« Je ne serai jamais un Pippo Inzaghi »

Rencontre à Londres avec un des plus beaux artistes du football belge.  » Affronter Arsenal, c’est quand même autre chose que l’Excelsior Rotterdam… « 

Tomasz Radzinski et Philippe Albert ont clôturé ici le chapitre anglais de leur carrière tandis qu’Edwin van der Sar y a découvert la Premier League, avant de signer à Manchester United. Les prédécesseurs de Moussa Dembélé (23 ans) à Fulham ne sont donc pas d’illustres inconnus. La saison passée, sous la houlette de Roy Hodgson, le club de Mohamed Al Fayed a perdu la finale de l’Europa League contre l’Atletico Madrid et se trouve actuellement dans le ventre mou de la Premier League. Moussa est un des joueurs qui doivent aider Fulham à retrouver l’Europe.

Le tacle subi contre Stoke City vous a blessé à la cheville et écarté des terrains quelques semaines. Comment allez-vous ?

Moussa Dembélé : J’ai d’abord cru que ma cheville était fracturée mais ce n’était qu’une élongation. Je m’en ressens encore de temps en temps mais je prends des antidouleurs et je porte un tape. Ce n’était pas un beau tacle mais aux Pays-Bas, j’ai été blessé à plusieurs reprises et je n’y prête plus attention. J’en tire aussi des leçons : la prochaine fois, je saurai comment placer mon pied. Nous étions menés 0-2 à ce moment.

Que voulez-vous dire ?

Je dois étudier la manière de m’engager dans un duel. Parfois, je fonce alors qu’on peut aussi se protéger. Ce n’est évidemment pas toujours possible. En plus, ce n’est pas un drame : cela ne m’a coûté que deux journées de championnat et quelques matches en équipe nationale. Ce n’est pas comme si j’avais dû rester sur la touche pendant des mois.

 » Wilmots aurait mieux fait de me parler, au lieu d’en discuter avec les journalistes « 

Bobby Zamora, votre partenaire d’attaque, a eu moins de chance : il s’est fracturé la jambe.

Nous jouions ensemble au début et cela marchait bien. Bobby est la star de Fulham et le perdre aussi tôt constitue un drame pour le club. C’est un handicap mais nous avons d’autres bons footballeurs quand même.

Son absence constitue-t-elle un inconvénient majeur pour vous ?

Il remporte 80 % de ses duels, il s’empare simplement du ballon, il pivote et j’en profite pour remonter. C’est idéal pour moi, d’autant qu’il est créatif. Quand il n’est pas là, il manque quelque chose.

Vous jouez maintenant à droite derrière l’attaque ou en pointe aux côtés de Kamara ou de Dempsey.

Oui, je suis plus en retrait mais ma position n’est pas si fixe : je peux aussi surgir en attaque et m’y attarder. Jamais l’entraîneur ne m’a fait de remarque. Il m’a placé au numéro dix, derrière les attaquants.

C’est le poste pour lequel vous avez voulu votre transfert : vous souhaitiez un rôle libre dans l’entrejeu…

C’est ce que j’ai dit et le club était d’accord. C’est à ce poste qu’il me voyait et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi Fulham.

En équipe nationale, Marc Wilmots ne vous jugeait pas capable d’évoluer au numéro dix. Voulez-vous démontrer qu’il a tort ?

Non, je ne suis absolument pas animé d’un tel sentiment. Cela a fait du foin en équipe nationale car des joueurs ont réagi mais cela ne m’intéresse pas. Wilmots est très bon pour l’équipe nationale : il est passionné et j’éprouve un profond respect pour ce qu’il a accompli. Il aurait toutefois mieux fait de me parler, au lieu d’en discuter avec les journalistes. Je sais ce dont je suis capable mais parfois, on préfère simplement un autre joueur. C’est tout à fait normal.

Vous êtes habitué aux entraîneurs néerlandais, avec van Gaal, Advocaat, Koeman, Verbeeck. Quelle est la différence entre leur approche et celle de Mark Hughes ?

