« Je ne suis pas un 3e gardien »

La lutte pour le titre, Portugal-Belgique et tout ce qui a de la saveur, c’est sans lui ! Il prévient que ça ne peut pas durer comme ça…

Plus qu’un mois à tenir et Silvio Proto (23 ans) fêtera le plus triste anniversaire de sa jeune carrière : un an sans jouer en équipe Première, une année complète sans même avoir sa place sur le banc – il s’y est enfin retrouvé un peu par hasard lors du récent match de championnat à Genk, profitant d’une petite blessure de Davy Schollen. Son horizon, pour le moment, est celui de l’équipe Réserve. Des matches face à des gamins, à des joueurs testés, à d’autres en rééducation, à des bannis de l’un ou l’autre noyau A. Banni… Tiens, tiens… Proto lui-même est condamné à vivre en marge des stars du Sporting et de leurs grandes échéances. Mais il est toujours dans l’actualité. Normal : le meilleur gardien belge qui a retrouvé son niveau après une grave blessure mais qui n’a même pas le droit de devenir numéro 2, c’est une situation qui interpelle.

Silvio Proto a parfaitement respecté son planning médical. Six bons mois après son opération aux ligaments croisés du genou, il retrouvait le noyau. En octobre, il confiait dans chaque interview qu’il avait la rage, il sentait que son retour en grâce était imminent. Aujourd’hui, il n’est toujours pas plus avancé.

Vous étiez plein d’optimisme en fin d’année. On imagine que le moral est moins bon aujourd’hui ?

Silvio Proto : C’est vrai qu’à ce moment-là, j’avais l’impression que toutes les portes se rouvraient devant moi. Entre-temps, elles se sont refermées. J’avais rêvé de retourner sur le banc pour le dernier match de Ligue des Champions, puis je me suis moi-même rendu compte que je n’étais pas encore tout à fait prêt et que cela aurait été une erreur de me relancer à ce moment-là comme numéro 2. Mais maintenant, tout va bien sur le plan physique. Mon genou tient hyper bien. J’ai aussi profité de ma période sans foot pour me faire opérer de la cheville qui me faisait souffrir depuis longtemps. Cette opération-là aussi s’est très bien déroulée. Je peux à nouveau dégager du pied sans aucun problème, ce que je ne savais plus faire durant les semaines qui ont précédé ma blessure au genou. Je me sens bien, j’ai retrouvé mes sensations, je suis de nouveau très franc dans mon rectangle, je suis redevenu le Proto d’avant la blessure. Si on m’appelle demain, je suis prêt pour partir au feu et je ferai de bons matches.

Mariage et bébé :  » J’ai le moral  »

Tout va bien sur le plan physique, mais ne dites pas que vous êtes heureux !

J’ai le moral. Je me suis marié il y a quelques mois et ma femme attend un bébé : c’est pas beau, ça ? (Il rigole). Evidemment, je ne peux pas être content sur le plan strictement professionnel. Le rôle que j’ai depuis mon retour de blessure ne correspond pas à mon statut. Je ne suis pas un troisième gardien.

Que vous dit l’entraîneur ?

Il dit qu’il est satisfait de Daniel Zitka dans l’équipe et de Davy Schollen sur le banc. Je comprends son raisonnement mais ça ne fait pas mon affaire. Je ne vois aucune perspective positive à court terme et c’est ça le plus terrible. Je fais ce qu’on me demande de faire et ce qui est normal pour un pro : travailler dur pour arriver au meilleur niveau possible. J’ai même l’impression de bosser plus que les autres. Et un entraînement à Anderlecht vaut peut-être autant que beaucoup de matches de D1. Mais ça commence à faire très long parce qu’on ne peut pas se contenter des entraînements. La pression, l’enjeu, tout cela me manque. Ce n’est pas facile de rester positif quand on ne voit rien venir.

Vous arrive-t-il de penser au premier anniversaire de cette blessure qui a tout cassé pour vous ?

Bien sûr. Très souvent même. Je vois arriver la fin du mois d’avril avec plein de trucs en tête. Je suis passé en une minute du paradis à l’enfer. Au moment de ma blessure, je me sentais intouchable. Ça roulait pour moi à Anderlecht, j’étais incontesté dans le but de l’équipe nationale, j’avais tout pour être heureux. Du jour au lendemain, j’ai tout perdu. Maintenant, j’en suis réduit à devoir trouver la motivation pour jouer des matches de Réserve sans enjeu le vendredi soir.

Vous vous êtes blessé tout seul à l’entraînement : n’est-ce pas plus facile à digérer que si un autre joueur vous avait abîmé le genou ? Au moins, vous ne pouvez en vouloir à personne, il ne doit pas y avoir de frustration ?

Je n’en veux à personne et surtout pas à moi-même… C’était un bête accident, le genou qui a lâché parce qu’il était sans doute écrit qu’il devait lâcher ce jour-là. Le destin. Je me sentais en super forme à ce moment-là. Quelques jours avant l’entraînement fatal, nous avions fait des tests physiques et j’avais réussi mes meilleurs résultats de la saison.

 » Zitka resterait aussi bon si je redevenais numéro 2  »

Laisseriez-vous Silvio Proto moisir en Réserve si vous étiez Frankie Vercauteren ?

C’est difficile de se mettre dans la peau de l’entraîneur. Je suis condamné à respecter son choix.

Il voit vos matches en Réserve ?

Oui.

Et il vous en parle ?

Non. Il ne fait aucun commentaire.

Il vous encourage ?

Non. Mais ce n’est pas son rôle. Jacky Munaron est là pour ça. L’entraîneur n’a pas à se préoccuper des états d’âme de l’un ou de l’autre.

Vu les matches que fait Zitka, vous devez comprendre qu’il reste dans le but. Le plus dur n’est-il pas d’accepter de ne même pas être sur le banc ?

Certainement.

Le deuxième gardien touche les primes de victoire mais le troisième n’y a pas droit !

Je préfère ne pas parler d’argent. Ce n’est pas ce qui me préoccupe le plus. Le plus dur est de me dire que si Zitka se blesse ou est exclu, ce n’est même pas moi qui le remplacerai.

Et si la décision de mettre Schollen sur le banc était destinée à enlever la pression à Zitka. Il serait peut-être plus vulnérable s’il sentait votre souffle dans son dos ?

C’est un raisonnement qui vaut ce qu’il vaut mais je n’y crois pas trop. Posez la question à Zitka. Mais je n’ai pas l’impression que son niveau souffrirait de ma présence sur le banc. Dans un club comme Anderlecht, il y a une concurrence énorme à tous les postes et je suis convaincu que Zitka est assez fort pour supporter n’importe quelle pression.

On se souvient quand même que Zitka avait fait quelques grosses floches quand il était en balance avec Tristan Peersman !

Oui, mais bon… Est-ce qu’à l’époque, il était dans la même forme qu’aujourd’hui ? Je n’en sais rien.

Et si vous étiez titulaire ? Préféreriez-vous un vrai numéro 2 ou un numéro 1 bis sur le banc ?

La saison dernière, j’étais performant quand Zitka était sur le banc. Je savais qu’il représentait une grosse concurrence mais cela ne m’empêchait pas de faire mes matches.

 » Pour Charleroi, j’étais chaud  »

Vous êtes sous contrat jusqu’en 2010 : voyez-vous cela comme une garantie financière ou comme un gros obstacle à un départ ?

Je peux seulement dire qu’il est exclu que je reste comme ça jusqu’en 2010. Rester troisième gardien, non, vraiment, c’est impossible. Je ferai le point en fin de saison avec mon agent Peter Louwes, Herman Van Holsbeeck et Frankie Vercauteren. Je ne peux rien dire de plus à l’heure actuelle.

Seriez-vous prêt à rester si vous redevenez deuxième gardien d’ici la fin de la saison ?

Je n’en sais rien, je devrai analyser la situation à tête reposée. Je suis ambitieux, je veux jouer : ça, c’est ma seule certitude en ce moment.

A-t-il vraiment été question d’un prêt à Charleroi au mercato d’hiver ?

Moi, j’étais chaud. Je sentais bien que ma situation à Anderlecht n’allait pas évoluer à court terme. Ce prêt n’aurait pu me faire que du bien. J’aurais retrouvé le rythme des matches et j’aurais peut-être pu me remettre en évidence pour René Vandereycken. En plus, Charleroi, c’est ma région et ce club visait l’Europe.

Quel a été le discours de votre direction ?

Herman Van Holsbeeck m’a dit qu’il n’était pas question de me prêter. Frankie Vercauteren avait été consulté et il est intervenu dans la décision. Je n’ai pas trop fait le forcing pour partir en janvier, mais si rien ne change d’ici juin, je mettrai toute mon énergie dans les discussions pour qu’on me laisse aller voir ailleurs.

On vous a retenu au club. Cela veut dire que Vercauteren vous fait toujours confiance et c’est une bonne chose, non ?

Bien sûr. Mais à côté de cela, il ne m’offre toujours qu’un statut de troisième gardien. Et je n’ai même pas la possibilité de jouer tous les matches de Réserve parce que Schollen y prend parfois ma place. Lui aussi doit jouer pour garder son rythme, donc il lui arrive de redescendre en équipe B. Dans ces cas-là, je suis réserviste de l’équipe Réserve. (Il grimace).

C’est l’humiliation suprême ?

Je ne sais pas si je peux employer un terme aussi fort. En tout cas, ça ne fait pas plaisir, et quand je dois m’installer sur le banc de la Réserve, je me dis que je suis tombé bien bas.

 » Si Anderlecht est champion, ce ne sera pas mon titre  »

Quand Anderlecht a refusé de vous prêter à Charleroi, vous avez cru que vous alliez vite redevenir numéro 2 ?

Evidemment.

Que faut-il pour que vous retrouviez ce statut ?

Je n’en sais rien.

Faire de très bons matches en Réserve, sans doute ?

