Son enfance chahutée, son destin de Diable Rouge, sa carapace. L’attaquant de Genk fait son introspection.

L’histoire d’un prénom

 » Ma mère a toujours été une grande fan de Marvin Gaye : c’est à ce chanteur que je dois mon prénom. Forcément, comme j’ai baigné dans cette musique pendant toute mon enfance, j’ai appris à l’apprécier. Gaye est un des plus grands noms de l’histoire de la soul. Et carrément un des plus grands chanteurs blacks de l’histoire.  »

Un père absent

 » Mon père a quitté le Nigéria pour la Belgique à 19 ans. Pour faire ses études ici, un truc dans l’économie, je ne sais pas trop quoi. C’est comme ça qu’il a rencontré ma mère, une Flamande. Ils ont divorcé quand j’avais à peine 10 ans. Au moment même, je n’ai pas été trop traumatisé, j’étais trop jeune pour comprendre. Plus tard, je me suis rendu compte de ce que mon père nous avait fait. Il a laissé ma mère seule pour élever ses trois enfants. Je ne le lui ai jamais pardonné. Mon frère et ma s£ur sont assez coulants par rapport à ça, moi pas. Parce que cet homme n’a pas pris ses responsabilités et c’est inacceptable. Il n’a pas assumé au point de vue financier, notamment. Et il ne s’est plus intéressé à nous. Il est revenu vers moi quand je suis devenu footballeur professionnel. Trop tard ! C’est dans mon enfance et mon adolescence que j’avais besoin de lui. Il habite toujours en Belgique, dans la région d’Anvers. Nous avons des contacts mais ce n’est pas très fréquent. Je sais qu’il vient parfois me voir au stade. Il m’appelle de temps en temps. Il me laisse des messages. Je lui réponds, sans plus. Il ne doit en tout cas pas trop compter sur moi pour recevoir des tickets d’entrée. Je les donne en priorité à ma mère, à mon frère, à ma s£ur et à des amis. Je me suis toujours juré que le jour où j’aurais des enfants, je ne les abandonnerais jamais, moi. « 

Jamais un pied en Afrique

 » Je ne connais rien de ma famille nigériane. Je n’ai jamais vu mes grands-parents paternels et je ne sais même pas s’ils sont toujours en vie. Quelque part, j’aimerais bien en savoir plus mais c’est un sujet que je n’ai jamais abordé avec mon père. Peut-être qu’un jour, j’irai au Nigéria, avec mon fils. Mais ce n’est pas un manque parce que je suis né ici et je me sens à 100 % belge. « 

Nonchalance black

 » J’ai quand même des caractéristiques typiquement africaines. La nonchalance par exemple. Je suis cool, calme, je ne m’en fais pas pour rien, je m’énerve rarement. Il y a aussi une certaine nonchalance dans mon jeu, et pour ça, on peut avoir l’impression que je ne me dépense pas, même quand je bosse pour l’équipe. Au point de vue mentalité, je suis très proche de deux potes qui sont nés dans la région d’Anvers comme moi et ont du sang africain : Moussa Dembélé et Romelu Lukaku. Je m’entends aussi très bien avec Faris Haroun et Vadis Odjidja, qui ont la même philosophie de vie.  »

Les sorties

 » Quand il était à Genk, Hugo Broos m’a traité publiquement de fainéant. Il me disait que j’avais du talent mais que j’étais beaucoup trop nonchalant et que je n’y arriverais jamais si je ne me bougeais pas. Pour lui, je prenais le foot trop à la légère. C’est dur à entendre et je n’étais pas du tout d’accord. Je disais autour de moi : -Laissez-le parler, vous allez voir, ça va venir. Avec le recul, il avait raison. J’étais jeune, je me sentais hyper fort, je pensais que tout irait tout seul. Et je faisais pas mal de sorties. Quand tu arrives en équipe Première d’un club comme Genk, tu découvres un nouveau monde. J’étais pote avec Haroun, Orlando Engelaar, Logan Bailly. Je traînais beaucoup avec eux. Ils sortaient après les matches et je les suivais. Et si je ne jouais pas, je pouvais même sortir deux fois par week-end. Un des problèmes du football aujourd’hui, c’est qu’on n’encadre pas suffisamment les jeunes. On leur laisse trop de libertés et certains dérapent. L’exemple à suivre, c’est Lukaku : il est parfaitement encadré par son père et par son club.  »

Guerre civile à Malines

 » J’ai joué au Club Malinois et je suis parti parce que j’étais malade : j’avais des problèmes de thyroïde. Je me suis retrouvé au Racing Malines. Puis, je suis retourné au Club. Entre ces deux équipes, il y a une rivalité terrible, les critiques et les moqueries sur le voisin sont permanentes en ville. Mais j’étais jeune et je ne me rendais pas compte de cette guerre. Je n’ai donc pas eu de problèmes en passant d’un stade à l’autre. Quand j’ai marqué les deux buts de Genk en finale de la Coupe de Belgique contre Malines en 2009, j’ai subitement repensé aux années que j’avais passées là-bas. C’était toujours mon club, et quelque part, ça m’a fait mal de le faire perdre ce jour-là. Mais je n’ai pas cherché à masquer mes émotions sur le terrain : j’ai hurlé comme je le fais après avoir marqué la plupart de mes goals. « 

