc jamais parlé de l’étranger. Il a progressé pas à pas, sans faire de folies.  »

De Jong approuve.  » Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. J’ai passé de très belles années à Willem II, où j’ai en partie été formé, en tant qu’homme et en tant que joueur. Il ne faut pas minimiser le rôle de Willem II. J’y étais numéro 10, un des meilleurs joueurs de l’équipe, je recevais beaucoup de ballons mais je devais aussi très souvent affronter des équipes plus fortes alors que j’étais le plus petit. Je n’ai vraiment grandi qu’à l’âge de 17 ans. Je devais donc être créatif, me démarquer, trouver des solutions avec le ballon. Ça se passait bien et je pouvais jouer mon jeu. Je garde de très bons souvenirs de Tilburg.  »

L’embarras du choix

Le joueur et son agent forment un duo particulier. Ils sont d’accord sur tout, parlent de l’avenir et apprécient leur collaboration passée. Ils se parlent chaque jour. Ces derniers mois, c’est souvent le même sujet qui revient : l’énorme intérêt des clubs étrangers.

Ali Dursun : C’est très simple : si un club se présente et que Frenkie n’est pas intéressé, nous coupons court. C’est très honnête, personne ne perd son temps.

Frenkie De Jong : Sincèrement, tous ces clubs, c’est un peu spécial hein. On dirait un jeu vidéo.

Dursun : Nous avons ramené la liste de dix à trois noms puis, soudain, j’ai reçu un coup de fil d’un grand club qui plaisait à Frenkie. L’aspect sportif passe avant tout. Il faut que tout fonctionne, de A à Z. Frenkie doit jouer et pas être la cinquième roue de la charrette.

De Jong : Quand des gens me téléphonent pour un transfert, je les envoie chez Ali.

Dursun : : Bien sûr, nous avons beaucoup d’offres. Le nombre d’agents qui ont déjà appelé Frenkie… Ce n’est pas normal.

De Jong : Tous me racontent de belles histoires mais je les remercie poliment et je les envoie chez Ali.

Dursun : Alors, ils essayent de semer la zizanie entre nous. Quitte à mentir. C’est triste mais c’est comme ça que ça marche.

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