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 » JE NE ME SUIS JAMAIS TROUVÉ TROP JEUNE « 

Deux longues années sans titre, la nouvelle vie sans Steven Defour, René Weiler et sa pilule du lendemain, les conversations hockey avec Eddy Merckx : la pépite passe à table.

Toots Thielemans est parti et fait l’actu depuis une semaine mais ça n’a rien à voir !  » Notre nom se prononce de la même façon mais l’orthographe est différente « , rigole Youri Tielemans.  » On m’a déjà demandé si nous étions parents, mais donc, non…  » Le prodige mauve avoue qu’il a déjà maté l’un ou l’autre morceau de la légende du jazz sur Youtube, mais son truc musical, c’est plutôt  » du rap français et américain, du R&B, un peu de tout en fait, en fonction de mes émotions du moment.  »

Il n’a pas encore 20 ans mais son compteur affole. Plus de 100 matches de championnat, près de 25 en Coupe d’Europe. Interview jeune mais pas fou.

Anderlecht vient de vivre deux saisons sans titre, c’est presque historique. Tu sens une certaine nervosité dans le club ? On fait comprendre aux joueurs que c’est impensable de passer à côté une troisième fois ?

YOURI TIELEMANS : Je ne parlerais pas de nervosité mais d’énorme envie de gagner. Ce titre, il nous le faut. On a faim. On sait qu’on ne va pas gagner tous les matches mais on va tout donner pour arriver au bout.

Il n’y a peut-être pas de nervosité mais il y a de la pression !

TIELEMANS : Une grosse pression, oui. Quand tu joues pour le plus grand club de Belgique, tu le sais. Mais j’arrive à gérer sans souci. Sans doute parce que je n’ai jamais connu que ça. Déjà chez les jeunes, on devait tout gagner. Chez moi, c’est une habitude. Ceux qui n’ont pas ce passé, ils doivent s’y faire. Apprendre à commencer tous les matches à fond, par exemple.

 » AVEC LE RECUL, TU TE DIS : -C’ÉTAIT VRAIMENT MAUVAIS ET ON N’AVAIT AUCUNE CHANCE D’ÊTRE CHAMPIONS COMME ÇA  »

Avec le recul, comment tu expliques ces deux saisons ratées ? Il y a eu des moments-clés qui ont fait que ça n’a pas marché ?

TIELEMANS : Il s’est passé des trucs en interne, des trucs qui n’ont pas été réglés, tout simplement. Des petits soucis. Je n’ai pas envie d’en dire plus, ça reste au club. Je peux seulement dire que la mentalité n’était pas top tout le temps. Bouger les uns pour les autres, aborder les matches à 200 %, les terminer à 200 %, c’est ça qu’il faut absolument retrouver.

Au moment même, tu te rendais compte qu’il y avait un problème de mentalité ? Ou c’est seulement avec le recul que tu vois clair ?

TIELEMANS : Dans le feu de l’action, tu vois que le jeu n’est pas bon, que les résultats ne suivent pas. Avec le recul, tu te dis : -C’était vraiment mauvais et on n’avait aucune chance d’être champions comme ça. Quand tu prends le temps de réfléchir, tu arrives à te poser les bonnes questions.

La saison dernière, Bruges a parfaitement montré la mentalité qu’il faut avoir pour gagner, non ? Il y avait onze Preud’homme sur le terrain, onze hargneux.

TIELEMANS : Il n’y a qu’à voir le match en fin de play-offs qu’on perd 4-0 chez eux. Ils étaient motivés à 2.000 %, ils voulaient vraiment être champions. Ils avaient un bon groupe. Et ils ont su le garder, donc on sait que ça va encore être très dur pour nous cette saison.

Qui peut changer la mentalité ? L’entraîneur suffit ?

TIELEMANS : Il n’y a pas que l’entraîneur. Il y a tout le staff, et surtout les joueurs. Tout le monde doit avoir envie de changer ça dans sa tête !

 » DEFOUR ET TIELEMANS QUI SE MARCHENT SUR LES PIEDS, C’EST UNE INVENTION  »

Les matches que vous allez jouer en Europa League, ce sont des matches de la Coupe d’Europe des pauvres ou vous voyez les choses autrement ? Toi, par exemple, tu as connu la Ligue des Champions.

TIELEMANS : Il y a du lourd aussi en Europa League. On sait que ça ne sera pas simple. Mais on sait aussi qu’on peut réussir quelque chose. La preuve, la saison passée : on a quand même fini deuxièmes d’une poule où il y avait Tottenham et Monaco.

La vie sans Steven Defour, dans le vestiaire et sur le terrain, c’est un grand changement ?

