» Je pense être un coach agréable « 

Fort de deux titres consécutifs, le fanatique coach du Borussia Dortmund veut continuer à rivaliser avec le Bayern.

En 2005, le Borussia Dortmund lutte contre la faillite. Toute la ville est en proie à la tristesse. La saison dernière, le Borussia s’est érigé en grande puissance du football allemand, remportant la Coupe et le titre tout en développant par moments un football terriblement séduisant, sans toutefois encore faire le poids sur la scène européenne. Cette très jeune formation a payé le prix de son inexpérience mais qu’importe, puisqu’elle illustre la philosophie du Borussia, qui offre leur chance aux jeunes pousses et leur permet de mûrir en toute sérénité. Le club accepte les erreurs, sachant qu’il faut du temps pour atteindre un certain niveau. Le Borussia est plus patient que le Bayern, de ce point de vue. Pourtant, ça ne l’empêche pas de remporter le doublé, la saison passée, tout en ayant apuré 140 millions de dettes en l’espace de sept ans – il doit encore rembourser 40 millions.

Même si le Japonais Shinji Kagawa a rejoint Manchester United, le club doit poursuivre sa croissance cette saison. Il a enrôlé un des plus grands talents du foot allemand, Marco Reus, et il compte sur Jürgen Klopp (45 ans) pour être plus performant en Coupe d’Europe tout en poursuivant son mano a mano avec le Bayern.

Quand l’entraîneur arrive dans la Ruhr en 2007, il parle de Vollgas-Fussball, de pressing et de rythme soutenu, de toutes sortes de procédés pour motiver les joueurs. Ce sont ses critères personnels de succès. Klopp entame sa cinquième saison à Dortmund et il conserve son enthousiasme communicatif. Il rayonne de joie de vivre, quasi enfantine, d’un homme qui a joué à un niveau modeste mais a atteint l’élite au poste d’entraîneur. Selon ses propres dires, sa compréhension des gens constitue son principal atout. Mais quel homme se cache derrière ces lunettes et cette casquette ? Où puise-t-il les respirations nécessaires au milieu de toute cette agitation ?

 » Ma femme me dit parfois que j’ai le sommeil agité « 

Vous êtes émotionnel. Combien de temps vous faut-il pour vous calmer après un match ?

Jürgen Klopp : Ces émotions s’estompent très vite en moi. Je les ai déjà oubliées en allant dormir, pour autant que j’en aie réellement conscience, évidemment. Je ne maîtrise pas mon inconscient. En tout cas, je dors toujours très bien. Ma femme me dit parfois que j’ai le sommeil agité mais je ne m’en rends pas compte.

Et le lendemain ? Avez-vous la tête fraîche ou continuez-vous à réfléchir ?

Je n’oserais pas dire que je me suis vidé la tête complètement. Le week-end parfait est ainsi fait : gagner le vendredi, regarder la Bundesliga le samedi et la 2e Bundesliga le dimanche.

Vous octroyez-vous des pauses, des moments sans football ?

Bien sûr.

Que faites-vous, alors ?

Rien. Lire, dormir, passer du temps en famille. Nous parlons de tout. Nous avons un chien, que nous allons promener. Je n’ai pas besoin de drogues ni d’alcool. Je n’aime pas les grandes fêtes débridées. J’occupe mes loisirs normalement, comme tout le monde – du moins, je l’espère.

Etes-vous croyant, allez-vous à l’église le dimanche ?

Je suis devenu croyant en y réfléchissant alors que c’est généralement l’inverse : quand les gens se mettent à réfléchir à certaines questions, ils ne croient plus. Je ne cherche aucune consolation dans la foi. D’ailleurs, je vis trop bien pour ça. A mes yeux, la foi nous guide dans la vie. Je n’en ai pas besoin à des moments précis. Je résous mes problèmes moi-même, sans prier Dieu d’accorder la victoire à Dortmund.

Souvent, on vous voit gesticuler comme un fou près du banc. Est-ce un manière de vous libérer de la pression ?

Je ne souffre pas vraiment de la pression, je ne ressens que celle qui s’accompagne de la rage de vaincre. J’ai toujours été ainsi fait. Même gamin, quand j’allais au stade à vélo, je pensais à la victoire.

 » Mon leadership, mes connaissances et mon engagement sont mes atouts « 

Vous avez vécu la saison passée dans la peau du champion qui veut reconduire son titre et c’est pareil cette année.

Alors là, je m’en fous. Certains disent que nous sommes quasiment invincibles. Foutaises ! On ne cesse de me demander si je veux encore être champion. La réponse est évidente ! Tout le monde le souhaite. Moi, ce qui m’intéresse, c’est comment battre le prochain adversaire. Je dois me garder de lui fournir une motivation supplémentaire en me lançant dans des bêtes remarques.

Vous avez été footballeur pro. Joueur, auriez-vous trouvé bon l’entraîneur Jürgen Klopp ?

Certainement. Je pense être un entraîneur relativement agréable. Je laisse mes gaillards en paix, je leur insuffle confiance. Je sais que je suis bon dans ce que je fais. Je réussirais dans le monde entier. Mon leadership, ma volonté, mes connaissances et mon engagement sont mes atouts.

Vous ne manquez pas d’assurance…

De fait, il y a des gens qui se sentent moins bien que moi.

D’où vous vient votre don du leadership ?

J’ai toujours été clair. A l’école, j’étais le porte-parole de ma classe. Le premier coq, en quelque sorte. C’est parce que j’étais bon en sport. Je me suis donc retrouvé à l’avant-plan. Je me permets de souligner que je n’étais pas un idiot ni un gamin de merde. Donc, prendre les commandes ne me posait aucun problème. Pourtant, il ne faudrait pas croire que j’ai toujours eu l’ambition de devenir un leader. Beaucoup de gens pensent que je ressens le besoin de me mettre en avant ou de me faire entendre mais c’est faux. Si je suis dans une salle avec 30 personnes, je peux écouter ce qu’elles ont à dire pendant des heures. Maintenant, si je suis le seul à parler, peu m’importe d’être écouté par 29 personnes ou par un million de gens. C’est un talent naturel, je n’ai aucun mérite, cela relève du hasard pur.

 » On ne trouve pas beaucoup de joueurs qui collectionnent des £uvres expressionnistes « 

Quelles qualités doit posséder un footballeur pour que vous l’engagiez à Dortmund ?

Du talent, évidemment. C’est l’essentiel. Ceci dit, le groupe se retrouve huit à neuf fois par semaine, dans un espace plutôt restreint. J’aurais du mal à supporter un idiot qui est arrivé là par hasard, juste parce qu’il shoote mieux qu’un autre dans un ballon. Le football reste un sport d’équipe. On a besoin les uns des autres. Dortmund forme un groupe homogène. On ne trouve pas beaucoup de joueurs qui collectionnent des £uvres expressionnistes, pour formuler les choses ainsi. Nous sommes tous un peu pareils. C’est déjà une bonne base. Ensuite, il faut se comporter comme il faut : être amical, poli, correct. Il arrive évidemment que quelqu’un fasse un écart. Enfin, c’est moi qui prends les décisions.

Etes-vous autoritaire ?

Les joueurs peuvent défendre leur opinion mais si l’un d’eux s’estime trop important, j’interviens.

Comment ?

Soit, je lui parle entre quatre yeux soit je l’attrape devant tout le groupe. -Dis-moi, que voulais-tu dire aux journaux quand tu as parlé de l’équipe ? Cela a fait un grand article. Je n’ai pas très bien compris. Peux-tu nous réexpliquer tout, pour que nous comprenions aussi ? Le calme revient très vite.

Mieux vaut pour les joueurs ne pas devenir trop intimes avec vous ?

En effet, ce n’est pas une bonne idée.

Comment réagissez-vous si, au repos, un joueur vous dit qu’il faut revoir la tactique ?

Je me permets de lui dire : -Désolé mais pour qui te prends-tu ? Tais-toi…

Vous n’aimez pas la discussion ?

Je possède le meilleur staff que je puisse imaginer. Nous pensons ensemble toute la semaine au match et à la manière de le disputer. Si les plans changent, nous communiquons. L’idée spontanée qu’un joueur peut avoir n’a pas la même substance que l’approche tactique qui résulte d’une semaine de labeur. Je prends mon métier très au sérieux et je ne me laisse pas influencer par les suggestions de personnes incompétentes.

Avez-vous instauré des amendes ?

Oui mais elles sont adaptées aux joueurs. J’ai tendance à protéger un jeune qui gagne peu et qui arrive une fois en retard à l’entraînement parce qu’il ne s’est pas réveillé. Mais si un joueur de 32 ans, qui a déjà été capitaine, arrive en retard, il doit plonger plus profond dans sa bourse. Je prends les choses à la légère : -Bon, mon gars, comme tu as été bête, nous allons nous régaler à tes frais.

 » On n’est pas dans un film de James Bond « 

Travaillez-vous aussi à la personnalité de vos joueurs ?

Comment cela se traduirait-il concrètement ?

Lisez un livre, allez au théâtre, tentez d’élargir vos horizons…

Oh ! J’ai deux fils. L’un aime lire, l’autre pas et je les trouve super tous les deux. Ils s’entendent bien. Jamais je n’ai dit : -Lisez un peu plus. C’est pareil avec mes joueurs. Ils sont libres. Il n’y a qu’un point à respecter scrupuleusement : dès qu’ils sont au club, le Borussia devient la chose la plus importante. Nous sommes en route vers l’avenir. Cela implique de marcher, voire de courir pour aller plus loin. De courir vite. C’est ce que j’exige d’eux.

Donc, vos joueurs courent, encore et toujours…

Oui car c’est notre devoir.

Comment supportent-ils cette méthode physiquement si exigeante ?

En étant en forme. Nous leur serinons qu’ils ne peuvent prester s’ils ne travaillent pas. Ils doivent tout donner et toujours mettre les gaz.

Exiger cela pendant 90 minutes ne risque-t-il pas de lasser l’équipe ?

Il faut pouvoir serrer les dents quand c’est nécessaire.

Dortmund est devenu le pire concurrent du Bayern. Votre équipe est-elle en mesure de briser l’hégémonie de l’équipe bavaroise ?

Nous devons rester réalistes. On n’est pas dans un film de James Bond et on ne parle pas de dominer le monde. Le Borussia Dortmund n’a pas non plus les moyens du Bayern.

Vraiment ? Le Borussia a déboursé 17 millions d’euros pour Reus, qui aurait également pu signer au Bayern.

Oui mais Marco est originaire de Dortmund. Il a joué chez nous en équipes d’âge. Quand il monte sur le terrain, je remarque ses mimiques et sa manière de prendre les décisions arbitrales. Je vois son engagement. Le Borussia est l’équipe de son c£ur. Il est authentique.

Vous n’avez donc pas dû user de toute votre persuasion pour qu’il choisisse le Borussia ?

Son père l’accompagne, ce qui est une bonne chose. Quand un joueur est flanqué de son père, il opte presque toujours pour nous. Nous avons conclu un deal à la fin de notre entretien. Je lui ai dit : -Tout ce que tu as fait jusqu’à présent était bien mais désormais, j’en veux davantage encore.

A qui ou à quoi vous référez-vous ? A Barcelone, au Real Madrid ?

Pep Guardiola est le meilleur, sans conteste. Il faudra encore de nombreuses années pour qu’on me cite en même temps que lui.

Barcelone est-il votre modèle ?

Non car Barcelone n’innove pas toujours. Nous exerçons depuis longtemps une pression élevée dans le jeu. Evidemment, c’est plus facile pour moi de dire à un joueur : – Regarde, tu dois faire comme ça, Barcelone le fait aussi.

PAR MAIK GROSSEKATHÖFER, GERHARD PFEIL & JACQUES SYS

 » Je sais que je suis bon dans ce que je fais. Je réussirais dans le monde entier. « 

 » Dès que les joueurs sont au club, c’est le Borussia qui compte. « 

 » Certains prétendent que nous sommes quasiment invincibles. Foutaises ! « 

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