(Décidé). Je fais mes matches en Réserve, je continue à travailler dur et je veux montrer à l’entraîneur que s’il a besoin de moi, il peut m’appeler à tout moment.

En début de saison passée, quand vous êtes arrivé à Anderlecht, il vous a fallu du temps pour faire votre trou. Etait-ce plus dur à vivre à ce moment-là, ou est-ce plus difficile aujourd’hui ?

Ma situation actuelle est bien plus dure à digérer. Après ma blessure, je me suis battu comme un fou pour revenir le plus vite possible. J’y suis arrivé. Aujourd’hui, on me dit que je dois être patient.

Vous sentirez-vous concerné par le titre si Anderlecht est champion ?

Je n’aurai pas du tout l’impression d’avoir été un acteur. Ce sera le titre de Zitka, pas le mien. Je devrai peut-être me contenter du titre en Réserve…

Vous n’aviez pas participé à l’apothéose de la campagne de Coupe avec La Louvière, vous étiez blessé quand Anderlecht a fêté son titre en mai 2006, vous risquez encore de passer à côté de la consécration cette saison : vous êtes l’homme des grands rendez-vous manqués, finalement !

J’ai quand même pris une bonne part dans la victoire de La Louvière en Coupe : si je ne commets pas un penalty sur Kevin Vandenbergh dans le match à Genk, on est battu et l’aventure se termine. Je me suis sacrifié, j’ai pris une carte rouge pour le bien de l’équipe, Jan Van Steenberghe en a profité pour me remplacer, puis il était encore dans le but pour la finale parce que je m’étais blessé entre-temps et qu’il n’avait pas démérité. La saison passée aussi, j’ai été un acteur en vue du titre d’Anderlecht. Ce n’est pas parce qu’on joue les trois derniers matches de la saison qu’on est le gardien du titre. J’ai disputé 27 des 34 rencontres, cette consécration était la mienne même si j’étais avec des béquilles au moment de la fête. Cette saison, par contre, je ne pourrai me raccrocher à rien du tout si le Sporting gagne le championnat.

Diables et Euromillions

Parlons des Diables…

Je n’ai évidemment rien à revendiquer à ce niveau-là. Si je suis appelé, j’irai avec plaisir, mais la probabilité que je sois prochainement repris par Vandereycken est aussi élevée que celle de gagner à l’Euromillions…

Quand vous voyez que nos deux premiers gardiens sont aujourd’hui Stijn Stijnen et Brian Vandenbussche, vous ne vous dites pas que votre place chez les Diables est toujours bien chaude ?

Ça, c’est sûr. Je sais que si je rejoue deux bons matches avec Anderlecht, je retrouve directement l’équipe nationale. Vandereycken n’est pas aveugle : il sait que j’étais titulaire indiscutable avant ma blessure, que j’ai déjà fait de bonnes choses avec les Diables, que j’ai sauvé des points en qualification pour la Coupe du Monde, etc.

Pietro Allatta s’est remis sous les projecteurs : qu’en pensez-vous ? N’avez-vous pas envie de lui dire :  » Arrête un peu ton cirque  » ?

Il fait ce qu’il veut de sa vie, je n’ai pas de conseils à lui donner. Je préfère ne pas parler de son cas.

Quand vous avez donné une interview à un journal flamand en octobre 2006, vous avez fait une mise au point avant même qu’on vous pose la première question :  » Si vous m’interrogez sur Allatta, je m’en vais  » !

Parce que je ne veux plus parler de gens qui ne m’entourent plus.

Ne vous a-t-il finalement pas amené plus de problèmes que de satisfactions ?

Je ne veux pas m’exprimer sur ce sujet-là.

Pensez-vous parfois à votre pote Michaël Cordier ? Au Brussels, il vit la même situation que vous.

Je trouve que nos situations ne sont pas comparables. Michaël est dans la roue du titulaire, Patrick Nys. Il sait que s’il se bat, il peut récupérer sa place à tout instant. Pour moi, c’est beaucoup plus compliqué. J’ai deux concurrents devant moi. Et c’est moins dur de se battre contre un Nys de 38 ans que contre un Zitka de 31 ans.

Depuis trois semaines, on n’a discuté à Anderlecht que des matches contre Genk. Vous sentiez-vous concerné par ces conversations ?

Je vis la Coupe et la lutte pour le titre parce que ça concerne mon club, mais ce n’est évidemment pas la même chose quand on n’est pas dans l’équipe. Mon implication se limite aux mises au vert. L’entraîneur y emmène systématiquement trois gardiens et je dois attendre le dernier moment pour savoir si, oui ou non, je serai sur le banc. A Bruges en championnat, puis à Genk en Coupe, j’ai même fait l’échauffement. C’est seulement en revenant au vestiaire que j’ai appris que je pouvais me rhabiller et aller dans la tribune.

Qui vous annonce la décision finale ?

Frankie Vercauteren.

Sans états d’âme ?

Je dois respecter ses choix.

par pierre danvoye – photos : reporters/buissin

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