Il est très calme par rapport aux Pays-Bas, où tout le monde parle beaucoup. Il prend un joueur à part, parfois, mais il n’est pas bavard. Je n’ai eu que de bons entraîneurs aux Pays-Bas. Louis van Gaal et Dick Advocaat formaient une classe à part, qu’il s’agisse des entraînements et de la gestion humaine. Ils étaient très fanatiques.

Et durs.

Van Gaal plus encore qu’Advocaat, qui était plus froid. Mais gare quand vous ne faisiez pas ce qu’il voulait.

 » Je reste Moussa, j’ai l’esprit de famille  »

El Hamdaoui, avec lequel vous vous entendiez bien à l’AZ, a signé à l’Ajax. Restez-vous en contact ?

Oui par Sms. C’est un joueur formidable, qui possède une excellente technique de frappe. Il m’a impressionné comme joueur et aussi comme homme. L’Ajax est un bon club pour lui mais j’avais espéré qu’il vienne aussi en Angleterre. C’eût été fantastique s’il avait pu m’accompagner à Fulham.

Ou vous à l’Ajax ?

J’en avais la possibilité. Le club était très intéressé. Il m’a fait savoir par mon manager et d’autres canaux qu’il souhaitait m’enrôler mais je préférais l’Angleterre. Fulham a obtenu d’excellents résultats l’année dernière, il est ambitieux et possède un potentiel suffisant. Carlos Salcido, l’international mexicain, a aussi choisi de quitter le PSV pour Fulham.

Pourquoi n’avoir pas rejoint la Fiorentina, qui vous convoitait aussi ?

Le championnat italien ne me dit pas grand-chose. L’instinct joue un rôle important. J’estime que le championnat anglais est supérieur. On y joue bien, mieux que je ne m’y attendais. Je m’y plais beaucoup. Quand on évoque l’Angleterre, on pense aux hooligans ou aux Anglais ivres qu’on rencontre parfois en vacances mais ici, ils sont vraiment gentils. Londres est aussi une ville agréable. On peut manger quelque chose de délicieux à toute heure. Il y a de bons restaurants, des cinémas, des boutiques et ma famille peut facilement m’y rejoindre. C’est le nec plus ultra.

Considérez-vous ce transfert comme une étape vers plus d’indépendance ?

Je vis seul depuis longtemps. Mes parents passent aussi fréquemment que quand je vivais aux Pays-Bas. Mon cousin habite ici depuis quelques années et il m’aide en tout. Je suis heureux de voir ma famille aussi souvent. Etre seul est quand même différent.

Vous pourriez aussi mûrir en réglant vos problèmes vous-même ?

Peut-être, c’est difficile à dire. Plutôt que de réfléchir à tout, je suis du genre à laisser les choses suivre leur cours. Je reste Moussa, j’ai l’esprit de famille. J’aime cette chaleur. J’ai besoin d’être entouré par ma famille. On peut venir n’importe quand à Londres, l’accès en est très aisé, ce qui ne serait pas le cas ailleurs.

Pourquoi avez-vous rompu avec Patrick Vervoort, votre manager, au profit de Rodger Linse ?

Patrick et moi avons bien travaillé. Je n’ai rien à dire contre lui. D’autres facteurs ont joué mais je préfère ne pas m’étendre là-dessus.

Linse a un réseau plus large, avec notamment van Nistelrooy et d’autres internationaux néerlandais, ce qui vous sera utile pour la suite de votre carrière ?

Ah, vous essayez quand même de me tirer les vers du nez… Je ne dirai rien.

 » Mes adversaires vont remarquer que je ne suis pas seulement capable de dribbler « 

Aucun de vos entraîneurs à l’AZ ne savait exactement quelle était votre meilleure position. N’est-ce pas étrange ?

Ils n’ont pas besoin de le savoir ! Je me déplace entre attaque et entrejeu. Je ne suis pas un attaquant qui reste dans le rectangle, pas vraiment un ailier ni un médian qui reste dans la deuxième ligne.

C’est sans doute pour cela qu’on affirme que vous choisissez parfois la facilité en redescendant. Wilmots, par exemple, jugeait que vous deviez vous faire mal et Frankie Vercauteren estimait qu’un bon match sur sept ne suffisait pas. Etes-vous d’accord ?