Entraînements spécifiques aux Pays-Bas

 » Quand Genk a proposé de me prêter à Waalwijk pour la saison 2007-2008, je ne me suis pas posé de questions. Je ne me suis pas demandé si j’avais le niveau du Racing, si j’y reviendrais un jour. J’ai foncé. Puis j’ai ouvert de grands yeux en arrivant là-bas : tout allait plus vite qu’ici, alors que c’était la D2. Pendant les trois premières semaines, j’ai ramé. Ensuite, j’ai trouvé mes marques, et au bout du compte, j’ai marqué 10 buts et donné une dizaine d’assists. Assez pour revenir définitivement à Genk avec le plein de confiance. Aux Pays-Bas, j’ai découvert les entraînements spécifiques pour attaquants et défenseurs. Une première pour moi. Certains jours, l’attaque travaillait soit seule, soit avec les médians. A d’autres entraînements, c’était la défense seule, ou accompagnée de l’entrejeu. C’est plus ou moins généralisé en Hollande et ça permet d’apprendre plein de trucs : le bon placement, les meilleures lignes de course, les façons de demander le ballon, la meilleure manière de plonger dans les espaces,… « 

Diable Rouge

 » Ma présélection avec le Nigéria avant la dernière Coupe du Monde m’a étonné parce que je n’avais jamais joué avec cette équipe. Je n’avais même pas encore de passeport nigérian. Et c’était bien ça, le gros problème ! Il fallait faire vite, je n’avais que quelques jours pour obtenir mon passeport, histoire d’être prêt pour partir en stage à Londres avec la sélection. Il y avait deux façons de l’avoir : faire un saut au Nigéria ou le demander à La Haye, le seul endroit d’Europe où il est possible de fabriquer un passeport nigérian. Mais la machine était en panne. La Fédération du Nigéria a alors laissé tomber. C’est bête parce que Lars Lagerbäck semblait quand même compter un peu sur moi. Nous avions discuté quelques semaines plus tôt quand il était venu visionner Joseph Akpala à Bruges. Il m’avait dit qu’il avait beaucoup d’attaquants mais que je pouvais penser au Mondial si je continuais à bien travailler. Et des scouts de la fédé me suivaient de près, ils voyaient que je pétais la forme avec Genk. J’étais fier de faire partie des plans de Lagerbäck, surtout quand je voyais le réservoir dans lequel il pouvait se servir : Yakubu Ayegbeni, Nwankwo Kanu, Peter Odemwingie, Obafemi Martins, Peter Utaka et d’autres. J’étais en concurrence avec des stars qui jouaient en Angleterre, en Espagne, en Allemagne, en Russie. Il y a quelques années, j’étais tombé sur Odemwingie dans une boîte de nuit. Il m’avait conseillé de tout faire pour jouer avec le Nigéria parce que cette équipe nationale me permettrait de jouer ensuite n’importe où dans le monde.

Marc Wilmots m’a appelé quelques jours avant les matches contre le Kazakhstan et l’Autriche. Il m’a demandé si j’avais envie de jouer pour la Belgique. Il ne semblait plus sûr de rien parce qu’on était encore en pleine affaire Mehdi Carcela. Je lui ai répondu que je rêvais des Diables. La Coupe du Monde avec le Nigéria, c’était une opportunité exceptionnelle, mais je me suis toujours senti belge. Aujourd’hui, il y a des gens qui râlent au Nigéria, qui se demandent pourquoi on n’a pas tout fait pour attirer un joueur qui a marqué trois buts lors de ses deux premiers matches avec une autre équipe nationale. J’ai reçu beaucoup d’appels de gens qui sont fâchés et qui ne comprennent pas tout. La Fédération m’en veut aussi, elle l’a fait savoir sur son site internet. Mais pour moi, c’est du passé. Je n’ai toujours pas mon passeport nigérian et je ne l’aurai jamais parce qu’il ne me servirait plus à rien. C’est le foot, c’est la vie, je suis Diable pour toujours : mon match à Astana, avec mes deux buts, est le plus beau moment de ma carrière.  »

Anelka, son idole

 » Dans les joueurs que j’ai le plus admirés quand j’étais gosse, il y a surtout deux Nigérians : Daniel Amokachi et Jay-Jay Okocha. Des footballeurs magnifiques. Mais ma grande idole, c’est Nicolas Anelka. Depuis très longtemps. Son style, sa façon de demander le ballon et de le conserver, son intelligence, tout ce qu’il fait sur un terrain : c’est superbe. Je n’ai pas changé d’avis depuis les événements en Afrique du Sud. Il a donné son avis sur le fonctionnement de l’équipe de France et il avait peut-être raison sur le fond.  »

Papy

 » Mon père ne s’est pas beaucoup occupé de moi mais mon grand-père maternel était tout pour moi. Quand j’avais quatre ou cinq ans, il m’apprenait à jouer contre un mur. Il m’emmenait partout, il m’a conduit pendant des années de Malines à Genk. J’ai très mal vécu sa mort, le dernier jour de 2007. J’étais en stage avec Waalwijk et j’ai complètement sombré. Mon coach m’a laissé un peu seul, puis il m’a secoué une bonne fois. Il m’a dit : -Relève-toi, bats-toi pour lui, fais une grande carrière pour lui rendre hommage. Ce discours m’a vraiment marqué. Depuis la mort de mon grand-père, je lève un doigt vers le ciel après avoir mis un but. Ce doigt, c’est pour lui.  »

La marche du canard

 » Je me blesse moins qu’avant pour plein de raisons. Je travaille plus et mieux aux entraînements. Je passe des heures en salle de musculation. Je me soigne mieux, je sors beaucoup moins. Je me repose. Et on a trouvé une des explications de mes nombreuses blessures. Je marchais d’une façon particulière, avec l’avant des pieds pointé vers l’extérieur. Plusieurs parties de mon corps en souffraient : les adducteurs, les ischios, le dos. Et je dormais mal. On a corrigé ça en me fabriquant des semelles spéciales. « 

Asocial

 » Dans un match à Saint-Trond, on m’a un jour lancé des bananes. Aux Pays-Bas, des supporters de La Haye m’ont fait des cris de singe. Des trucs pareils me touchent énormément mais je ne veux pas le montrer, je reste parfaitement calme. Je suis un grand sensible qui ne veut pas l’afficher. Quand j’ai très mal, quand on me tient des propos durs, quand on me démolit dans la presse, je préfère m’isoler. Je ne parle plus à personne, je me coupe du monde, je débranche mes téléphones, je n’ouvre pas la porte. Cela peut durer deux ou trois jours. Si je sortais dans ces moments-là, je risquerais de dire ou de faire des trucs que je regretterais par après. Quelque part, je suis un asocial. Je n’irai jamais vers des gens que je ne connais pas bien. Je ne fais pas le premier pas vers les supporters. A cause de tout ça, il y en a qui me trouvent arrogant alors que je ne le suis pas du tout. Je suis simplement distant. On ne peut pas demander à tous les Africains d’être chaleureux et souriants tout le temps. Une seule fois dans ma vie, j’ai frappé. Un gars qui se moquait de ma s£ur à l’école, parce qu’elle était un peu boulotte. Je lui ai explosé ses lunettes. « 

Jaden-Robert

 » J’ai appelé mon fils Jaden-Robert. Jaden, c’est un prénom que j’aime depuis très longtemps : celui du fils de Will Smith, un type que j’admire pour sa carrière d’acteur et toutes les autres choses qu’il fait dans sa vie. Robert, c’était mon grand-père.  »

Epaules tatouées

 » J’ai plein de tatouages, ils correspondent aux personnes qui comptent le plus pour moi. J’ai fait graver les initiales de ma mère, de ma s£ur, de mon frère, de mon fils, de mon meilleur pote qui joue dans le championnat de Bulgarie ( Pieter Mbemba), et de moi… Sur le haut d’un bras, j’ai aussi la date de naissance et la date de décès de mon grand-père, et deux mains qui prient en hommage à lui. Ce n’est pas fini, je repasserai encore plus d’une fois chez le tatoueur. Mais c’est toujours très réfléchi, je ne me lance pas à la légère.  »

Surnoms

 » A Genk, on m’appelle Baloo. C’est Jordan Remacle qui avait inventé ça, il me trouvait un peu balaise à l’époque, c’est vrai que j’avais pris pas mal de poids entre la fin de la saison et le début de la préparation. Dans le noyau, il y a Massa : Eric Matoukou, un monstre, un gars hyper massif. Presidente, c’est Joao Carlos : le patron du groupe, le capitaine, notre président. Thibaut Courtois, c’est Edwin, en référence à Edwin van de Sar. David Hubert est notre Stevie G parce que sa frappe nous fait penser à celle de Steven Gerrard. Quand j’appelle Jelle Vossen, je lui dis parfois Kevin Vandenbergh. Frankie Vercauteren aussi a un surnom dans le groupe, mais ça, je ne peux pas le dire, hein !  » ( Il éclate de rire).

PAR PIERRE DANVOYE

 » Mon père ne s’est plus intéressé à moi après le divorce puis est revenu quand j’étais pro : trop tard ! « 

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