TIELEMANS : Un changement ? Pourquoi ? Dans tous les clubs, il y a des joueurs qui partent, d’autres qui arrivent…

On n’aura plus l’occasion de dire et d’écrire que Defour et Tielemans se marchent sur les pieds…

TIELEMANS : Mais c’est une invention de journalistes, ça ! Il ne faut pas inventer des problèmes là où il n’y en a pas.

Mais avec son départ et celui de Dennis Praet, ton horizon dans l’entrejeu se dégage quand même fameusement. Tu as maintenant tout pour devenir une vraie valeur sûre.

TIELEMANS : C’est toi qui le dis. Tous les joueurs sont importants, sur le même pied. Le seul qui peut être plus important que tous les autres, c’est celui qui arrive à mettre trente buts.

Qui va reprendre le rôle de leader de Steven Defour ? Tu en es capable ? Ou tu es trop jeune ?

TIELEMANS : Je ne me suis jamais trouvé jeune ! Que j’aie 16 ou 25 ans, j’ai toujours su parler aux autres et prendre mes responsabilités. Ça n’a rien à voir avec l’âge. Je pense que le public me considère trop jeune pour jouer au leader, mais je suis prêt.

Tu étais un patron dans les équipes de jeunes ?

TIELEMANS : J’ai toujours été capitaine, j’ai toujours été un joueur important. J’imagine que mes entraîneurs voyaient que je parlais facilement à tout le monde et que je savais assumer à tout moment.

 » LES JOUEURS QUI N’ACCEPTENT PAS LES CRITIQUES EN PUBLIC SONT CEUX QUI N’ONT SANS DOUTE JAMAIS CONNU ÇA  »

Quand Besnik Hasi a remplacé John Van den Brom, on a dit que la discipline revenait à Anderlecht. Aujourd’hui, avec René Weiler, vous passez un cran au-dessus et on a l’impression que c’était encore trop cool avec Hasi.

TIELEMANS : Je n’ai pas envie de critiquer ce qui s’est fait ici dans le passé. Maintenant, René Weiler est dur, mais tout ce qu’il fait est normal pour moi parce que j’ai toujours eu des règles. A la maison, à l’école. Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce que le coach nous impose.

Sa discipline se manifeste comment, au quotidien ?

TIELEMANS : Il est proche des joueurs mais on ne le sent pas proche… Il voit tout et il ne dit rien au moment même. Le lendemain, s’il n’est pas content, il en parle devant tout le monde. Et quand c’est bien, il le dit aussi.

Mais son approche ne plaît pas à tout le monde.

TIELEMANS : Il y a des joueurs qui n’acceptent pas la critique en public. Sans doute parce qu’ils n’ont jamais connu ça. Mais le coach a été clair en arrivant, il a demandé si ça dérangeait quelqu’un qu’il fasse ses critiques devant tout le groupe. Personne n’a réagi.

Tu l’acceptes parce que tu as été éduqué à la dure ?

TIELEMANS : A la dure, c’est exagéré. C’était simplement une éducation avec des principes et des règles. Des choses banales. Manger sain, se coucher à temps, faire son boulot à l’école, ne pas répondre à ses parents. Et accepter les remarques.

Tu as grandi dans le monde du judo, ça t’a aidé ?

TIELEMANS : Peut-être. Dans le judo, c’est très strict. Tu dois toujours être fair-play. Avec tes adversaires, avec l’arbitre. Si tu réponds à l’arbitre, tu prends une pénalité. Ça te donne une éducation !

Tu n’as pas un manque depuis qu’on t’a obligé à arrêter, quand tu as signé ton contrat pro ?

TIELEMANS : C’était une passion, j’étais bon, ceinture bleue à quinze ans, et je pense que j’aurais pu faire une carrière à un haut niveau. Si je n’étais pas devenu footballeur, je serais probablement judoka aujourd’hui. Mais je préférais quand même faire du sport avec un ballon.

 » SI JE SUIS RAREMENT BLESSÉ, C’EST EN PARTIE GRÂCE AU JUDO  »

Tu continues à dire que le judo t’a aidé dans le foot ?

TIELEMANS : Oui, je confirme. Ça m’a apporté de la souplesse, de la mobilité. Si je suis rarement blessé, c’est en partie grâce au judo. Il m’a appris à connaître mon corps, à me soigner, à m’étirer, à savoir quand il faut dire stop. En foot, tu peux toujours te cacher. Pas en judo. Si tu n’as pas une hygiène de vie parfaite, tu es sûr de ne pas réussir. Tu ne gagnes pas un gros combat si ton corps n’est pas top.

A l’interview aussi, René Weiler sait rentrer dedans. Comme après le match à Eupen, quand il a dit qu’il n’était pas content du mercato d’Anderlecht. Il a raison ?

TIELEMANS : Il est réaliste et très ouvert. Ce qu’il dit devant les médias, il le dit aussi au club.

Depuis ton éclosion en 2013, on dit que tu vas vite te retrouver à l’étranger. Mais tu n’as peut-être pas envie de commettre la même erreur qu’un Vadis Odjidja ou un Anthony Vanden Borre qui ont quitté Anderlecht trop tôt et se sont crashés, c’est ça ? …

TIELEMANS : Pas du tout. Je ne pense ni à Vadis, ni à Vanden Borre. S’ils sont partis à ce moment-là, c’est qu’ils se sentaient prêts pour découvrir autre chose. Je partirai quand je sentirai que c’est le bon timing, quand je me sentirai tout à fait prêt.

 » JE ME SENS TOUJOURS BIEN QUAND LE CHAMPIONNAT COMMENCE, PUIS IL Y A DES TRUCS QUI FONT QUE JE SUIS MOINS BIEN  »

Quand on écrit que le PSG, Tottenham, Milan, Rome, Manchester et d’autres te suivent, ça t’amuse ou ça t’énerve ?

TIELEMANS : Il faut bien vendre du papier. Maintenant, c’est vrai qu’il y a eu certaines approches. Mais jamais rien de concret.

Cet été, il y a aussi eu le vrai faux coup de fil de José Mourinho !

TIELEMANS : Oui, il m’aurait appelé pour que je le rejoigne à Manchester… N’importe quoi. Le type qui a raconté dans la presse que je lui avais confié ça, je ne le connais même pas. Il dit qu’on a joué ensemble chez les jeunes d’Anderlecht mais ce n’est même pas vrai.

C’était une bonne pub !

TIELEMANS : Pour le gars, peut-être…

Tu as des records ou quasi-records de précocité en championnat, en Ligue des Champions, en équipe nationale. Mais tu as du mal à faire une saison pleine. Ton explication ?

TIELEMANS : La saison dernière, par exemple, j’en attendais plus. Je sais que le manque de constance, c’est mon point faible. Il faut que j’arrive à être bon dans chaque match. Mais bon, je suis content de ce que j’ai déjà accompli !

Tu es l’homme des débuts de saison, ça se vérifie encore en ce moment.

TIELEMANS : Oui, je me sens toujours bien quand le championnat commence, puis il y a des trucs qui font que je suis moins bien.

C’est plus physique ou mental ?

TIELEMANS : Je me suis déjà posé la question.

Et ? …

TIELEMANS : Je n’ai pas encore trouvé la réponse…

 » JE DEVIENS MOINS BON QUAND JE VEUX TROP BIEN FAIRE  »

Avant de partir, Besnik Hasi a dit que tu t’étais mis trop de pression il y a un an en disant que la saison allait être la tienne.

TIELEMANS : Je l’ai lu aussi mais je ne l’ai jamais dit. J’ai expliqué que je devais gagner en constance, c’est différent.

Il y a des moments où tu te mets trop de pression ?

TIELEMANS : Il y a peut-être des moments où je veux trop bien faire, c’est peut-être à cause de ça que je deviens moins bon.

En mai, tu es devenu le plus jeune joueur de l’histoire d’Anderlecht à atteindre 100 matches de championnat. Tu as détrôné Paul Van Himst. Qu’est-ce qu’il représente pour toi ?

TIELEMANS : Mon père l’a vu jouer et m’en a beaucoup parlé, il dit que c’est le meilleur joueur de l’histoire du club. En plus, c’est un vrai Bruxellois. Avoir détrôné une légende comme lui, c’est un honneur. On se voit parfois au stade. Et dans l’avion qui nous ramenait de Prague, on a parlé un moment. Il était assis à ma rangée, avec Eddy Merckx. Lui, il parlait surtout de son petit-fils qui venait de gagner le tournoi de hockey aux Jeux avec l’Argentine… Il était très, très fier.

Jusqu’au début des play-offs de la saison passée, tu as rêvé d’une sélection pour l’EURO…

TIELEMANS : Oui mais je n’ai pas été déçu de ne pas être repris. Pour avoir une chance d’y aller, il aurait fallu que je fasse des play-offs de fou. J’ai joué quelques bons matches mais je n’ai pas tout cassé. Si on avait tout cassé, c’est bien simple, on aurait fini champions.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Bouger les uns pour les autres, aborder les matches à 200 %, les terminer à 200 %, c’est ça qu’il faut absolument retrouver.  » – YOURI TIELEMANS

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