Vercauteren a avancé un argument faible, après un match durant lequel tout le monde avait mal joué. Il était fâché et s’en était pris à des joueurs, ce qui m’avait surpris car j’avais bien joué les rencontres précédentes. Mais bon, à chacun son truc. Je suis fanatique, je veux toujours gagner. La seule critique qui m’ait été adressée est que je ne tirais pas assez au but et que je devais vouloir marquer. J’ai effectué des progrès. Avant, il m’arrivait de ne pas tenter ma chance une seule fois en trois matches. Ici, après chaque match de Fulham, je reçois des statistiques et je vois que je tire généralement cinq fois au but. Je suis donc satisfait. Je ne serai jamais un Pippo Inzaghi qui ne songe qu’à marquer mais je peux progresser en tentant ma chance plus fréquemment. Je deviens plus dangereux et je varie mon jeu. Mes adversaires vont remarquer que je ne suis pas seulement capable de dribbler mais aussi de marquer.

Gert Verheyen nous a dit :  » On est un killer ou on ne l’est pas mais on peut aussi former un duo complémentaire. « 

Je vais marquer de plus en plus, c’est mon principal chantier, même si j’incline davantage à m’impliquer dans le jeu. C’est agréable aussi de rester en pointe à guetter une occasion mais je veux aussi permettre aux autres de mieux jouer et de marquer. Je préfère passer deux hommes et tirer ou délivrer une passe.

Dans quelle mesure le football anglais peut-il vous aider à évoluer ?

Nous jouons contre les meilleurs du monde presque chaque semaine, ce qui élève notre niveau. Cela devient une habitude. De jeunes joueurs optent parfois pour une grande équipe étrangère parce que le seul fait de s’entraîner avec des ténors vous permet de progresser. Je veux apprendre. Je suis dans un grand club, qui me demande d’être plus efficace et je m’y exerce.

Le conseil de Thomas Vermaelen

Est-ce ce dont vous aviez besoin après plusieurs années aux Pays-Bas : de la nouveauté et de la pression ?

Peut-être. Je suis nouveau ici, je découvre tout. J’ai récemment déjeuné avec Thomas Vermaelen et avant mon transfert, je lui ai parlé et il m’a dit : -Moussa, ici, aucun match n’est comparable à ceux qu’on joue en Belgique ou aux Pays-Bas. Là-bas, sur certains terrains, on redoute de se faire une entorse et certains stades sont peu confortables. Ici, on joue toujours dans de beaux stades, contre de chouettes équipes. C’est important car on est motivé chaque semaine. Même si on est fanatique et qu’on veut toujours gagner, affronter Arsenal, c’est quand même autre chose que l’Excelsior.

Fulham a la réputation d’être défensif. Qu’en pensez-vous, venant de l’AZ ?

L’AZ jouait l’offensive à outrance. Il n’est donc pas illogique qu’un autre club évolue plus prudemment. En tout cas, je suis moins sollicité défensivement ici qu’à Alkmaar. L’AZ développait un football superbe et Fulham en est capable aussi. Il y a la force et la vitesse mais le football en lui-même est meilleur aussi. Fulham est nettement plus professionnel que l’AZ. Tout est beaucoup mieux organisé. Je n’avais pas l’habitude d’un tel niveau. On remarque vraiment qu’ici, le football est très important. On vous procure immédiatement tout ce dont vous avez besoin et pour vous citer un exemple, le staff médical est beaucoup plus étoffé : l’AZ a deux kinés, ici, il y en a huit ou neuf ainsi qu’un médecin à temps plein. On prend du sang à l’oreille tous les jours, l’urine est contrôlée, nous sommes pesés deux fois par semaine… C’est extrêmement professionnel. J’aimerais jouer un jour pour Barcelone, le Real ou Manchester United mais pour cela, il faudra que j’aie le sentiment d’être prêt, d’avoir le niveau requis. Je vise l’élite absolue, je veux retirer le maximum de mes possibilités mais avant, je veux m’établir à Fulham. Jusqu’à présent, je suis très content de mon évolution.

PAR RAOUL DE GROOTE – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » On prend du sang à l’oreille tous les jours, l’urine est contrôlée, nous sommes pesés deux fois par semaine… « 

 » Je suis dans un grand club, qui me demande d’être plus efficace et je m’y exerce. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire